Les âmes fortes de Jean Giono
Fiche : Les âmes fortes de Jean Giono. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Soben95 • 8 Avril 2024 • Fiche • 450 Mots (2 Pages) • 90 Vues
Une petite fille (Thérèse a vingt-deux ans et en paraît seize), une petite fille sonne à sa porte. Au moment où cette petite fille sonne à sa porte, madame Numance, par la force des choses, ne peut plus démesurer extraordinairement ses dons. Elle ne peut plus que les démesurer un tout petit peu. Enfin, à son avis tout au moins. Et elle n’est pas à son aise ; elle voudrait pouvoir donner plus, avoir son vrai bonheur. Elle est fine, elle est sensible, elle voit tout, elle sent tout. Elle sent tout de suite, elle voit tout de suite l’adoration que cette petite fille a pour elle. Elle sait, elle a vu que cette petite fille, tous les matins trottine par la maison comme un furet sur les traces de celle qu’elle aime. Voilà le seul amour qui pouvait perdre madame Numance. Mettez un garçon à la place de Thérèse : il est renvoyé sur le champ. Mettez-y une femme faite, elle sera tenue à distance. Non. Il n’y a qu’un seul traquenard dans lequel elle peut se précipiter. C’est celui-là. Si elle avait eu un enfant de son mari il pourrait avoir l’âge de Thérèse. Il pourrait être cette petite fille (cette petite femme, cette pauvre mère ! Quand elle pense à ça, elle est comme du miel d’été). Thérèse, dès qu’elle a quitté la cabane à lapins, est pleine de grâce. On la voudrait toute. Chez les Charmasson où elle est restée en service cinq ans, bien qu’elle ait été fille de cuisine, elle s’est essayé sur les manières des femmes de chambre qui s’essayaient sur les manières de madame Charmasson. Elle n’est pas entièrement une rustaude. Elle l’est juste ce qu’il faut pour en avoir les charmes. Sa bouche est l’image d’un cœur donné. On voit quand elle y prépare son rire ou ses larmes. C’est là-dessus que ce que je vous disais de la réflexion des gens d’esprit s’exerce. Cent fois, bien avant la scène qui s’est passée au lit de Thérèse battue, madame Numance a eu envie de prendre Thérèse dans ses bras. Si elle ne l’a pas fait, s’il a fallu quelque chose de terrible l’y pousse c’est qu’elle a l’habitude terrible de l’ingratitude des gens qu’elle oblige. […]
Alors tous les matins elle écoutait Thérèse aller et venir dans la maison. Elle se disait : « Elle est debout près du portemanteau, elle regarde ma pélerine (je l’ai laissée exprès pendue en bas); elle la touche. Peut-être même l’embrasse -t- elle ?» (elle ne se trompait pas). Elle restait avec cette idée dix minutes ; c’était un monde, un monde nouveau magnifique ! Imaginez son bonheur !
Les Âmes fortes de Jean Giono (1950).
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