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Limites et contributions au programme de recherche de Lakatos

Commentaire d'arrêt : Limites et contributions au programme de recherche de Lakatos. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  8 Février 2014  •  Commentaire d'arrêt  •  5 228 Mots (21 Pages)  •  849 Vues

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En marge de l’heuristique et des crises, la compétition entre programmes de recherche est considérée comme un troisième aiguillon du progrès. Sans désorganiser la recherche, la concurrence multiplie les observations à expliquer et force le développement des systèmes théoriques. Un programme de recherche qui achoppe à interpréter les observations d’un compétiteur est parfois abandonné. Quand doit-on en arriver là ; quand doit cesser de s’acharner à rénover un glacis protecteur ? Le falsificationnisme de Lakatos invite les savants à maintenir – et à tenir pour scientifiques – seulement les programmes progressifs : ceux dont les modifications du glacis protecteur accroissent l’univers des faits explicables au-delà des observations effectuées jusqu’ici. Le programme n’apporte rien à la connaissance en réinterprétant les observations des concurrents. Pour être progressives, les hypothèses ajoutées au programme doivent ouvrir de nouveaux champs de recherche, supposer l’existence de faits inconnus qui seront corroborés par l’expérimentation. Les ajustements ad hoc aux anomalies, mais non-progressifs, seraient le propre des pseudo-sciences comme le marxisme et de la psychanalyse qui ne cherchent qu’à se conserver.

Alors, quand doit-on abdiquer et considérer un programme de recherche inapte à générer des hypothèses progressives ? Lakatos laisse cette décision à la discrétion des chercheurs. Même après un échec expérimental face à un autre système théorique, un programme de recherche peut toujours reprendre la compétition si ses savants réussissent à le modifier de manière à expliquer le résultat d’expérience gênant. Une expérience opposant des systèmes théoriques devient historiquement cruciale uniquement lorsque le programme « réfuté » est abandonné. Selon Lakatos, la nature peut crier « non ! », mais l’ingéniosité humaine est toujours susceptible de crier plus fort. La décision d’abandonner ou non un programme de recherche ne peut plus être jugée rationnelle ou irrationnelle ; même en se référant au critère de la méthodologie, elle demeure arbitraire. La méthodologie propose un idéal de science progressive, mais n’explique ni ne justifie le rejet d’un système théorique.

La validation de la méthodologie des programmes de recherche par l’étude historique des succès scientifiques pose aussi problème. Lakatos est disposé à réviser sa méthodologie à la lumière des épisodes progressifs reconnus, mais préserve de toute mise à l’épreuve l’idée même que le développement de la connaissance s’effectue suivant une logique. Disons que cette hypothèse semble faire partie du noyau dur de son épistémologie ! Si les savants eux-mêmes sont inconscients de la logique de leurs travaux, c’est que «« la plupart des hommes de science sont enclins à ne pas comprendre au sujet de la science beaucoup plus que les poissons à propos de l’hydrodynamique. »» (LAKATOS, 1995a, p.85.)

L’analyse de l’histoire des sciences, telle que conçue par Lakatos, part de la méthodologie postulée pour reconstruire rationnellement les épisodes étudiés, ce qu’il appelle l’histoire interne . Déductivement, la logique de la découverte explique par exemple comment un programme de recherche en a supplanté un autre qui fut abandonné, ou encore comment l’ajout d’une hypothèse progressive a ouvert un nouveau champ de recherche. Ensuite, c’est à la psychologie et à la sociologie de rendre compte de ce que n’explique pas rationnellement la méthodologie, d’écrire l’histoire externe . La référence à des facteurs sociaux et psychologiques se limite à fournir un glacis protecteur à la méthodologie, en identifiant ce qui a motivé ou entravé son respect. Les progrès de la connaissance objective s’expliquent par la rationalité des scientifiques, tandis que la sociologie et la psychologie n’expliquent que leurs faux-pas. Selon Lakatos, l’histoire n’est pas en mesure de nier la rationalité de la science. Les faits apparemment irrationnels sont ou bien des erreurs de savants explicables, ou bien des actes rationnels encore inexpliqués. Seules les critiques constructives d’hypothèses méthodologiques concurrentes obligent un épistémologue à sophistiquer sa théorie. Une méthodologie de la recherche ne peut être abandonnée que pour une autre qui explique plus en détail le progrès de la connaissance.

La théorisation par Lakatos de la rationalité scientifique vise à orienter le jugement intuitif et faillible des savants. De leurs créations et décisions antérieures ayant contribué au progrès de la connaissance, l’épistémologue doit dégager des principes pour l’avenir. S’il réussit, leurs applications devraient garantir le progrès et freiner ou renverser la dégénérescence des programmes de recherche en métaphysiques pseudo-scientifiques. Seulement, c’est au jugement faillible des savants que l’épistémologue demande d’identifier les épisodes rationnels de l’histoire des sciences. Comme le lui reproche son collègue et ami Feyerabend (1996), sa méthodologie naturaliste s’en remet à une convention de savants pour discerner le progrès et l’erreur.

Limites et apports du programme de recherche de Lakatos

Conventionnaliste malgré lui, Lakatos apporte tout de même plusieurs nuances importantes aux modèles de Popper et de Kuhn. Le paradigme devient un système de plusieurs théories relativement autonomes qui survivent aux greffes et aux amputations d’hypothèses du glacis protecteur. Les anomalies n’ébranlent plus nécessairement la totalité ou un large pan du paradigme. En fait, seule la remise en question des postulats du noyau dur serait susceptible de générer une crise et possiblement une révolution scientifique. Les projets scientifiques peuvent subir des révisions importantes sans rupture complète avec leurs travaux antérieurs. S’ajoute à cela que le travail des savants est structuré en programmes se projetant vers l’avenir via des ambitions particulières d’explication. Alors que le développement de la connaissance décrit par Kuhn et Popper semblait aussi inorganisé que l’édification d’une termitière, les programmes de recherche se posent comme des chantiers dont la construction et les plans sont en devenir. Finalement, le mythe de l’unanimité disciplinaire des sciences « matures » est abandonné ; la confrontation des perspectives opposées semble viable et productive. Lakatos souligne l’influence réciproque des programmes de recherche parallèles qui profitent des découvertes et des innovations théoriques des autres. Une entreprise scientifique n’évolue pas en vase clos. Les biographies des programmes de recherche sont ouvertes

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