Commentaire Arrêt CEDH Berü 11 janvier 2011
Recherche de Documents : Commentaire Arrêt CEDH Berü 11 janvier 2011. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 2 Février 2014 • 3 269 Mots (14 Pages) • 1 136 Vues
Commentaire d’arrêt :
CEDH, Berü c. Turquie, 11 janvier 2011
« La Convention est un instrument vivant, qui doit s’interpréter à la lumière des conditions d’aujourd’hui. » C’est ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a affirmé dès 1978 dans son arrêt Tyrer contre Royaume-Uni. En cela, elle consacre le principe d’une interprétation dynamique, évolutive de la Convention, avec pour unique objectif l’effectivité des droits garantis. C’est ainsi qu’au fil de sa jurisprudence, la Cour a su adapter la lettre de la Convention à l’époque, en découvrant parfois de nouveaux concepts, notamment celui des obligations positives des Etats, désormais invocables devant elle.
Le 11 janvier 2011, la Cour se prononce dans un arrêt de 2ème section Berü contre Turquie quant à l’éventuelle violation turque de l’Article 2 de la Convention garantissant le droit à la vie.
En l’espèce, une petite fille a succombé à l’attaque de chiens errants dans son village de Turquie, dont la présence avait pourtant été signalée depuis longtemps aux autorités publiques locales. La famille de la victime intente un recours devant la Cour et allèguent une violation du droit à la vie garanti par l’Article 2 de la Convention. Ils considèrent en effet que les autorités publiques turques ayant eu connaissance du danger constitué par la présence des chiens errants auraient dû empêcher cette attaque ou prendre des mesures nécessaires à sa prévention.
Il s’agit pour les juges strasbourgeois de déterminer si au vu du contexte dans lequel elle s’est inscrite, l’inaction des autorités publiques turques emporte violation des obligations positives qui incombent à l'état au titre du droit à la vie.
La Cour se prononce et considère que les autorités turques n’étaient en l’espèce pas soumises à une obligation positive de protection de la vie de la fillette. En effet, si la Cour s’applique à affirmer de manière constante l’existence d’obligations positives (I), elle s’efforce manifestement d’en encadrer la portée (II).
I. La constante réaffirmation de l’existence d’obligations positives
L’existence d’obligations positives qui incombent aux Etats dans le cadre des leurs obligations conventionnelles a donné lieu à un dédoublement du droit garanti par l’Art 2 de la CEDH. En effet, il inclut désormais le droit à la vie mais également le droit à la protection de la vie (A).
En outre, les obligations positives relatives à ce second droit se déclinent en deux volets, matériel et procédural (B).
A. La nécessaire existence d’un droit à la protection de la vie
L’article 2 de la CEDH, en son premier paragraphe, dispose : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ». Le droit à la vie est ainsi consacré de manière ferme par le texte conventionnel. Dans l’arrêt étudié, la Cour interprète cet article comme astreignant « l’état non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et illégale, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » (38). La Cour confirme là l’existence d’une obligation positive de l’état inhérente au droit à la vie, et qui ainsi dédouble ce droit, en consacrant un droit de protection de la vie.
En effet, le texte de l’Article 2 n’oblige initialement les Etats parties qu’à une obligation d’abstention, celle de l’atteinte au droit à la vie. Désormais, c’est également une obligation positive d’action qui incombe aux Etats, qui sont alors astreints d’agir en vue de protéger ce droit, et « ne sauraient se borner à demeurer passifs » (Arrêt Airey c. Irlande, 1979). Ces derniers pouvaient auparavant être condamnés pour ingérence active, ils peuvent désormais l’être également pour ingérence passive ! L’Article 2 ne garantit plus seulement le droit à la vie induisant une abstention de l’Etat, mais également le droit à la protection de la vie induisant son action.
La découverte de ce second droit découlant du premier a été faite dans l’arrêt de la Commission européenne des Droits de l’Homme X c. Royaume-Uni en 1978, qui a étendu l’existence d’obligations positives (jusque-là limitées à certains droits garantis) au droit à la vie. Ce n’est cependant que quelques 20 ans plus tard que la Cour ces mêmes obligations quant au droit à la vie dans un arrêt L.C.B c. Royaume-Uni en 1998. L’affirmant cette fois de manière très générale, dans l'arrêt Öneryildiz c. Turquie, la cour explique que l'obligation positive de protéger la vie qu'impose l'article 2 de la Convention aux Etats « doit être interprétée comme valant dans le contexte de toute activité, publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie ». La Cour a d’ailleurs récemment réaffirmé sa position, notamment dans son arrêt Petrov c. Bulgarie, en 2012.
L’hypothèse d’atteinte à la vie résultant d’une inaction ou d’une abstention de l’état fait désormais l’unanimité. En ce sens, il est frappant de constater le degré d’importance que la Cour accorde au terme de « protection ». En effet, les juges strasbourgeois ne s’appuient pas sur des critères de respect ou de non-violation, mais sur celui de la protection, qu’ils citent pas moins de 4 fois dans l’extrait étudié (38, 40, 43, 48). A aucun moment la Cour n’évoque une éventuelle « violation » de droit de la part de l’état, si ce n’est pour en écarter l’éventualité dans sa décision finale (50). Une telle évolution lexicale en faveur de l’idée de protection, et par conséquent d’une nécessaire intervention de l’état dans la protection du droit à la vie, s’explique par la volonté d’effectivité des droits garantis par la CEDH. Or, force est de constater que si la Cour s’applique ici à réaffirmer l’existence d’obligations positives de l’état de protection de la vie, elle le fait de manière assertive, en s’abstenant d’en préciser les fondements. Pourtant, le principe d’effectivité des droits est une notion fondamentale, puisqu’il justifie à lui-seul l’interprétation dynamique de la Cour et par là-même la découverte d’obligations positives. Sans doute la Cour considère-t-elle que ce fondement ayant été énoncé à maintes reprises par le passé, il n’est pas utile de le rappeler. Il est vrai que l’arrêt fondateur de la notion d’obligation positive, l’arrêt Arey c. Irlande de 1979,
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