Opinion publique et démocratie

OPINION PUBLIQUE ET DEMOCRATIE

« Une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple », voilà comment est définie la démocratie, mot composé du grec « demos » qui signifie à la fois le territoire et le peuple et de « kratein » qui quant à lui signifie commander. Dans sa définition et dans son étymologie, on comprend l'importance de la population, du peuple dans un régime démocratique. La gouvernance du peuple s'exprime la plupart du temps par le vote, le peuple élit ses représentants ; c'est le cas dans une démocratie représentative qui est un mode de désignation du gouvernant par un cycle d'élection. Mais le rôle du peuple ne s'arrête pas la, une fois élu, le gouvernant va tacher de l'écouter car il n'est pas un monarque de droit divin mais bien un représentant du peuple élu par celui-ci pour une durée limité. Les gouvernants et élus vont alors s'intéresser à ce qu'on appelle l'opinion publique, notion qui pourrait être définie sommairement comme l'opinion majoritaire, du plus grand nombre. Cette importance de l'opinion publique dans un état démocratique semble assez naturelle, George Burdeau juriste français du 20e siècle spécialisé en science politique en dira que « Le gouvernement du peuple par le peuple suppose que le peuple est invité à exprimer ses vues sur les affaires publiques » .

Le lien entre démocratie et opinion publique va donc de soi. Mais peut on réellement considérer l'opinion publique dans sa forme quantifiée comme une véritable expression du peuple et de sa souveraineté en France ?

En effet, après avoir défini l'opinion publique et étudié son évolution , on peut discerner ses limites, des limites qui mettent à mal sa fonction de représentation.

1. Opinion publique, théorie et pratique

Pour étudier le lien entre démocratie et opinion publique, on ne peut s'attacher à une définition sommaire de cette dernière. Il nous faut chercher à savoir ce qu'on entend réellement par opinion publique et quel rôle elle joue mais aussi voir comment celle-ci est traditionnellement mesurée.

                             A) Une conception fluctuante de l'opinion publique

Si la prise en compte et l'importance de  l'opinion publique semble naturelle dans un régime politique démocratique ou le peuple a la gouvernance, ce n'est pas le cas dans un gouvernement non démocratique. Ainsi, l'opinion publique telle que nous la connaissons est une notion relativement récente du fait de l'histoire conflictuelle de la France qui est passée par de nombreux régimes. C'est à la fin du XVIe siècle que l'expression « d'opinion publique » apparaît, cependant sa définition n'est pas celle que l'on connait aujourd'hui, sous l'Ancien Régime de monarchie absolue, l'opinion publique se définit comme une croyance commune se portant sur des comportements moraux et se concentrant sur la sphère privée. La religion ayant une place très importante, cette opinion est centrée sur les vices et la morale des personnes privées et non pas la gestion des affaires publiques. Suspicion de sorcellerie, adultère ou excommunication sont les problèmes sur lesquelles se concentre cette opinion publique dans sa version archaïque. John Locke en fera une des trois lois auxquelles les hommes tentent d'obéir pour être droit, la « loi de réputation » qui serait «  la plus universelle et contraignante de tous » , ainsi l'opinion publique va surtout chercher à surveiller les individus et leur obéissance aux codes sociaux. L'opinion publique est donc péjorative est contraignante au XVIe siècle.

L'opinion publique va s'intéresser aux affaires publiques plutôt que privées à partir du siècle des Lumières ou on voit le développement d'un engagement politique populaire. On assiste à une désacralisation du monarque mais aussi de la religion, les critiques commencent alors à fuser dans l'espace public qui sera défini par Jurgen Habermas comme « le lieu ou les personnes privées font un usage public de leur raison ». Le peuple n'a plus un rôle complètement passif, en critiquant le pouvoir public il devient un acteur. Cet usage critique et public de la raison est rendu selon habermas possible par le principe de publicité des lois, le fait que le peuple connaisse celle ci et puisse donc avoir un avis dessus, par exemple, les Lumières critiqueront grandement l'état des finances françaises et l'endettement du royaume en partie du aux excès de Louis XIV. Cet usage est aussi rendu possible par l'avènement d'une bourgeoisie autonome, puissante et ne bénéficiant pas de la monarchie et des trois ordres ainsi que par une croissance culturelle avec une multitude de salons littéraires comme celui du baron d'Holbac et de cafés lieux d'ébullition politique et philosophique comme le café Procope. On voit aussi l'apparition de clubs politiques.

Ce développement de l'opinion publique se voit aussi dans la Révolution, le peuple renverse le roi et s'accorde la souveraineté ; les sujets du Royaume qui commençaient à jouer un rôle plus actif durant les Lumières sont maintenant acteurs à part entière, ce sont des citoyens. La bourgeoise éclairée n'est plus la seule à exprimer l'opinion publique, la classe populaire trouve sa voix dans la période révolutionnaire. La Révolution a avancé l'idée qu'on ne peut pas gouverner contre l'Opinion publique. On peut alors déduire que la ou on a une opinion publique importante et exprimée, la démocratie est inévitable sur le long terme. C'est à cette époque que l'opinion publique devient un enjeu, on cherche à l'incarner, du moins en apparence. L'opinion publique est un enjeu de pouvoir et donc de luttes comme celles entre les Montagnards et les Girondins. Robespierre déclarera « Je suis le peuple lui-même »

L'américain James Bryce définira un gouvernement idéal au dessus de la démocratie représentative. Il a une conception développementaliste selon laquelle l'aboutissement de tout gouvernement est la démocratie d'opinion publique ou il agit selon les désirs du peuple qui a le contrôle en permanence. Il définit des phases d'évolution, l'age passif le premier ou le peuple ne peut s'exprimer (ici l'ancien régime), l'age des crises (révolutions du peuple) , l'age d'or ou la « volonté des citoyens peut être déterminée à tout moment » grâce à l’avènement de la  presse et l'importance de l'opinion publique. C'est une conception toujours d'actualité dans les médias. L'élection de représentants est un dispositif parmi d'autres, le peuple peut s'exprimer autrement. L'opinion publique est écoutée et prise en compte et les élus tachent de l'incarner. La démocratie implique une opinion publique dominante tout comme une opinion publique en ébullition implique tôt ou tard une forme de démocratie.

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