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Le journal

Commentaire de texte : Le journal. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  27 Mai 2014  •  Commentaire de texte  •  706 Mots (3 Pages)  •  610 Vues

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Voir : tout est là. Le journal peut mentir. La radio peut mentir. L'image, elle, ne ment pas; elle est la réalité, elle est la vérité. Plus même : elle gagne en crédit ce que la parole et l'écrit ont perdu. Quiconque a, dans sa vie, pris une photographie ou a été photographié le sait bien. Cette conviction, cette confiance absolue dans ce que les yeux ont vu, sont si ancrées dans l'esprit de chacun de nous qu'il doit faire effort pour garder l'esprit critique.

Sur l'écran, un homme court. Derrière lui, quelques agents courent aussi, plus vite, ils gagnent du terrain. Le fuyard, un malfaiteur sans doute, va être rattrapé. Mais le champ s'élargit et livre soudain l'objet de la poursuite: tous courent pour prendre l'autobus. Nous avions vu une arrestation imminente, imaginé déjà toute une histoire. C'est l'exemple le plus classique et le plus simple d'images vraies qui imposent une idée fausse.

Au-delà, il y a la jeune mère que l'on complimente pour la beauté de son enfant et qui s'exclame: « Et encore, ce n'est rien: si vous aviez vu le film que mon mari a pris dimanche! ! ». L'image, cette fois, est plus vraie que le vrai. Au-delà encore : le cameraman qui, filmant une cérémonie ou un voyage officiel, montre une foule immense et enthousiaste en braquant soigneusement son objectif sur la brigade des acclamations, ou qui, au contraire, s'attarde sur les vides d'une assistance qui paraît ainsi dérisoire, ou donne la vedette à des contre-manifestants qui ne sont qu'une poignée. C'est le mensonge délibéré qui utilise le cadrage, le jeu du gros plan et du plan éloigné pour inverser les proportions, mille astuces techniques : le spectateur voit un lieu, une scène et pourtant il est trompé, il se trompe.

Un dernier pas enfin : on entre carrément dans l'univers des sensations, du rêve, où tout est possible. Nous voici ici et ailleurs en même temps, avec cinquante, cent regards, vieux songe de l'homme enfin réalisé. Nous voici transportés à l'autre bout du monde, dépaysés, déracinés et ravis. L'univers n'est plus qu'un immense village. Anesthésiés, nous subissons un monologue en croyant dialoguer. Le discours de l'écran est effraction morale : il n'a besoin ni de démonstration ni de preuves. L'histoire se déroule sous nos yeux, en direct, partout sur la planète et même sur la Lune.

Tantôt la même émotion nous soulève, et en quatre heures nous versons sou par sou un milliard pour les sinistrés de Malpasset1 ou pour les réfugiés du Biafra. Tantôt l'image nous divise, et la même relation des troubles du Quartier latin, puis des premiers débrayages ouvriers, met le feu à dix villes universitaires, précipite dix millions de travailleurs dans la grève, en même temps qu'elle bouleverse et indigne l'autre moitié du pays. L'intelligence émoussée, la volonté entamée, nous sommes hors et loin de nous-mêmes, nous sommes un autre, toutes facultés de jugement abolies ou perturbées.

Pourtant, [...] à l'extraordinaire pouvoir d'information et de déformation, de suggestion et de dépaysement, de rêve et d'identification, s'ajoute une force catalysatrice ou unificatrice sans précédent. Un jeune Français né cette année passera en moyenne, rappelait-on

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