D'où Les Lois Tirent-elles Leur Force ?
Étude de cas : D'où Les Lois Tirent-elles Leur Force ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 21 Novembre 2013 • Étude de cas • 2 661 Mots (11 Pages) • 1 266 Vues
Introduction
Toute société se dote de règles régissant les comportements de leurs membres. Lorsque ces règles sont explicites, on parlera de lois : les lois sont des textes législatifs prescrivant de manière impérative ce qui est interdit, ce qui est légal et ce qui est licite. Mais comment faire respecter cette prescription ? Car la loi ne peut sans doute pas compter sur sa seule autorité pour forcer le respect : il faut la doter d'un bras armé, c'est-à-dire d'une force publique et d'un système judiciaire, à même d'arrêter et de condamner les contrevenants. Par conséquent, les lois ne semblent tirer leur force de rien d'autre que la force elle-même : c'est d'abord et le plus souvent la peur de la sanction qui nous rend dociles, sinon soumis. Ce serait donc la crainte de représailles qui nous ferait respecter les lois : qu'un trouble public vienne à anéantir les forces de police et les tribunaux, et tous n'en feront qu'à leur tête, parce que la loi n'a en soi-même aucune autorité. Au reste, si elle en avait une, les États n'auraient pas besoin de se doter d'un appareil répressif lourd et coûteux : la loi n'est que l'expression d'un rapport de force, c'est la force qui la fonde, et c'est par la seule force qu'elle parvient à se faire respecter.
Une telle thèse repose toutefois sur un présupposé : elle admet comme allant de soi que les sujets sont naturellement enclins à ne pas se soumettre aux lois. Soit alors ils ne s'y soumettent qu'à contrecœur, parce que le respect de la loi est contraire à leurs intérêts ; soit ils s'y soumettent de mauvais gré, parce qu'ils ne voient pas que la loi défend en fait leur intérêt véritable. Certes, une loi qui n'aurait en vue que le bien particulier de quelques-uns au détriment de tous les autres ne saurait s'imposer à ces derniers que par force. Mais suffit-il qu'une loi défende le bien commun pour qu'elle soit respectée, à admettre qu'elle soit en elle-même respectable ? D'où les lois tirent-elles leur force ? En d'autres termes : suffit-il qu'une loi soit bien faite pour que les sujets s'y soumettent volontairement et unanimement, ou ne faudra-t-il pas lui adjoindre toute la force publique ? Une loi qui se fonde sur la force aura toujours besoin de la force pour se faire respecter ; mais n'est-ce pas au fond le cas de toute loi, même de celles qui se fondent sur le droit ?
I. Une loi qui se fonde sur la force se fait respecter par la force
Que serait une loi fondée sur la force ? Lorsqu'un tyran met l'État au service de ses caprices, lorsqu'il édicte des règles contraignantes qui soumettent les sujets à ses caprices, il ne se fonde que sur cet axiome : je suis le plus fort, et parce que j'ai la force pour moi, je fais de vous ce que je veux. Or, comme le remarquait Rousseau dans Le Contrat social (I, 3), ces règles n'auront que l'apparence de la loi, parce qu'elles ne sont pas l'expression d'un droit : il n'y a pas de droit du plus fort. Pourquoi donc ? Celui qui sort vainqueur d'un rapport de force peut bien exiger la soumission du vaincu et en faire sa propriété : c'est sur cette idée que reposait la pratique grecque de l'esclavage. Mais cette soumission ne durera qu'aussi longtemps que la force sera du côté du maître : si c'est par force que l'esclave a été privé de sa liberté, il pourra toujours tenter de la reprendre par force également. Or nul n'est assez puissant pour être assuré d'être toujours le plus puissant, d'autant que nul puissant n'est à l'abri d'une conjuration de ceux qu'il a soumis, lesquels, en réunion, seraient plus forts que lui. Le maître a donc tôt fait de « transformer sa force en droit et l'obéissance en devoir », et d'abord en proclamant une loi qui donne à l'esclave l'ordre de se soumettre. Mais cette loi n'en est pas une, précisément parce qu'elle se fonde sur un rapport de force : si je m'y soumets, c'est parce que la peur et la prudence me dictent la soumission, mais je ne me sens aucune obligation de la respecter. Que la puissance du tyran s'amenuise, que la vieillesse l'affaiblisse, que sa police relâche sa surveillance, et c'est la révolte assurée, parce que la force ne fait pas droit.
Écoutons l'exemple pris par Rousseau : « Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner ? » Je peux fort bien me défaire de mon argent sous la menace d'une arme, mais je n'accepte de le faire que par prudence. Si le voleur laissait tomber son pistolet, et si j'avais l'occasion de m'en emparer, lui donnerais-je toujours ma bourse ? Certes non, et cela le tyran le sait fort bien : une loi fondée sur la force n'obtient qu'une soumission temporaire et faite à contrecœur ; elle doit toujours alors se l'assurer par une débauche de répression et de violence. En d'autres termes, une loi qui se fonde sur la force ne tire sa force que de la force : c'est par la force seulement qu'elle parviendra à se faire respecter. Ainsi que l'affirme Rousseau, « on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes », c'est-à-dire qu'on ne se soumet volontairement à la loi que lorsqu'on en reconnaît la légitimité, et quand on sait qu'on a raison de s'y soumettre. C'est pour cela qu'une loi tyrannique n'obtiendra jamais des sujets qu'ils se sentent obligés envers elle : ils ne seront jamais que contraints et soumis autant que durera la contrainte.
Ainsi, pour qu'une loi ait une autorité durable, il faut qu'elle obtienne de nous une soumission volontaire et non forcée. La question devient alors la suivante : à quelles conditions le sujet peut-il accepter de se soumettre ? La réponse la plus simple est bien la suivante : le sujet n'accepte de se soumettre que lorsqu'il sait que la soumission va dans le sens de son intérêt.
Telle est bien l'hypothèse formulée par Hobbes dans son Léviathan : l'homme est un être de raison, et de désir. La nature humaine est telle que je désire ce qu'autrui désire, non parce que l'objet désiré est en soi désirable, mais parce que je désire primordialement en priver autrui : tout désir est en son fond désir de pouvoir. J'ai obtenu ce que tu désirais, et je t'en ai privé : je suis plus puissant que toi, et tu dois désormais me rendre honneur.
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