Dans le village planétaire, les cultures nationales ont-elles un avenir ?
Dissertation : Dans le village planétaire, les cultures nationales ont-elles un avenir ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Marienouecnous • 16 Avril 2020 • Dissertation • 4 960 Mots (20 Pages) • 1 162 Vues
Sujet : « Dans le village planétaires les cultures nationales ont-elles un avenir ? »
"Toute culture qui s'universalise perd sa singularité et se meurt ». Cette citation de Baudrillard, dans le Paroxysme indifférent (1997) montre bien l’inquiétude souvent formulée à l’égard des cultures qui aurait de plus en plus tendance à s’uniformiser. Ce constat est mis en corrélation avec le développement continuel de la globalisation, qui transforme effectivement l’environnement culturel puisqu’on parle désormais de village planétaire pour évoquer la scène internationale. Aussi dans un village n’y -t-il qu’une culture ?
C’est dans ce cadre qu’il est légitime de se demander si, dans le village planétaire, les cultures nationales ont un avenir.
La culture est un mot polysémique, mais quand le terme est utilisé au pluriel on aura tendance à privilégier la définition qui énonce que « dans son sens le plus large, [elle] est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances» (Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, UNESCO, 1982). Chaque culture désigne ainsi un « complexe qui comprend […] les habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société » (The Primitive Culture, Edward Burnett Tylor, 1871).
La culture a à la fois comme fonction et comme essence l’appartenance d'un individu à une civilisation. Elle est à la fois un héritage, fruit d’une histoire passée, et un processus inter-relationnel basé dans le présent. De cette manière le lien entre la culture et la temporalité est fort, puisqu’elle amenée à être transmise aux futures générations.
Traditionnellement l’étude des cultures a porté sur l’analyse de processus et d’acteurs sociaux en considérant les frontières nationales comme étant l’échelle géographique de l’analyse, c’est à dire que l’étude portait sur les différentes cultures nationales, une à une ou dans leurs échanges.
Toutefois l’intensification des relations, et de l’ensemble des flux à l’échelle planétaire, ajoutée à la crise de légitimité de l’Etat vient remettre en cause la pertinence de cette méthode analytique.
En effet, depuis le développement des médias les informations se diffusent avec une facilité et une rapidité déconcertante, permettant aux individus de découvrir, participer, à des évènements et pratiques culturelles différentes de la leur et de celle de leur « nation ». Les médias sont les principaux vecteurs d’une mondialisation culturelle, qui affaiblit l’influence de l’Etat dans ce domaine.
Le sujet proposé nous invite à réfléchir sur la pérennité des cultures nationales dans le contexte d’un village planétaire. Il nous faut questionner l’expression de village planétaire qui, selon les auteurs, peut revêtir différentes interprétations. S’agit-il d’un village au sens où les distances entre les diverses cultures individuelles sont raccourcies, ou plutôt un village dans un sens qui impliquerait la familiarité voire l’homogénéité des moeurs ?
La notion d’avenir est, elle aussi, intrinsèquement ambiguë, puisqu’il nous faudra différencier entre un avenir au statu quo, et la possibilité de voir se concrétiser de profonds changements culturels dans le futur.
Si le sujet se focalise sur les cultures nationales, c’est qu’il existe un lien fort entre la culture d’une nation et l’Etat au sens du gouvernement. En effet l’Etat peut influer sur la culture au travers de politiques culturelles, mais aussi à travers la reconnaissance de telle ou telle culture comme étant une culture dite nationale. La culture, elle, influence sur le pouvoir étatique, car qui se reconnait appartenir à la culture nationale se reconnait sociologiquement être un citoyen de l’Etat, renforçant ainsi le sentiment d’identité nationale. Dès lors l’enjeu majeur se trouve être le sentiment grandissant des populations d’appartenir à un système plus large, c’est à dire être des citoyens du monde, ou à l’inverse plus infime, à l’échelle locale, en zappant l’échelon national.
Dès lors, les cultures sont elles réellement vouées à s’homogénéiser ? Les pouvoirs étatiques conservent-ils une influence sur l’évolution des cultures et leur diversité ?
Nous verrons tout d’abord dans quelle mesure les cultures nationales connaissent effectivement une convergence malgré des réticences étatiques, avant de voir qu’il existe des contradictions à ce phénomène, la mondialisation pouvant avoir des conséquences antagoniques dans lesquelles l’Etat joue un rôle actif par le biais de l’usage qu’il fait de ladite culture.
Le rapprochement des cultures nationales est un phénomène fortement décrié.
Cette uniformisation paraît être une conséquence du développement des médias.
En effet ces derniers, en mettant en contact les cultures du monde, favorisent l’acculturation.
Le contexte de la mondialisation a pour effet une intensification de tous les flux, aussi bien économiques que humains et culturels. A travers ces échanges les individus et plus largement les groupes culturels sont mis au contact d’autres cultures et se produit alors une homogénéisation au travers de la standardisation et de la commercialisation. En effet le développement économique va homogénéiser pour sa part les biens et services consommés sous l’effet du développement des firmes transnationales, tandis que le développement des médias favorise la diffusion des mêmes informations à travers le globe. Dans une moindre mesure, mais non négligeable, certaines instances internationales, notamment les Nations Unies, essaient de développer des valeurs humaines universelles avec les droits et libertés fondamentales de l’Homme. Les progrès de la mobilité humaine participent également de ce phénomène.
Ainsi le contact continu des cultures par le biais des éléments évoqués ci-dessus favoriserait un processus d’acculturation, décrit par Redfield et Linton comme « l’ensemble des phénomènes résultant du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes, avec des changements subséquents dans les types de cultures originales de l’un ou des deux groupes.»
Ce phénomène, utilisé péjorativement pour décrire l’impérialisme colonial et la façon dont les occidentaux ont imposé leur culture, peut être actualisé avec l’expansion de l’americain way of life caractérisée par un mode de consommation abondant et une facilité de vie. La diffusion de séries américaine et de publicités des grands groupes sont le vecteur de cette expansion culturelle.
Par exemple dès la Libération, l’accord Blum-Byrnes (1946) permet la projection de films américains dans les cinémas français, ce qui accentue d’autant plus le soft power et la diffusion des biens et du mode de vie américain.
Mais dans une autre mesure le phénomène d’acculturation est présent autours de chaque culture, et peut être illustré avec les emprunts linguistiques (nombreux entre l’arabe et le français).
Il en résulte que toute coexistence ou cohabitation entre deux cultures se traduit par une épreuve de force qui transforme la culture faible en ce qu’elle s’imprègne plus ou moins des traits distinctifs de la culture forte.
Finalement la culture nationale d’un pays tend à se diffuser aujourd’hui par la commercialisation de ses biens culturels, qu’il s’agisse de l’audiovisuel, ou des biens et services représentant un certain mode de vie ou de pensée. Le cas extrême d’acculturation serait une assimilation, dont la conséquence est la disparition totale de la culture la plus faible.
Le développement des médias comporte également le risque de développement d’une nouvelle culture médiatisée globale.
Des auteurs mettaient déjà en avant les dangers des mass médias sur les individus. Adorno et Horkheimer ont critiqué de manière violente l’industrie culturelle et le rationalisme des Lumières, qui, selon leur thèse, constituerait un instrument de domination. Pour ces auteurs de l’école de Francfort les médias rendent les consommateurs passifs et le ôtent toute capacité de réflexion critique chez les individus qui deviennent des machines à absorber la portion de réalité que les chaines de production ont choisi de montrer. L’industrie culturelle est donc détentrice d’un pouvoir immense dans l’évolution des individus et donc de leur culture, puisqu’elle rendrait ainsi les individus homogènes. Ainsi la culture de masse dessert l’homme pensant des Lumières, et produit même une régression historique en visant l’uniformité des modes de pensées et des modes de vie des individus. L’annihilation des capacités critiques des individus se fait en quelque sorte en échange d’une allégeance à la culture dominante, celle de l’industrie culturelle, elle-même dominée par les cultures les plus diffusées.
Au delà de faciliter la capacité de propagation d’une culture, la sphère médiatique globalisée constitue un espace virtuel culturel qui dépasse celui des Etats. Il s’agirait de l’émergence d’une nouvelle culture, une hyperculture globalisante (Jean Tardif, Joëlle Farchy, Les enjeux de la mondialisation culturelle, 2006), qui n’aurait pas de temporalité ni de territoire, et serait en constante recomposition.
Pour les auteurs Adorno et Horkheimer cette nouvelle culture perpétrée par les médias serait régressive.
Toutefois les mêmes inquiétudes avaient pu être formulée, mutatis mutandis, lors de l’apparition de l’imprimerie, qui permettait à un public bien plus large que les seules élites d’accéder à des lectures sans pour autant vraiment comprendre la portée de ce qu’ils lisaient. La possibilité d’une diffusion à grande échelle des idées mais aussi des contestations avait inquiété le pouvoir public. C’est d’ailleurs pour cette raison que Francois Ier ordonne en 1537 un dépôt légal de chaque imprimeur d’un exemplaire de l’ouvrage imprimé à la bibliothèque royale. Cela nous permet de nuancer nos propos, en considérant aujourd’hui l’avancée phénoménale qu’a permis l’imprimerie.
Ainsi on comprend aisément que le progrès technique des médias et leur expansion présentent des dangers lorsque ceux-ci sont dominés par une certaine culture nationale qui en userait de manière à diffuser son mode de vie et ses pensées, et plus largement sa culture.
Les Etats, s’inquiétant que ce phénomène de mondialisation culturelle ne se traduise en réalité par un rapport de domination d’une culture existante (ou d’une nouvelle culture médiatique globalisante) sur les autres cherchent à protéger leur patrimoine culturel et à faire valoir la diversité des cultures nationales face à l’éventualité d’une hégémonie culturelle.
Les Etats font le choix dès lors de jouer un rôle de protection, par le biais de politiques internationales et nationales.
Les états cherchent tout d’abord à protéger leur culture par la mise en place d’organisations internationales spécialisées, ce qui prouve une prise de conscience mondiale des risques. Dès les années 1990, lors de la négociation des accords du GATT (1993), apparaît le concept d’exception culturelle dans le but d’exclure le domaine culturel des règles du libre échange en train de s’entériner. Le but était ainsi de limiter l’hégémonie américaine en matière commerciale.
Ce concept protectionniste évolue et laisse place à celui de la diversité culturelle.
La diversité culturelle est fondée sur le principe de conservation du patrimoine culturel inscrit pour la première fois dans la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel adoptée à la conférence générale de l’Unesco en 1972. L’Unesco étant une agence spécialisée de l’organisation internationale des Nations Unies, qui comprend aujourd’hui 193 états membres (depuis la décision de retrait des Etats Unis en 2017) elle se fait le miroir de la volonté des Etats de préserver la riche diversité des cultures à l’échelle globale. Ceux-ci ayant signé à travers l’Unesco cette convention, il apparaît clairement qu’ils reconnaissent le risque majeur de la mondialisation comme étant celui d’une extinction des diversités culturelles.
C’est dans ce cadre qu’en 2001 les 185 états membres de l’Unesco ont adopté a l’unanimité la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, qui énonce notamment dans son article premier que "source d’échanges, d'innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire que l'est la biodiversité dans l'ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l'humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures. ».
Toutefois cette Déclaration ne se borne qu’à énoncer des principes. Aussi un aboutissement était nécessaire, ce qui amène les Etats à adopter la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles le 20 octobre 2005 qui entend donner un cadre juridique international contraignant à la défense de la diversité culturelle.
Il nous faut préciser que cette dernière convention a rencontré des obstacles, les Etats Unis ont voté contre son adoption.
La Convention insiste en particulier sur le besoin de reconnaître que les biens et services culturels ne peuvent pas être considérés comme des marchandises banales. Aussi elle se veut être un auxiliaire de la coopération internationale sur la culture. Elle pointe ainsi le besoin du dialogue des cultures.
Nous avons traité ici des cultures au sens des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société et qui englobent aussi les arts et les lettres en plus des modes de vie, des droits fondamentaux de l'être humain, des systèmes de valeurs, des traditions et des croyances. C’est précisément sur cet aspect des arts et des lettres composant la culture nationale qu’un Etat a le moyen d’influer par le biais de sa politique culturelle. Mais le fait que l’Etat participe à l’évolution de la culture sur son territoire n’a t-il pas favorisé une dénaturation de la culture par le discours et la valeur économique qui lui ont été appliqué ?
Mais ce rôle protecteur comporte le risque de dérive en une action utilitariste de la culture.
Si, comme nous l’avons vu, la Convention sur la protection et la diversité des expressions culturelles (2005) s’efforce de contrer cet effet, Hannah Arendt évoque La Crise de la Culture (1961), pour dénoncer la massification et l’utilitarisme de la culture. En effet la société de consommation de masse traite tout objet comme un bien consommable mais cette idée est antagonique avec l’idée traditionnelle de la culture, qui n’est pas un divertissement éphémère mais plutôt un moyen de perfectionnement de l’individu, qui le transcende et a vocation à durer dans le temps.
Le passage du grand roman au film est dans ce sens assez emblématique de ce que l’auteure dénonce, puisqu’un film s’il dispose certes d’une image, c’est au détriment de dialogues et de réflexion. Le film favorise la vulgarisation d’un roman, et pour Arendt ce phénomène est typique de la société moderne. On peut encore illustrer ce propos avec La Laitière de Veermer reprise par Nestlé et désormais associée à l’image de cette marque.
Il est possible de faire un lien de corrélation entre le développement des politiques culturelles, et donc la démocratisation de la culture, et cette consommation devenue massive qui fait perdre à la culture son essence première. En effet un discours et un enjeu économique ont été apposés à la dimension de la culture.
Les institutions publiques ont entreprit diverses stratégies politiques afin de représenter au mieux la culture sur leur territoire, ce qui s’est traduit par le développement d’industries culturelles. C’est de cette manière qu’est créé en 1959 un ministère des affaires culturelles, confié à Malraux, dont le rôle est de « rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de français ».
Le rayonnement de la France à l’étranger devient un objectif à part entière, mais il participe à l’offre grandissante de « biens culturels » qui favorisent dès lors une surconsommation.
Il existe bien une synergie entre culture et économie, le discours que prononce Lang à Mexico (Conférence de l’Unesco, Mexico, 1982) dénonce d’ailleurs cette relation étroite. Dès lors on parlera d’économie de la culture comme composante du développement économique. La culture est considérée comme un produit culturel produit par les industries culturelles.
Le soutien aux industries culturelles confère ainsi à la politique culturelle une dimension de politique économique et industrielle.
Ainsi nous avons vu que la globalisation, au sens de l’ouverture des marchés et de l’intensification des flux, participe à la mondialisation culturelle, voire à l’émergence d’une culture mondiale. Les Etats, par la coopération internationale et les politiques nationales cherchent à préserver ce qu’on appelle désormais la diversité culturelle. Même si beaucoup critiquée par les auteurs pour ses différents aspects inquiétants, la mondialisation dispose d’un énorme avantage qui est de faire converger des valeurs fondamentales comme la démocratie, mais aussi la reconnaissance de droits de l’homme, qui, idéalement se transformeront véritablement en une supra-culture universelle.
Toutefois si l’on reprend l’expression de "village planétaire » en lui donnant le sens premier que McLuhan envisageait on se rend compte que le terme de village sous-tend l’idée de facilité des échanges et de proximité, mais pas nécessairement celle de familiarité ou d’homogénéisation. L’expression anglaise « global village » exprimait le retour au village « tribal", avec les relations et les conflits propres à ce type d’agglomération rurale.
L’auteur Beck conçoit aussi la globalisation comme un processus de « glocalisation » : la globalisation n’a pas lieu à l’échelle globale mais a l’échelon local, et elle effectue là les changements. Ainsi tous les objets et pensées culturels se retrouvent au même endroit - par le biais de la sphère médiatisée - mais ils y sont juxtaposés. Ce qui confirme la conception du village planétaire en tant que lieu de proximité mais pas réellement d’homogénéisation.
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