Crise et rupture
Dissertation : Crise et rupture. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Visuftw • 15 Janvier 2016 • Dissertation • 2 834 Mots (12 Pages) • 901 Vues
« Chaque société a les crises de sa structure », écrivait l’historien français Ernest Labrousse, de l’Ecole des Annales… C’est un fait : les crises ont toujours fait partie de l’histoire du capitalisme et leurs formes varient selon les époques, les circonstances, bref selon « les capitalismes ». Ainsi a-t-on pu assister depuis le krach boursier d’octobre 1987 à un retour des crises, dont le nombre et l’intensité avaient diminué depuis la Seconde Guerre mondiale, retour des crises désormais très largement dominées par leur composante financière. Néanmoins, arguer du fait que le capitalisme se financiarise et qu’il a, de fait, les crises de sa structure, c’est faire fi des enseignements de l’histoire économique, qui nous montre que les crises sont bien souvent tout à la fois économiques et financières, et ce quelle que soit l’époque considérée : certes, les crises sont souvent déclenchées par un krach financier, mais les dysfonctionnements, voire les contradictions du système, qui mènent aux crises préexistent aux krachs. C’est pourquoi, prêter aux crises financières que connaît le monde depuis la fin des années 1980 un caractère systémique est peut-être une erreur : l’e-krach de début 2000, dont les conséquences n’ont pas véritablement été à la mesure du choc, l’illustre. Une crise majeure se caractérise par des changements beaucoup plus profonds dans le système. Pourtant, certains auteurs considèrent que ces crises ne sont qu’une étape, nécessaire, pour la poursuite du mouvement d’ensemble de l’économie. Il s’agit donc de s’interroger sur l’impact des crises sur le système : sont-elles de véritables ruptures ? Ou sont-elles au contraire une étape par laquelle l’économie doit passer pour se maintenir et pouvoir soutenir le développement économique et social ? Dès lors, il s’agira d’analyser, d’une part, l’éventualité d’une « régulation par les crises », puis, d’autre part, la rupture que constitue nécessairement une crise majeure, pour finalement constater que la crise est le signe de la mutation du capitalisme, le débat portant ainsi sur le sens de cette mutation : va-t-elle dans le sens du développement ?
Tout d’abord, il s’agit de préciser que toutes les crises sont des « crises majeures », en ce sens qu’elles précipitent des populations entières dans le chômage et la pauvreté. Ceci étant, lorsqu’on observe l’histoire du capitalisme, on ne peut que constater que crise et croissance sont l’envers et l’avers de la même médaille : des phases de croissance et des phases de récession se succèdent constamment. Cette alternance est particulièrement forte, par exemple, au 19ème siècle : des crises récessionnistes, au sens véritable de ce terme (la baisse du niveau de production, en valeur absolue), surviennent environ tous les dix ans. La première théorisation de cet état de fait est l’œuvre de Juglar, en 1862 . Il montre que les crises sont inhérentes au système, et que « la seule cause de la dépression est la prospérité »… En effet, l’expansion impliquerait nécessairement la récession, phase durant laquelle se résorbent les déséquilibres et les tensions accumulées au cours de l’expansion. Cette analyse est aussi valable dans le cas des crises financières : l’éclatement d’une bulle financière permet de résorber les déséquilibres, c’est-à-dire de se rapprocher des fondamentaux, dont la spéculation éloignent. Toutefois, il faut remarquer que, en dépit de la phase de récession du cycle Juglar, la tendance est, au 19ème siècle, à la hausse de la production, donc des niveaux de vie, ce qui favorise le développement économique et social : la crise ne serait qu’une étape dans le processus de développement en ce qu’elle permet la poursuite de la croissance à long terme, un trend haussier. Ainsi le 19ème siècle est-il marqué par un trend séculaire à la hausse dans les pays de la Révolution Industrielle : certes, on exagère souvent le niveau des taux de croissance du 19ème siècle, toujours est-il que le taux de croissance annuel moyen des pays avancés s’établit, selon Paul Bairoch , à 0,9% ou 1%, ce qui n’est pas négligeable sur tout un siècle…
Cependant, ces crises, dans la mesure où elles semblent être endogènes au processus de développement, ne constituent pas à proprement parler des crises majeures. Peut-être est-il plus pertinent d’analyser la phase descendante des cycles longs, ou des « ondes longues », pour reprendre le vocabulaire que la plupart des auteurs utilise afin de rappeler que ces fluctuations n’ont rien de mécaniques (à tout le moins, moins que celles du cycle Juglar). Leur formalisation, à la suite des intuitions d’auteurs tels que Lescure, remonte à Kondratiev . Un « Kondratiev » est composé, selon la terminologie adoptée par Simiand, d’une phase A qui correspond à un trend des cycles Juglar particulièrement haussier, et d’une phase B de dépression, le passage de l’une à l’autre résultant d’une crise. L’interprétation de ces fluctuations longues fait débat : sont-elles également endogènes au système, un mode de régulation systémique, ce qui en ferait des étapes du développement, ou marquent-elles au contraire de véritables ruptures ? Pour Kondratiev, qui transpose à l’appréhension du cycle long la thèse que Tugan-Baranovski avait développée pour analyser le cycle classique, les ondes longues ne constituent pas des ruptures à part entière, notamment parce que la phase de dépression permet à l’épargne de s’accumuler, ce surplus d’épargne étant investi dans la phase ascendante.
Mais d’autres interprétations des ondes longues sont possibles. Elles peuvent s’analyser comme une rupture dans les modalités du processus de développement, mais n’en reste, selon cette approche, qu’une étape. C’est ainsi qu’Ernest Mandel appréhende le passage d’un Kondratiev à un autre comme le passage d’un système de machines à un autre . En ce sens, il rejoint donc Schumpeter pour qui la crise, puis la dépression longue, sont le résultat de la banalisation des grappes d’innovation : la phase A, fondée sur un ensemble d’innovations, arrive à son terme car les entrepreneurs innovateurs ont été imités et il y a eu généralisation de l’innovation. Ainsi, la crise économique, probablement amplifiée par la crise financière, est une crise majeure dans la mesure où elle est source de bouleversements profonds de l’appareil productif, mais elle permet par la suite de poursuivre le processus de développement. Néanmoins, on peut reprocher à ces approches de ne pas expliquer la naissance de l’innovation : il n’y a pas à proprement parler de théorie de l’innovation chez Schumpeter, si ce n’est le constat de tendances exogènes
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