Les industries alimentaires
Analyse sectorielle : Les industries alimentaires. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar EAGLE4 • 20 Mai 2016 • Analyse sectorielle • 10 740 Mots (43 Pages) • 757 Vues
Chapitre 2
Entreprises et secteurs, les IAA plurielles
(Christian Renault, AND-international)
Les industries agroalimentaires ne sont pas un continent mais un archipel. Cette ancienne description reflète toujours bien l’univers complexe formé par les activités productives qui consistent, pour l’essentiel à transformer des produits agricoles et analogues en biens alimentaires. Les milliers d’entités économiques qui constituent le « premier secteur industriel français »[1]recèlent une infinie diversité de taille, forme sociale, âge, origine et logiques d’action. L’atelier de découpe de viandes, la grosse biscuiterie artisanale, la grande sucrerie, la PME innovante dans le secteur biologique, les filiales champenoises et cognaçaises, la coopérative de fabrication pour nutrition animale appartiennent toutes au dit archipel que l’on nomme encore IAA, « industries agricoles et alimentaires ». Qu’ ont - elles cependant de commun ? La technologie, la réglementation, l’intensité capitalistique, la clientèle, les objectifs, la rentabilité, l’exposition à la concurrence internationale, l’image ? Seulement la finalité alimentaire, d’être la manufacture du vivant avec le point commun d’acheter des denrées (grains, racines, raisins) et des animaux, ayant subi ou non un premier « démontage » (farine, sucre, jus, carcasse, pièce,), de les transformer et combiner, et d’en commercialiser les produits devenus alimentaires sinon aliments.
C’est cette diversité que nous visons à illustrer en quelques pages; il ne s’agit pas de présenter chacune des activités ; plusieurs volumes n’y suffiraient pas si l’on voulait entrer dans le détail des techniques, des acteurs, des enjeux et des perspectives[2]. Il s’agit de donner simplement et sans fard au lecteur quelques clés de lecture de cet univers complexe, de manière à ce qu’il puisse, en situation, mieux comprendre comment fonctionne la « boite noire » qui intervient entre la vache et le sachet de fromage râpé et pourquoi le fait industriel s’approfondit un peu chaque jour. Nous abordons le positionnement des industries, entre agriculture et distribution alimentaire, avant de brosser une description sommaire des principaux types d’acteurs et de situer quelques enjeux stratégiques de localisation et d’innovation.
- Les IAA, pivot de la chaine de valeur alimentaire
Le champ de l’Industrie Agroalimentaire (IAA) est constitué par l’ensemble des acteurs économiques qui concourent à la transformation des biens issus de l’agriculture et de la pêche en biens destinés à l’alimentation humaine. Le caractère industriel différencie ces acteurs des artisans par l’échelle de leur activité et les facteurs de production.
1.1 Un secteur charnière
Dans la chaine de production, les IAA, occupent ainsi une place intermédiaire entre la production primaire et la distribution des biens alimentaires finis. Cette position charnière comprend une multitude d’activités différentes : encadrement de la production agricole, collecte, stockage, tri, première transformation (décomposition de la matière en plusieurs produits alimentaires ou non, intermédiaires ou finis, y compris sous-produits et déchets), seconde transformation (reprise des produits résultant de la première transformation à fin de nouvelles modifications, division ou élaboration de produits finaux), troisième transformation (ou assemblage et élaboration d’aliments préparés). La position centrale confère aux IAA une importante responsabilité dans la chaine de production et d’information, leur efficacité repose sur leur capacité à composer entre demandes et offres ; la faculté, pour les IAA, d’orienter la production agricole est égale à leur faculté d’orienter la consommation. Prenons deux exemples dont l’impact sera considérable pour l’avenir de l’humanité : la production de végétaux issus de variétés génétiquement modifiées (OGM) et l’épidémie d’obésité dans de nombreux pays développés ou émergents. Dans les deux cas, les IAA ont une responsabilité importante, même si d’autres acteurs, publics ou privés, y jouent un rôle éminent. Dans les cas des OGM, la décision des transformateurs peut, ou non, encourager les producteurs agricoles à adopter ou non cette technologie. Les dirigeants des grandes firmes agroalimentaires ne peuvent rester neutres face à cette question de société ; certains très grands acteurs ne cherchent pas à éviter l’emploi de ces matières premières controversées, d’autres bâtissent une partie de leur argumentaire produit sur la mention « sans ». Dans le cas de l’obésité, dont la croissance exponentielle est souvent imputée, associée au mode de vie sédentaire, à la composition des produits alimentaires (fortes teneurs en gras, sucres, sel, réducteurs de l’activité de l’eau, émulsifiants, ..), de nombreuses multinationales ont décidé de tenir compte des critiques ainsi formulées et se sont engagées dans une révision de leurs formules, de manière à réduire les taux incriminés. Conséquemment, les communications s’infléchissent et intègrent une composante de « bonnes pratiques » alimentaires. Là aussi, les choix des entreprises influencent les consommateurs, mais aussi les distributeurs, dont les positionnements imitent souvent celui des grandes marques de fabricants.
La position charnière se constate également en ce qui concerne la formation des prix alimentaires. Le grand public est souvent alerté et prié de s’indigner de la grave dérive entre des prix agricoles parfois insuffisants pour permettre aux producteurs agricoles de survivre et des prix alimentaires qui ne permettent pas aux ménages les plus modestes de s’alimenter correctement. Les « intermédiaires », version moderne des accapareurs dénoncés lors des crises frumentaires du 18ème siècle, sont, dans cette vulgate, les IAA et les distributeurs. De fait, le haut niveau de transformation des produits et l’allongement de la chaine de fabrication font que la part du prix du produit agricole dans le produit alimentaire tend à se réduire. Le phénomène a été particulièrement vrai au sein de l’Union Européenne puisque la politique agricole mise en œuvre de 1992 à 2005 a consisté à ouvrir le marché intérieur au marché mondial, la conséquence a été une baisse très significative des prix agricoles directeurs (grains, lait, sucre), qui a eu pour effet de diminuer la part des prix agricoles dans le coût alimentaire final. Afin d’éclairer un débat devenu passionnel, les pouvoirs publics ont créé « l’Observatoire des prix et des marges » (voir chapitre 8) qui, alimenté par les travaux de l’établissement public FranceAgriMer, permet, dans la limite des données disponibles et de la bonne volonté des acteurs économiques, d’éclairer le débat [3]. Les analyses se concentrent sur des produits alimentaires dont la trace agricole reste forte : le jambon cuit est l’un des produits les plus élaborés dont la constitution des prix est suivie par l’observatoire. Pour ce produit, la matière première agricole représente 32 % du prix final, la marge des distributeurs, 39% ; la marge brute des IAA est de 23%. La maitrise du prix de vente final repose très largement sur la capacité des industriels à réaliser des gains de productivité. En effet, la structure des coûts de la distribution est transversale et, au stade agricole une large partie des coûts dépend des cours mondiaux des grains. La marge de manœuvre se situe donc au stade intermédiaire, même si celui-ci ne représente, en l’occurrence, que moins d’un quart du total. Le même observatoire établit que la part du prix du blé dans le prix du pain (baguette) au détail n’était que de 5% début 2010 (avant la hausse du prix du blé), soit moins que la TVA. La situation est proche pour de nombreux produits issus des IAA.
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