Traumatisme Et Guerres : Le Cas Du Suicide
Dissertation : Traumatisme Et Guerres : Le Cas Du Suicide. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar val0108 • 9 Mars 2013 • 2 769 Mots (12 Pages) • 1 741 Vues
« Je me le suis promis, s’ils m’enlèvent une jambe, je me fais sauter le caisson. Je ne veux pas marcher estropié en ce monde » dit Kropp, un des personnages d’A l’ouest rien de nouveau de Erich Maria Remarque. Kropp est un militaire allemand, et avec ses camarades, il a vécu la guerre comme un bouleversement total, la remise en cause de tout ce qu’il savait. Dans le roman de Remarque, la guerre détruit chez les jeunes soldats la frontière qu’ils établissent entre la vie et la mort ; et Kropp, victime de la remise en cause radicale de sa conception de la vie, envisage de mettre fin à ses jours s’il en réchappe handicapé. Presque un siècle plus tard, Leandro Azevedo, militaire professionnel envoyé en Bosnie et rentré chez lui depuis, parle de «s’arracher les nerfs du cou pour que tout s’arrête » et demande : « pourquoi ne nous flinguent-ils pas au retour ? ».
Le suicide, « meurtre de soi-même » peut, à première vue, apparaître uniquement comme un symptôme de maladie mentale. C'est pourtant un concept à la fois familier à l'individu normal et à la société, qui mérite d'être étudié sous un autre aspect que celui de la simple pathologie. Kropp comme Azevedo illustrent un fait majeur des séquelles psychologiques laissées par la guerre : au-delà de l’étiologie, au-delà des symptômes, c’est la vie qui est remise en cause chez un individu.
En 2012, la vague de suicides dans l'armée américaine (155 suicides sur les six premiers mois de l'année) a été fortement médiatisée, mettant en lumière le problème du suicide des militaires.
I- Guerre et vie militaire : facteurs de traumatisme et de déstabilisation
La guerre est pour l'homme une expérience radicale et source de nombreux changements psychologiques. Comment rester indemne après avoir vu, comme Leandro, des gens mourir devant soi dans des conditions particulièrement choquantes ? La psychiatrie a identifié ces séquelles post-traumatiques sous la classification de Trouble de stress post-traumatique ou PTSD. Parmi les symptômes, des tendances suicidaires. Les nombreux suicides de militaires observés ont donc été identifiés comme liés au traumatisme, et regroupés sous la notion de PTSD.
A- Naissance et expansion du concept de PTSD à travers les traumatismes liés à la guerre
Comme Leandro, les anciens combattants sont souvent confrontés, à leur retour dans la réalité, aux conséquences de l’expérience de guerre. Les premières dépressions liées à un traumatisme furent recensées après la Première guerre mondiale, on parlait alors du « syndrome de l’obus » : les psychiatres tentaient d’établir un lien entre les symptômes observés et l’horreur, le fracas des bombardements. Et depuis plus d’un siècle, la psychiatrie cherche à comprendre ce qui provoque la souffrance des vétérans, cette souffrance qui dure souvent de nombreuses années après la fin de la guerre et qui est faite de cauchemars, d’angoisses soudaines et de dépressions. Pourquoi cet effondrement psychologique des soldats qui intervient non pas immédiatement mais après un temps de latence ? Quel événement met fin à leur solidité psychologique et les précipite dans un état de panique extrême ? Pourquoi cette peur irrationnelle, qui semble sans objet ?
En pratique, il existe une rupture qui modifie la perception de la réalité par le soldat, c’est la chute de ce que la psychanalyse désignerait sous le nom de fantasme. Cette rupture crée des troubles en lui qui se manifestent par des symptômes pathologiques : peur d’avoir peur, évitement affectif, envie de mourir … Ces symptômes furent regroupés en 1980 sous le nom de syndrome de Stress post-traumatique (PTSD), trouble anxieux sévère qui intervient à la suite d’une expérience vécue comme traumatisante. C’est dans le contexte de la guerre du Vietnam que le syndrome connût une véritable expansion et le potentiel suicidogène du PTSD fut rapidement souligné à cette période par des psychiatres américains. En effet, un taux de suicide 11% à 65% plus élevé a été constaté chez les vétérans avec un passé de combattants par rapport aux vétérans qui n’ont jamais pris part à une guerre. De nombreuses associations de victimes du syndrome furent alors créées (PTSD Association, Trauma-PTSD). A travers le PTSD, des liens sont ainsi établis entre la notion de traumatisme et l’activité militaire, qui est identifiée comme particulièrement porteuse de risques.
B- La professionnalisation du soldat et le « syndrôme du soldat de l'ONU ».
Dans les années 1990, la fin de la Guerre froide a amorcé un mouvement de professionnalisation des armées. Cette professionnalisation coïncide avec le déploiement de nouveaux types d’activités : du devoir de sacrifice à la guerre on passe à des missions de pacification et de maintien de la paix. Le combat est déshumanisé et il n’y a plus de véritables contacts avec l’ennemi mais il faut convoyer, protéger, identifier et enterrer les cadavres etc. A tel point que Lars Weisaeth évoque un « syndrôme du soldat de l'ONU » caractérisé par la perte de tout repère (identité nationale et rôle de combattant) et le mal-être du soldat, intercalé entre deux camps et qui assiste impuissant au déroulement des combats. La différence principale est ici que le soldat ne voit plus les horreurs par le prisme du combat mais par ses yeux à lui. De là un « sentiment d’impuissance à satisfaire les besoins et le spectacle de la misère, d’amoncellement de cadavres laissés à l’abandon deviennent autant de facteurs psycho-traumatisants ». Les opérations extérieures menées dans le cadre d’un mandat de l’ONU ont fait l’objet d’une évaluation particulièrement détaillée dans les milieux psychiatriques et c’est le théâtre de l’ex-Yougoslavie, celui où Leandro fut en exercice, qui a été déterminé comme le plus générateur de traumatismes. Les institutions militaires françaises, américaines et canadiennes notent une augmentation du stress, l’expression d’une plus grande détresse psychologique, qui se traduit par un taux de dépression et de suicides en hausse. L’agence Statistique Canada a réalisé une grande enquête auprès de 8000 militaires canadiens pour le compte des Forces Armées Canadiennes, l’enquête portait sur la santé mentale des troupes : les résultats démontrent qu’on dénombrerait un taux deux fois plus élevé de dépressifs que dans la population civile.
S’il est impossible de nier que le phénomène du suicide
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