1. Deux arrêts intéressants. Les décisions relatives à l'inscription en compte sont relativement rares. Les arrêts rendus le 18 septembre 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, tous deux promis à publication au Bulletin et rendus en formation de section, méritent donc une attention particulière.
En premier lieu, parce que tout en insistant sur l'importance de l'inscription en compte comme condition au transfert de la propriété des actions, à la différence des parts sociales « seulement » cessibles, la Cour de cassation apporte une précision sur la date de l'inscription en compte emportant ledit transfert : elle ne peut être antérieure à la notification de cette date faite à la société.
En second lieu, parce que la Cour de cassation juge que n'a pas à respecter de formalisme particulier l'ordre de virement adressé par le cédant à la société, en qualité de teneur de compte, pour que son registre soit « mouvementé » et les actions cédées inscrites au compte du cessionnaire.
Négociabilité des actions : c'est en principe l'inscription en compte qui compte2. Arrêt Cinedesigns (première espèce : n° 23-10.455, D. 2024. 1621 ). Dans cette affaire, deux cessions d'actions d'une SAS avaient été conclues en 2018 entre un cédant et deux époux cessionnaires. Dans la foulée, les statuts de la SAS avaient été modifiés pour indiquer que son capital était désormais réparti comme suit : trente-quatre actions pour le cédant et trente-trois pour chacun des époux. En 2021, les cessionnaires assignaient la société et le cédant aux fins d'obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée. En appel, trois arguments avaient permis de convaincre les juges douaisiens de ce que les cessionnaires étaient bien actionnaires : d'abord, l'absence de paiement du prix de cession n'était pas de nature à faire obstacle à la vente puisqu'en application de l'article 1583 du code civil la vente est parfaite et la propriété acquise à l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ; ensuite, l'opposabilité aux tiers de la cession résultait du dépôt au RCS de l'acte de cession et des statuts modifiés reprenant les qualités d'associés des deux cessionnaires ; enfin, les deux cessionnaires avaient été convoqués à des assemblées autres que celle dont ils sollicitaient la réunion, ce qui finissait de convaincre les juges d'appel de leur qualité d'actionnaire et de son opposabilité à la société.
3. Solution. L'arrêt est censuré. Selon la chambre commerciale de la Cour de cassation, il résulte de la combinaison des articles L. 228-1, R. 228-8, R. 228-9 et R. 228-10 du code de commerce « qu'en cas de cession d'actions non admises aux opérations d'un dépositaire central ou livrées dans un système de règlement et de livraison mentionné à l'article L. 330-1 du code monétaire et financier, le transfert de propriété résulte de l'inscription de ces actions au compte individuel de l'acheteur ou dans les registres de titres nominatifs tenus par la société émettrice. Cette inscription est faite à la date fixée par les parties et notifiée à la société émettrice. Cette date ne peut être antérieure à la notification faite à la société émettrice. » Elle en déduit que « le cessionnaire acquiert la qualité d'actionnaire à la date effective de l'inscription, par la société émettrice, des actions cédées au compte individuel de l'acheteur ou sur les registres de titres nominatifs qu'elle tient, cette société pouvant voir sa responsabilité engagée si cette date n'est pas celle fixée par les parties. »
4. Cessibilité versus négociabilité. En premier lieu, la Cour de cassation souligne la triple erreur commise par les juges d'appel qui, de toute évidence, avaient raisonné pour apprécier le transfert de propriété des actions, sur le modèle de la cession de parts sociales. Pour rappel, les parts sociales sont seulement « cessibles ». Cela signifie que ces parts, qu'il s'agisse de celles de sociétés civiles (C. civ., art. 1865 et D. n° 78-704 du 3 juill. 1978, art. 51), de SNC (C. com., art. L. 221-14 et R. 221-9 et SCS, sur renvoi de L. 221-2) ou de SARL (C. com., art. L. 223-17 qui renvoie à L. 221-14 ; R. 223-13 qui renvoie à R. 221-9), ne sont pas des titres négociables et que leur cession est assimilée, en partie, à une cession de créance ; cession dont le débiteur cédé serait ici la société. Il en résulte que le transfert de la propriété des parts s'opère bien solo consensu, peu important effectivement que le prix ait été, en tout ou partie, payé par l'acheteur, le tout sous réserve, naturellement, de la volonté des parties. Cela implique en outre, pour que les cessions soient déclarées opposables à la société et aux tiers, l'accomplissement d'un certain nombre de formalités. En laissant de côté la question de l'agrément du cessionnaire, la vente doit être rédigée par écrit et rendue opposable, d'abord à la société par une signification dans les conditions de l'article 1690 du Code civil ou des formalités jugées analogues ; ensuite aux tiers, une fois l'opposabilité à la société devenue effective, par le dépôt au greffe d'un exemplaire à jour des statuts ou de l'acte de cession.
5. L'inscription en compte. Le transfert de la propriété des actions, qui sont des valeurs mobilières, donc des titres financiers (C. mon. fin., art. L. 211-1, II), repose sur une tout autre logique. Ce n'est pas l'accord des parties sur la chose et le prix qui emporte transfert de la propriété des actions cédées, mais l'inscription de ces actions au compte individuel de l'acheteur ou à son nom dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP tel qu'une blockchain), conformément aux articles L. 228-1, alinéa 9, du code de commerce et L. 211-17, I, du code monétaire et financier (précisons que l'on se trouvait en l'espèce dans une hypothèse où les actions émises par la société n'étaient ni admises aux opérations d'un dépositaire central ni livrées dans un système de règlement et de livraison d'instruments financiers). Il résulte de cette négociabilité, qu'en l'absence d'inscription en compte, les actions demeurent dans le patrimoine du cédant, de sorte que le cessionnaire ne peut avoir la qualité d'actionnaire et, par construction, prétendre aux droits attachés à cette qualité : solliciter, par exemple comme en l'espèce, la désignation d'un mandataire ad hoc pour la convocation d'une assemblée. D'ailleurs, toute participation du cessionnaire aux assemblées en l'absence d'inscription en compte génèrerait un risque d'annulation de ces assemblées. En outre, tant que la société, son dirigeant en réalité, n'a pas procédé à l'inscription en compte, le transfert de la propriété des actions n'est opposable ni à la société ni aux tiers. C'est la raison pour laquelle il importait peu, comme l'avait jugé à tort la cour d'appel, que le prix ait été payé ou non par le cessionnaire, que les statuts aient été ou non modifiés pour décrire la nouvelle répartition du capital social ou encore, que les statuts aient ou non fait l'objet d'un dépôt au greffe.
6. Exceptions et limites à l'inscription en compte. On perçoit immédiatement l'importance qu'il y a pour une société par actions et ses actionnaires à tenir ses registres, au moins en principe : pas d'inscription en compte, pas de droits sur les actions, pas de qualité d'actionnaire. Il faut toutefois immédiatement préciser deux choses.
D'une part, comme des auteurs l'ont déjà parfaitement mis en exergue, l'inscription est indiscutablement importante, mais il ne faudrait pas en exagérer la portée au point de considérer que l'inscription ou, au contraire, le défaut d'inscription en compte, serait insurmontable ; en particulier en créant au profit de l'inscrit une présomption irréfragable de propriété donc de la qualité d'actionnaire (ce que ne dit pas d'ailleurs aujourd'hui l'art. L. 211-16 c. mon. fin.) ou en interdisant au non inscrit, dans certains cas, de revendiquer la qualité d'actionnaire (v. sur cette problématique, avec diverses illustrations, A. Reygrobellet, D. 2003.1225, note ss. Com. 22 oct. 2002, n° 98-22.772 F-D, D. 2003. 1225 [pic 1], obs. A. Reygrobellet [pic 2] ; Rev. sociétés 2003. 511, note M. Dubertret [pic 3] ; RTD com. 2003. 324, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard [pic 4] ; A. Reygrobellet et H. Le Nabasque, L'inscription en compte des valeurs mobilières, RD banc. fin. 2000. 261 ; des mêmes auteurs, L'inscription en compte des valeurs mobilières, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, nov. 2002, p. 4 s.). Et cette mesure à laquelle invitent ces auteurs quant à la portée de l'inscription en compte est bienvenue, tant il arrive que des sociétés ne tiennent pas ou tiennent mal leurs registres, ou encore tant il se peut que l'inscription soit tout bonnement irrégulière ou « passée » sur le fondement d'un acte juridique lui-même irrégulier.
D'autre part, on rappellera qu'il existe des exceptions à cette concordance entre l'inscription en compte et la qualité d'actionnaire de la société ou la qualité de propriétaire (ou de titulaire d'un droit réel) des actions. Certaines sont légales. C'est le cas, par exemple, du mécanisme dit de la « record date » qui emporte déconnexion entre l'inscription en compte et le droit de participer et de voter aux assemblées (C. com., art. R. 22-10-28, pour les actions admises aux négociations sur un marché réglementé ou aux opérations d'un dépositaire central ; art. R. 225-86, dans les autres cas). D'autres exceptions sont justifiées par la force des choses. On songe au décès d'un actionnaire. Dans cette hypothèse, l'inscription en compte ne peut être imposée comme condition au transfert de la propriété des actions au profit des héritiers, qui intervient par dévolution successorale. À tout le moins, si l'on devait l'admettre, il faudrait alors considérer que ces actions sont possiblement res nullius entre le décès de l'actionnaire et la date d'inscription en compte des héritiers ou la modification de l'intitulé du compte de l'actionnaire défunt. Et on imagine la difficulté supplémentaire dans l'hypothèse où les héritiers devraient être agréés ; ce qui peut être le cas dans une SAS (C. com., art. L. 227-14 par dérogation à l'art. L. 228-23). Pour cette raison, on admettra avec d'autres auteurs que, une fois informée du décès de tel actionnaire, la société doive procéder à la modification de l'intitulé du compte de l'associé défunt (J.-Cl. Droit bancaire et financier, v° Identification des actionnaires, fasc. 1856, par R. Foy et S. Maouche, nos 33 s., « Dès qu'il est avisé de l'ouverture de la succession par le notaire, le teneur de compte modifie l'intitulé du compte, qui devient un compte ouvert au nom de la "succession X". En revanche, le virement au nom d'un héritier peut prendre beaucoup de temps. Avant cette dernière opération, l'ouverture éventuelle d'un compte en indivision, avec les noms de tous les indivisaires implique la réception d'un "certificat de mutation" établi par le notaire ou d'une pièce s'y substituant »). Il reste que la modification de l'intitulé du compte ou le virement au compte de tel héritier ne saurait être la condition de la transmission de la propriété des actions, pas plus, d'ailleurs à notre avis, qu'elle ne saurait valoir reconnaissance de la qualité d'actionnaire aux héritiers, si un agrément leur était opposable.
7. Date de l'inscription en compte. Le second aspect très important de la solution tient à la précision apportée par la Cour de cassation s'agissant de la détermination de la date d'inscription en compte. Pour mémoire, les conditions de fixation de cette date sont prévues par l'article R. 228-10 du code de commerce, selon lequel la société (son dirigeant) procède à l'inscription au compte de l'acheteur dans ses registres ou à son nom dans un DEEP « à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice » (s'agissant des titres financiers admis aux opérations d'un dépositaire central ou livrés dans un système de règlement et de livraison d'instruments financiers, les modalités sont fixées aux art. 570-3 s. du RGAMF, v. A. Charvériat, B. Dondero, F. Gilbert et M.-E. Sébire, Mémento sociétés commerciales, EFL, 2025, n° 62530).
8. Discussion doctrinale. Au lendemain de la parution du décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006 (art. 60, pris pour l'application de l'art. L. 228-1, al. 9, c. com., devenu l'art. R. 228-10), s'était posée la question de savoir si la date d'inscription en compte fixée par l'accord des parties (dans l'acte de cession et/ou dans l'ordre de mouvement adressé à la société par le cédant), pouvait être antérieure à la notification à la société de cette date de cession. En d'autres termes, pouvait-on admettre que la société mentionne dans ses registres de titres nominatifs une date antérieure au jour où elle avait été notifiée, de sorte que le transfert aurait un caractère "rétroactif", puisque fixé à une date antérieure à celle d'inscription effective en compte ? Globalement, la doctrine était très réservée. Au mieux, certains auteurs relevaient que l'article R. 228-10 ne l'interdisait pas, formellement, mais ils émettaientimmédiatement la réserve des droits des tiers, singulièrement ceux des créanciers des parties à la vente (v. not., H. Le Nabasque, Date du transfert de propriété en cas de cession d'actions « non cotées », RD banc. fin. 2007. 37). D'autres auteurs considéraient plus directement que « l'article L. 228-1 du code de commerce établit un lien d'ordre public entre le transfert de propriété et l'inscription au compte de l'acheteur : il n'ouvre aucune alternative en disposant que le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur. Aussi doit-on en déduire que les parties ne peuvent fixer la date de l'inscription avant celle de la notification. La date de l'inscription peut être contemporaine de celle de la notification ou postérieure mais elle ne saurait être antérieure. » (H. Hovasse, Cession de valeurs mobilières – Transfert de propriété, Dr. Sociétés févr. 2007. 23).
9. Position adoptée. C'est cette position qui est retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation : « cette date [d'inscription en compte] ne peut être antérieure à la notification faite à la société émettrice ». On comprend la logique suivie par la Cour de cassation. D'un côté, les parties ont bien la maîtrise de la date du transfert de propriété des actions et donc de celle de l'inscription en compte (en ce sens, H. Le Nabasque, art. préc.). D'un autre côté cependant, elles ne sauraient imprimer au transfert de propriété des actions un caractère « rétroactif ». À cela, plusieurs raisons. D'abord, la société n'a pu procéder à cette inscription qu'à compter du jour où elle a eu officiellement connaissance de la cession, soit une fois la notification intervenue de sa date fixée par les parties (en théorie la notification devrait être faite dans les conditions des art. 651 s. du c. pr. civ., v. H. Hovasse, art. préc.). Toute autre solution supposerait d'admettre que la société soit autorisée à ne pas garantir les droits du cessionnaire devenu associé, puisque inscrit dans ses comptes. Dit clairement, des assemblées pourraient s'être tenues dans l'intervalle séparant la date d'inscription retenue et l'inscription matérielle du cessionnaire. Ensuite, admettre la possibilité d'une inscription « rétroactive » exposerait les tiers au risque de fraude. Pour ces raisons, on ne peut qu'approuver la position de la Cour de cassation, qui rappelle d'ailleurs la responsabilité de la société en qualité de teneur de compte. Et on l'approuve d'autant plus que la cession des actions n'est pas forcément établie par écrit et qu'à la différence d'autres registres, notamment ceux des assemblées (sauf dans les SAS), ceux de titres nominatifs ne sont pas nécessairement cotés et paraphés. Au résultat, une fois la notification de la date de cession intervenue, la société doit, dans les meilleurs délais et, en toute hypothèse conformément aux prévisions des parties, procéder aux écritures. Et deux possibilités se présentent à elle en sa qualité de simple mandataire chargé de la tenue des registres et donc chargé de scrupuleusement respecter la volonté des parties : soit la date convenue par les parties est postérieure à celle de la notification et la société doit alors s'y conformer ; soit les parties sont demeurées silencieuses sur la date du transfert et la société devra retenir comme date d'inscription en compte celle la plus proche de la notification pour transcrire au plus vite. En revanche, on ne saurait demander à la société, en qualité de teneur de compte, qu'elle procède à une inscription à une date antérieure à celle de la notification.
Le contenu et la forme de l'ordre de mouvement10. Arrêt Calestor (seconde espèce : n° 22-18.436). Était en cause ici une cession de la totalité des actions d'une société Calestor, entre une société Finole, cédante, et un cessionnaire, M. S. En l'occurrence, plutôt que d'établir un écrit constatant la cession de la totalité des actions de la société Calestor, les parties étaient convenues de remplir un formulaire Cerfa n° 2759-SD pour l'accomplissement des formalités près l'administration fiscale et la taxation des droits d'enregistrement. Contestant avoir cédé ses actions, la société Finole avait décidé de révoquer M. S. de son mandat de président lors d'une assemblée tenue le 7 décembre 2017, puis l'avait assigné aux fins de voir juger qu'aucune cession n'était intervenue et que la révocation de son mandat de président était régulière.
11. Discussion. Dans son pourvoi contre l'arrêt l'ayant déboutée, la cédante avançait deux arguments au soutien de l'irrégularité de l'inscription en compte du cessionnaire. D'une part, elle reprochait à la cour d'appel d'avoir jugé que le formulaire Cerfa, signé par elle et précisant toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres, pouvait valoir ordre de mouvement. En effet, selon la cédante, la délivrance des actions cédées s'exécute par la signature d'un ordre de mouvement, distinct de tout autre acte, et cette formalité incombe au seul cédant. Partant, juger que l'inscription, par M. S., de la cession dans le registre des mouvements de titres de la société et de son compte d'actionnaire était régulière et que le transfert de propriété était intervenu, c'était violer les articles L. 228-1 du code de commerce, ensemble les articles 1604 et 1607 du code civil. D'autre part, la cédante prétendait que la signature du Cerfa destiné à l'administration fiscale ne pouvait correspondre à l'exigence d'établissement en bonne et due forme d'un ordre de mouvement conformément à l'article 10 des statuts de la société, selon lequel : « la transmission d'actions s'opère, à l'égard des tiers et de la société, par un ordre de mouvement signé du cédant ou de son mandataire, et mentionné sur les registres de mouvements de titres de la société ».
12. Solution. Ces deux arguments sont écartés par la Cour de cassation qui, après avoir relevé que, aucun texte législatif ou réglementaire ne régit la forme et le contenu de ce « document », approuve la cour d'appel d'avoir jugé que le formulaire Cerfa pouvait valoir ordre de mouvement régulier et justifier la transcription de la cession par le cessionnaire et président dans les registres de la société.
13. Délivrance des actions cédées. À titre liminaire, il convient d'observer que la Cour de cassation ne revient pas directement sur l'argument du cédant d'après lequel l'exécution de l'obligation de délivrance par la cédante ne pouvait résulter de la seule signature par elle d'un Cerfa, mais supposait une formalité à part entière. Cela dit, le silence de la Cour de cassation ne surprend pas. Certes, il a déjà été expressément jugé, sur le fondement du droit de commun de la vente, que « l'obligation de délivrer les actions cédées s'exécute par la signature des ordres de mouvement et que cette formalité incombe au seul cédant » (v. déjà, Com. 24 mai 2011, n° 10-12.163 P, Dalloz actualité, 9 juin 2011, obs. X. Delpech ; D. 2011. 1557 [pic 5] ; Rev. sociétés 2012. 157, note M. Dubertret [pic 6] ; RTD civ. 2012. 137, obs. T. Revet [pic 7]). Dit autrement, le cessionnaire des actions ne saurait donner instructions à la société de procéder à la transcription de la cession dans ses registres dans la mesure où il ne peut se substituer au cédant seul tenu de cette obligation de faire et donc seul « habilité » à l'accomplir. Tout au plus, à défaut pour le vendeur d'exécuter son obligation essentielle, le cessionnaire pourrait agir en exécution forcée. On notera d'ailleurs qu'à l'inverse, il a déjà été admis que le cédant, qui avait valablement adressé un ordre de mouvement à la société, agisse en exécution forcée contre elle, au motif, précisément, que la société ne peut apprécier ni la nature ni la validité de la cession et pour cette raison ne peut s'opposer à l'inscription des actions au compte du cessionnaire (Civ. 3e, 16 sept. 2008, n° 07-17.892 FD, JDI 2008. 884 [pic 8] ; Dr. sociétés 2009, n° 176, obs. M.-L. Coquelet).
Il reste que si l'obligation de délivrance ne peut résulter que d'une manifestation expresse de volonté du cédant, cette volonté peut être établie librement et n'est pas, en particulier dans les cessions d'actions (autres celles admises sur une plateforme de négociation), formellement encadrée.
14. Silence des textes spéciaux. Ensuite, si l'article L. 228-1, alinéa 9, du code de commerce dispose que le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur ou dans un DEEP, de même que si l'article L. 211-15 du code monétaire et financier prévoit expressément que les titres financiers se transmettent par un virement de compte à compte, donc par un débit du compte du cédant et le crédit de celui du cessionnaire, ce qui suppose effectivement qu'un ordre de virement ou de mouvement ait été adressé à la société, rien n'est dit de son contenu ou de sa forme. D'ailleurs, si le mot "ordre" apparaît parfois dans le code monétaire et financier, sa partie réglementaire afférente à la transmission des titres financiers ne contient aucune disposition s'agissant du virement de compte à compte, pas plus que le code de commerce n'évoque l'existence d'un tel ordre de mouvement (sur le régime de tenu des comptes-titres et l'articulation entre indication du nom du cessionnaire dans les registres de mouvements de titres et inscription du cessionnaire en compte individuel d'actionnaire, v. ANSA, avis n° 18-007 du 7 févr. 2018). On ne voit donc pas, en effet, ce qui, formellement, interdisait aux juges parisiens de considérer que la signature d'un formulaire Cerfa par le cédant suffisait à valoir ordre de mouvement. À tout le moins, on ne le voit pas dès lors que les statuts de la société se contentaient d'exiger du cédant qu'il signe un tel ordre, sans par ailleurs imposer le respect d'un formalisme particulier (par ex., courriel ou courrier AR comprenant telles mentions obligatoires ; recours au modèle AFNOR n° NF K 12-500, élaboré dans le cadre du Cahier des charges applicable aux teneurs de comptes d'instruments financiers non admis aux opérations d'un dépositaire central par l'ANSA et le CFONB, dont la dernière édition date de juill. 2008, ANSA, avis n° 10-002).
15. Position conforme à celle de l'ANSA. Sur ce point, on note que la solution adoptée par la Cour de cassation rejoint celle récemment exprimée par l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA) dans un avis de mars 2024. Interrogée sur la question de savoir si la transmission à l'émetteur du formulaire fiscal Cerfa n° 2759-SD de cession de titres vaut notification régulière d'un ordre de mouvement, l'ANSA avait répondu positivement. Ainsi, après avoir constaté que « le contenu du formulaire fiscal Cerfa relatif aux « cessions de droit sociaux non constatée par un acte » contient suffisamment de mentions permettant l'inscription en compte de l'acquéreur », le comité « rappelle que celle-ci suppose un ordre de virement des titres qui doit émaner du cédant et que la forme de cette instruction n'est pas réglementée, même si l'utilisation du modèle mis au point par le Comité français d'organisation et de normalisation bancaire (CFONB) et l'ANSA est recommandée. Dès lors, la notification au teneur de compte par le cédant du formulaire Cerfa, signé par celui-ci, équivaut à la transmission régulière de l'ordre de mouvement (même en l'absence de signature du Cerfa, la notification par le cédant équivaut à une signature). À défaut, le teneur de compte devrait interroger le cédant avant de procéder à l'inscription en compte de l'acquéreur. » (ANSA, avis n° 24-017 du 6 mars 2024).
16. Pragmatisme. On notera enfin que la solution rendue par la Cour de cassation est pragmatique au vu des faits de l'espèce. Il n'est pas évident de savoir si le formulaire signé par le cédant avait été, au cas particulier, « formellement » notifié à la société par le cédant. Pourtant, de ce que l'on comprend des circonstances, le cessionnaire était devenu associé unique et président de la société dont les actions étaient cédées. Par construction, la cession intervenue entre les parties ne pouvait donc être ignorée de la société qui, on le rappelle, est tenue en qualité de teneur de compte de procéder aux inscriptions dans ses registres dans les meilleurs délais lorsqu'elle a connaissance de la cession et sous réserve de la date de transfert convenue entre les parties.
17. En définitive, il s'infère de cet arrêt que le formulaire Cerfa signé par les parties remplissait ici quatre fonctions : formaliser la cession entre elles ; déclarer l'opération à l'administration fiscale ; ordonner de mouvementer les comptes et de procéder à l'inscription au compte individuel du cessionnaire ; emporter, peut-être, notification à la société de la date de cession. On en conviendra, ce second arrêt du 18 septembre 2024 constitue une belle illustration de ce que la négociabilité des valeurs mobilières renvoie bien aux formalités simplifiées du droit commercial.
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