En quoi la géopolitique permet-elle d’appréhender le conflit actuel entre l’Ukraine et la Russie ?

« L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. ». Cette citation de Zbigniew Brzezinski dans son ouvrage mondialement reconnu, Le grand échiquier, évoque à quel point l’Etat Russe a dans son histoire toujours reposé sur une logique impérialiste et de domination, mais surtout à quel point l’Ukraine est un élément essentiel de sa puissance au sein du continent européen, sans lequel la Russie semble s’asphyxier et perdre de son importance. C’est donc dans une optique de préserver cette puissance “impériale” que la Russie s’est lancée à l'assaut de l’Ukraine en février 2022. Cette invasion russe qui constitue une violation flagrante du droit international et des principes fondamentaux de l’ordre international en ce qu’elle viole les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, est le défi le plus grave auquel l’ordre et la sécurité européens ont eu à faire face depuis 1945. L’Ukraine et la Russie partagent une histoire de coexistence difficile, de confrontation géopolitique et de rivalité politique et culturelle. L’Ukraine faisait en effet partie de l’Union des républiques socialistes soviétiques centrée autour de la Russie, qui s’est effondrée en 1991. Depuis, l’Ukraine fait l’objet d’une politique de plus en plus polarisée et donc divisée entre les visions pro-occidentales et les orientations pro-russes. La guerre russo-ukrainienne avait en réalité déjà débuté en 2014, lorsque la Russie a envahi le territoire ukrainien et annexé la Crimée. L’approche stratégique de la Russie rappelle ses préoccupations d’accès à la mer Noire, et donc par son biais sa capacité de projection de puissance à l’internationale. L’escalade conflictuelle qui a finalement mené à l’invasion de l’Ukraine en 2022 a commencé à la fin de l’année 2021, lorsque les forces militaires russes se sont massivement déployées le long de la frontière avec l’Ukraine et que les responsables russes ont présenté un projet d’accord demandant aux États-Unis et à l’OTAN de cesser toute activité militaire en Europe de l’Est et en Asie centrale, de s’engager contre l’élargissement futur du territoire de l’OTAN vers l’est et de refuser à l’Ukraine et à la Géorgie la possibilité de se joindre à l’OTAN à l’avenir. Ces demandes ont été rejetées par les Etats-Unis et d’autres membres de l’OTAN ce qui a incité Vladimir Poutine à envahir officiellement l’Ukraine, lui déclarant alors la guerre. Ce contexte dans lequel s’inscrit la guerre russo-ukrainienne fait émerger l’interrogation suivante : pourquoi le contexte historique, tant géographique que politique, permet-il d’appréhender le conflit initié par l’invasion de l’Ukraine en 2022, son inscription dans les mécanismes politiques russes et ses implications pour l’ordre international ? D’abord, la nation ukrainienne fait l’objet d’une histoire complexe et intimement liée à celle de la Russie, mais surtout, l’Ukraine qui est aujourd’hui devenue un “pivot géopolitique”, représente des enjeux de puissance essentiels pour la Russie.

I- La nation ukrainienne : une histoire complexe et intimement liée à celle de la Russie.

Au coeur du conflit actuel, la nation ukrainienne fait l’objet de diverses interrogations, notamment autour de la notion de la “Rous de Kiev”, qui est déclarée par Vladimir Poutine comme le berceau de la Russie (a), par ailleurs, la nation ukrainienne provoque l’admiration au sein des peuples européens de par la force du sentiment national qui l’habite et qui

semble être la raison de la subsistance de l'État d’Ukraine (b).

a- La “Rous de Kiev” : berceau de la Russie ?

Au regard de l’histoire de l’Ukraine en tant que nation, survient le sentiment d'une histoire ancienne qui s’oppose à l’indépendance extrêmement récente de l’ Ukraine en tant que nation souveraine, qui ne date en réalité que de 1991. Il est vrai, cependant, que des traces de l’histoire du territoire ukrainien sont datées aussi loin que le VIIIè siècle. Le territoire apparaît d’abord avec l’entité de la “Rous de Kiev”. Cette dernière n'était alors pas vraiment un État mais une confédération de territoires dans lesquels étaient installés différents peuples qui étaient soit déjà présents en Asie centrale, soit qui venaient de Scandinavie, ou encore qui descendaient de peuples vikings. La Rous de Kiev est à l’époque une région très commerçante, où sont établies notamment deux villes importantes que sont Kiev et Novgorod. Ces deux villes se succèdent d’ailleurs en tant que capitale de la confédération, avec Novgorod de 879 à 882 et Kyiv de 882 à 1240. Le président actuel de la Fédération de Russie Vladimir Poutine se sert donc de cette histoire en faisant le lien avec l'Ukraine, ce qu’il faisait déjà dans certains de ses discours précédant l’invasion, où il évoque l'idée que le berceau de la Russie est l'Ukraine, essayant d’installer comme un lien de filiation entre la Russie et le territoire originel de l’Ukraine. En effet, du côté russe, à l’époque de la Rous de Kiev, il n'y a pas vraiment encore d'État, seulement la petite principauté de Moscou qui n’est pas aussi dynamique que Novgorod et Kiev qui, puisqu’elles sont des points essentiels du commerce, sont des villes riches et puissantes. Cette appropriation de la Rous de Kiev comme le berceau de la Russie consiste en une sorte de réécriture de l'histoire, puisqu’en réalité, dire que la Russie actuelle est née à Kiev, comme le revendique Vladimir Poutine, est une erreur. La Russie ne tient pas ses origines directement de Kiev, mais de territoires situés à l’extrême nord-est de l’ancienne Rous de Kiev, qui comptent notamment les villes de Vladimir, Souzdal et Moscou. Ainsi, Kiev n’est pas la “mère des villes russes”, elle faisait simplement partie de la même entité territoriale que les territoires ancêtres de la Russie. Cette prétention à réécrire l’histoire peut sans doute s’expliquer par le fait que la Russie ne sait exister qu'en tant qu'Empire, et qu’elle a donc besoin d’exercer son autorité sur un territoire dont l’immensité doit correspondre à ses velléités de pouvoir. Par ailleurs, le territoire de l’ancienne Rous de Kiev n’englobait pas seulement l’Ukraine mais aussi la Biélorussie, qui n’est aujourd’hui pourtant pas menacée d’une invasion militaire par la

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