« La séparation Des Pouvoirs Peut-elle Rendre Effectif Le Principe Selon Lequel « Le Pouvoir Arrête Le Pouvoir ? »

Il convient de situer cette formule. Elle figure dans la conclusion du célèbre chapitre VI du livre XI de « l’esprit des lois » de Montesquieu : c’est une vérité éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser et va jusqu’à ce qu’il trouve des limites qui l’arrêtent. Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.

A ce niveau, il est indispensable de consacrer quelques lignes à la théorie de la séparation des pouvoirs. Celle-ci se présente comme un discret moyen de lutte contre l’absolutisme royal, en vantant les mérites des institutions anglaises. Le chapitre dont est extrait la formule s’intitule précisément « de la constitution de l’Angleterre ». C’est l’observation de la monarchie limitée, établie dans ce pays, qui a fourni à Montesquieu les éléments de sa théorie. On remarquera qu’à ce moment, le régime parlementaire n’était pas encore en place, il s’en faut d’un bon demi-siècle. En conséquence, la séparation des pouvoirs est complètement étrangère à ce type de régime qui ne saurait donc servir de base à notre analyse. En revanche, des régimes dits de séparation ont essayé, des deux côtés de l’Atlantique, de faire une place aux préceptes du baron de La Brède. Il y a eu, en effet, une lecture américaine et des lectures françaises de la théorie : la Constitution des Etats-Unis et nos Constitutions de 1791, de l’an III et de 1848, fourniront le terrain de la démonstration qui doit mesurer l’efficacité du principe de la limitation du pouvoir par le pouvoir. Celle-ci ne se réalisera qu’à une série de conditions tenant à l’indépendance des pouvoirs, d’une part, et surtout à leur nécessaire collaboration, d’autre part.

1 Des pouvoirs assurés de leur indépendance

Cette indépendance de chacun des trois pouvoirs, et principalement de l’exécutif et du législatif, dépend en premier lieu de leur désignation, mais aussi des conditions d’exercice de leurs fonctions.

a) la désignation

L’indépendance est postulée au premier chef, par la désignation des différents organes constitutionnels. Le pouvoir, pour conduire à la modération souhaitée, doit être remis à des autorités nettement différentes : ainsi, aux Etats-Unis, le Président est élu au suffrage indirect par la population qui désigne aussi, mais séparément, les membres du Congrès et une bonne part des juges. Dans la France de 1791, l’exécutif était détenu par un roi héréditaire, cependant que l’assemblée législative, comme les juges, étaient élus. La séparation était certes moins tranchée de ce point de vue en l’an III, mais en 1848, on retrouve un président de la République élu pour quatre ans au suffrage universel direct, face à une assemblée élue de la même manière, mais pour trois ans.

b) les conditions d’exercice des fonctions

L’indépendance ne peut être assurée que si l’existence des différents organes constitutionnels n’est pas menacée. L’exécutif ne doit pas pouvoir dissoudre ou ajourner le législatif, qui, de son côté, ne doit pas être à m^me de renvoyer ou renverser l’exécutif. L’absence de toute notion de responsabilité politique est évidente dans les constituions de référence. L’ « Impeachment américain », comme la procédure de la haute cour de 1848, sont des moyens exceptionnels et marginaux. En définitive, les pouvoirs sont obligés de cohabiter, c’est un mariage sans divorce possible. Le tout est alors d’éviter les scènes de ménage et les crises de régime. Il faut bien convenir que, dans ce domaine, les Américains ont beaucoup mieux réussi que nous.

II Des pouvoirs contraints de collaborer

Si Montesquieu a souhaité la séparation des pouvoirs, il n’a jamais préconisé leur isolement, tout au contraire. Les organes constitutionnels doivent

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