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La place du juge

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Par   •  22 Avril 2018  •  Dissertation  •  4 537 Mots (19 Pages)  •  1 930 Vues

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« Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi »

Le 8 Juin 2017, La Cour d’appel de Caen a validé la double filiation d’un enfant né d’une relation frère-sœur, et ce à l’encontre de ce qui est prévu par la loi dans l’Article 310-2 du Code Civil. La Cour d’appel a en effet décidé de faire primer les intérêts de l’enfant sur les dispositions prévues par le Code Civil. Cette décision met en avant les conflits potentiels entre le juge et la loi et invite à s’interroger sur la validité de la citation de Montesquieu « les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi ». 

        

Cette citation de l’Esprit des lois, Livre XI chapitre 6 : « De la constitution d’Angleterre », exprime une vision fermée de la séparation des pouvoirs telle qu’elle a été théorisée par Montesquieu, philosophe et écrivain français des Lumières, à la suite de Locke. Dans cette théorie de 1748, le juge n’a pas d’autonomie par rapport à la loi, c’est un « être inanimé » avec un pouvoir très limité car il applique la loi sans pouvoir modifier ni son sens ni sa portée.

        Dans la définition de Montesquieu, le terme de juge de la nation désigne celui qui tranche le litige, qui applique le droit. C’est donc un terme qui englobe des réalités très différentes, car le juge peut être un professionnel ou non et il en existe une pluralité : juge judiciaire, constitutionnel, administratif et même aujourd’hui juge européen mais cette dimension n’était bien sûre pas prise en compte par Montesquieu le juge européen ne sera pas spécialement traité ici. Mais surtout, le juge est ici une personnification de la justice en général, du pouvoir judiciaire. Il est donc essentiel de s’intéresser à la fonction du juge mais également à la jurisprudence qu’il va produire. La jurisprudence est l’ensemble des décisions rendues par tous les tribunaux mais ce terme est également utilisé pour définir certaines décisions rendues par les juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’Etat, Conseil Constitutionnel, CEDH) qui contribuent à l’interprétation des lois et ont donc une portée normative.  Dans sa citation, Montesquieu met le juge en position de soumission par rapport à la loi à travers la métaphore de la bouche et de la parole. Ainsi, le juge est « La » bouche de la loi. L’emploi du singulier signifie bien ici que la justice doit parler d’une seule voix car, puisque les juges ne doivent faire qu’appliquer la loi, il ne peut y avoir d’avis divergents entre eux. La loi désigne à la fois l’ensemble des règles de droit et l’acte juridique pris par le Parlement, c’est donc en cela que la loi est l’expression de la volonté générale et doit primer sur la volonté arbitraire du juge.

Ainsi, cette distinction entre le juge et la loi est à comprendre dans le contexte de l’Ancien Régime. Ce dernier est marqué par une pouvoir important des juges, représentants du roi et de la noblesse, qui tranchaient en leur faveur.  La Révolution française, imprégnée de la crainte d’un gouvernement des juges, a donc voulu instaurer un système de soumission des juges par rapport à la loi. Il s’agissait de faire prévaloir la loi, expression de la volonté générale : c’est le « légicentrisme révolutionnaire ». A partir de là, le juge devient une véritable « bouche de la loi » suivant la conception de Montesquieu, il joue un rôle passif d’application de la loi. Cette vision est confirmée en 1804 avec l’instauration du Code Civil et avec la mise en place du référé législatif de 1837, obligeant le juge à s’adresser au législateur en cas de difficultés d’interprétation. Cependant, au cours du temps, le juge prend de l’importance et concurrence, voir même contourne la loi. Dès la seconde moitié du XIXème siècle, la doctrine commence à s’intéresser au rôle de la jurisprudence et à se questionner sur son pouvoir normatif. Ainsi, dans sa troisième édition de l’Introduction générale à l’étude du droit de 1856, Esbach considère pour la première fois « la doctrine des jurisconsultes et la jurisprudence des arrêts » comme source du droit en plus de la loi et de la coutume. Il y a peu à peu une évolution du pouvoir du juge qui acquiert de la puissance parallèlement à un affaiblissement de la loi, notamment avec l’émergence de nouvelles réalités sociales auxquelles le droit va devoir s’adapter. La Vème République, instituant le constitutionalisme et reléguant la loi à la troisième place de la hiérarchie des normes va accélérer l’inversion du rapport de force entre la loi et le juge, tout comme la multiplication des zones créatrices de droits telle que l’Union Européenne.

L’évolution du rapport entre la loi et le juge est aujourd’hui un sujet au cœur de débats doctrinaux, d’autant plus qu’il met en jeu le principe de séparation des pouvoirs et questionne sur la nature de la jurisprudence : est-elle une source de droit ou une simple autorité ? Récemment, les propositions de réformes de la Cour de Cassation ou bien la montée en puissance des juges internationaux tels que ceux de la Cour européenne des droits de l’homme ont ravivé le débat autour du pouvoir du juge en France. Néanmoins, ce débat touche également certains pays du Common Law tel que les Etats-Unis où le juge possède, en théorie, une place bien plus importante qu’en France.

Il s’agit de s’interroger sur la pertinence de la citation de Montesquieu aujourd’hui. Ainsi, dans quelle mesure les juges de la nation sont-ils encore la bouche de la loi ?

S’il existe bien une concurrence classique entre le juge et la loi expliquant la volonté de le soumettre (I), le juge tend aujourd’hui à s’en détacher, et à inverser le rapport de force (II).

I/ Une concurrence classique entre le juge et la loi

  1. La nécessaire limite de la puissance du juge

  • Une obligation de fidélité envers la loi

Alors que la loi est « l’expression de la volonté générale » selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le juge est tenté par l’arbitraire et les intérêts personnels. C’est pour cette raison que le juge est destiné à être soumis à la loi, un simple « être inanimé », au nom du principe de séparation des pouvoirs.  Dans le système juridictionnel français, les « juges de la nation » tranchent des litiges en restant imprégnés par l’esprit de la loi lorsqu’ils rendent leur verdict.

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