Commentaire de l’arrêt du 31 mars 2001
Dissertation : Commentaire de l’arrêt du 31 mars 2001. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar latache • 6 Mars 2016 • Dissertation • 3 411 Mots (14 Pages) • 1 270 Vues
Commentaire de l’arrêt du 31 mars 2001
rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation.
Aubry et Rau expliquaient que le demandeur d’une action fondée sur l’enrichissement sans cause n’est admis à exercer cette action qu’autant « qu’il ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit ». Cette formule, fort célèbre, se traduit simplement en l’exigence du caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ou action de in rem verso. Il convient pour mieux comprendre la nécessité de l’exigence de subsidiarité d’éclairer brièvement le quasi-contrat jurisprudentiel qu’est l’enrichissement sans cause.
La théorie de l’enrichissement sans cause est exclusivement jurisprudentielle. A la fin du 19ème siècle la Cour de Cassation a créé le quasi-contrat de l’enrichissement sans cause qui permet au nom du principe d’équité de sanctionner l’enrichissement injuste réalisé par un sujet de droit au détriment d’un autre. Le point de départ de cette création est l’arrêt Patureau contre Boudier rendu le 15 juin 1892 par la chambre des requêtes de la Cour de Cassation. Notre Code civil ne prévoit que des cas particuliers d’enrichissement sans cause, cet arrêt énonce un principe général auquel les rattacher et consacre l’action de in rem verso qui y est liée. La Cour de Cassation proclamait que « cette action, dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été règlementée par aucun textes de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée ; … il suffit pour la rendre recevable que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit. » Le principe est posé pourtant il reste flou et fait planer un risque d’utilisation abusive de l’action. La jurisprudence a donc du poser des limites, des conditions d’acceptation de l’action de in rem verso. La première, et la plus évidente, est qu’il faut un appauvrissement et un enrichissement effectif ainsi qu’un rapport de cause à effet soit une corrélation entre les deux. Ces conditions sont de nature économique et ne posent pas de difficultés particulières. En revanche, les conditions de natures juridiques ont été plus sujettes à débat. Il faut une absence de cause juridique de l’enrichissement c’est-à-dire que l’enrichissement ne doit pas être justifié par une disposition légale ou par un acte juridique. Il est intéressant de noter que certains auteurs considèrent que l’appauvrissement devrait également être sans cause mais ce n’est pas ce que retient le droit positif. Une autre condition tient à ce que l’appauvrit n’est pas agi dans son intérêt personnel même dans une moindre mesure et aussi qu’il n’ait pas commis de faute lourde ayant provoqué son appauvrissement. Concernant la faute simple les solutions diverges : la chambre civile reconnait simplement que la faute simple de l’appauvrit conduira à engager sa responsabilité délictuelle tandis que la chambre commerciale considère qu’elle prive l’appauvrit de sa possibilité d’action de in rem verso. Toutes ces conditions étant remplies, l’appauvrit va pouvoir exercer contre l’enrichie une action de in rem verso. Cependant, et c’est là une considération essentielle, cette action ne peut être exercée que si elle présente un caractère « subsidiaire ». Cette formule a soulevé bien des difficultés d’interprétation. L’arrêt récent de la première chambre civile du 31 mars 2011, met en application l’interprétation stricte de l’exigence de subsidiarité de l’action, exigence que nous allons étudier dans le corps de ce commentaire.
En l’espèce, le demandeur prétendant avoir prêté certaines sommes au défendeur l’a assigné en remboursement puis à subsidiairement sollicité le paiement de ces sommes sur le fondement de l’enrichissement sans cause. La Cour d’appel a rejeté cette demande. Le demandeur se pourvoi alors en cassation sur le moyen que la Cour d’appel a violé l’article 1371 du Code Civil (qui est le texte général des quasi-contrats) en déclarant irrecevable l’action fondée sur l’enrichissement sans cause alors que la preuve du contrat de prêt n’était pas apportée. La Cour de cassation a dû se prononcer sur l’acceptation de l’action de in rem verso à titre subsidiaire lorsque qu’une action contractuelle était ouverte au demandeur mais rendu impossible par l’absence de preuve du contrat.
Les juges de droit ont rappelé le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso établi par des jurisprudences antérieures et ont considéré que n’ayant pas fourni la preuve du contrat de prêt sur lequel était fondé, à titre principal, son action, il ne pouvait détourner cette obstacle de droit en invoquant les règles gouvernant l’enrichissement sans cause. La Cour rejette le pourvoi.
Pourquoi peut-on dire que cet arrêt est une réaffirmation stricte de l’exigence du caractère subsidiaire de l’action de in rem verso ?
Il est nécessaire d’analyser la notion même de subsidiarité dégagée par la jurisprudence et son application dans cet arrêt (I). Il sera dès lors intéressant de voir en quoi et pourquoi les juges ont consacré une interprétation stricte du principe et quels en ont été les écarts (II).
- La confirmation du principe : le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso.
Les juges ont consacré un principe permanent qui est celui du caractère subsidiaire de l’action fondé sur l’enrichissement sans cause (A). A travers l’arrêt du 31 mars 2001 qui réaffirme ce principe, il sera intéressant de voir les implications et l’intérêt de cette exigence (B).
- La naissance de l’exigence de subsidiarité.
Dans un arrêt de la Chambre Civile du 2 mars 1915, Ville de Bagnères-de-Bigorre contre Briauhant, la Cour de cassation pose le principe selon lequel l’action de in rem verso ne doit être admise que « dans le cas où le patrimoine d’une personne se trouvant sans cause légitime enrichie au détriment de celui d’une autre personne, celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit ». Cette formule empruntée à Aubry et Rau consacre l’exigence de subsidiarité ce qui signifie que l’action de in rem verso est exclu lorsque l’appauvri aurait pu disposer d’une autre action contre l’enrichie lui permettant d’obtenir satisfaction. Cet énoncé a été reformulé et complété par un arrêt de la 3ème Chambre Civile de la Cour de cassation du 29 avril 1971 : « L’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être admise qu’à défaut de toute autre action ouverte au demandeur ; qu’elle ne peut l’être, notamment, pour suppléer a une autre action que le demandeur ne peut intenter par suite d’une prescription , d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige ou par suite de tout autre obstacle de droit. » . Cet arrêt signifie clairement que l’action de in rem verso ne peut pas être intentée par l’appauvrit lorsque celui-ci dispose d’une autre action soit contre l’enrichie soit contre un tiers, autre action qui ne peut pas être exercée en l’espèce par ce qu’elle se heurte à un obstacle de droit. Cette jurisprudence a été très souvent réappliquée. Nous en citerons deux exemples. La Chambre commerciale le 2 novembre 2005 retient que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être introduite pour suppléer à une autre action qui se heurte à un obstacle de droit. La première Chambre Civile le 2 avril 2009 a considéré que le demandeur « n'apportait pas la preuve du contrat de prêt qui constituait l'unique fondement de son action principale, la Cour d'appel en a exactement déduit qu'il ne pouvait être admis à pallier sa carence dans l'administration d'une telle preuve par l'exercice d'une action fondée sur l'enrichissement sans cause ». C’est précisément cet attendu que l’on retrouve dans l’arrêt de la première Chambre civile du 31 mars 2011, qui va donc lui aussi confirmer la jurisprudence de 1971. Si cette jurisprudence est si stable c’est parce qu’elle répond à une nécessité particulière de sécurité juridique.
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