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Commentaire d’arrêt : CE, 6 mars 2015, n° 368489, Collectif d’aide aux personnes mal logées

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Par   •  15 Novembre 2015  •  Commentaire de texte  •  2 135 Mots (9 Pages)  •  2 379 Vues

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DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS

PARTIEL DE TRAVAUX DIRIGES

Commentaire d’arrêt : CE, 6 mars 2015, n° 368489, Collectif d’aide aux personnes mal logées

« L’office de la loi est de régler l’avenir ; le passé n’est plus en son pouvoir » affirma Portalis en 1803 lorsqu’il présenta l’article 2 du Code civil posant le principe de non-rétroactivité des lois. Ce principe général, qui n’est pas propre au droit privé, s’applique également à la matière administrative. Mais, malgré la simplicité de son énoncé, il n’est pas sans suscité de nombreuses difficultés quant à l’application de la loi dans le temps. En témoigne le récent arrêt du Conseil d’Etat rendu le 6 mars 2015 et relatif à l’application dans le temps des nouvelles dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques relatives à l’identification du domaine public.

Dans la présente affaire, l’Etat avait loué à l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) deux immeubles dont il était propriétaire, et ce par le biais de baux successifs, le premier prenant date le 1er janvier 1990 et le dernier ayant été conclu le 6 avril 2004. Le 22 avril 2011, un collectif d’aide au personnes mal logées entra par effraction dans l’un de ces deux immeubles qui fut alors occupé par plusieurs familles. L’association – locataire officiel des lieux –, par le biais de son directeur, demanda la résiliation anticipée du bail, résiliation intervenue le 18 octobre 2011.

Face à cette occupation illicite d’une propriété de l’Etat, le préfet de la Haute-Garonne saisit le tribunal administratif de Toulouse en vue de l’expulsion des occupants. Faisant droit à la demande, la juridiction toulousaine ordonna, par un jugement du 29 juin 2012, l’expulsion de tout occupant sans droit ni titre de cet immeuble, dans un délai d’un mois. A une date inconnue, devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, l’un des membres du collectif fit appel de la décision rendue en première instance. Le 7 mars 2013, la cour administrative d’appel de Bordeaux annula le jugement ordonnant l’expulsion et rejeta la demande du préfet au motif que les juridictions de l’ordre administratif étaient incompétentes en l’espèce puisque l’immeuble occupé ne faisait pas partie du domaine public. Selon la juridiction d’appel le rejet de la qualification de domaine public était justifié par le fait qu’il n’était pas établi que ce bien avait fait l’objet d’un aménagement particulier indispensable à l’exécution d’une mission de service public et, qu’au surplus, il n’était pas affecté à un service public du fait de la résiliation anticipée du bail. Le 14 mai 2013, le ministre de l’intérieur forma un pourvoi en cassation en vue de l’annulation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux.

La question soumise aux juges du Palais-Royal était de savoir s’il fallait appliquer les nouveaux critères du domaine public posés par le Code général de la propriété des personnes publiques à un bien affecté à un service public avant l’entrée en vigueur dudit code et dont l’affectation s’est prolongée après son entrée en vigueur. En d’autres mots, l’incorporation d’un bien dans le domaine public s’apprécie-t-elle à la date de l’affectation de ce bien à un service public ?

Après avoir rappelé le contenu des articles L. 2111-1 et L. 2141-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 6 mars 2015, répond « qu’avant l’entrée en vigueur de la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques, intervenue, en vertu des dispositions précitées, le 1er juillet 2006, l’appartenance d’un bien du domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnées à la double condition qu’il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ». Appliquant ce considérant de principe, la Haute juridiction annule l’arrêt rendu en appel aux motifs que les juges bordelais ont commis une erreur de droit lorsqu’ils ont déduit « que l’immeuble en cause ne constituait pas une dépendance du domaine public de l’Etat sans rechercher, d’une part, si ce bien affecté avant le 1er juillet 2006 à un service public avait fait l’objet d’un aménagement spécial, ce qui suffisait à le faire regarder comme ayant été incorporé au domaine public avant cette date et, d’autre part, si un acte administratif intervenu postérieurement à cette date avait prononcé son déclassement ».

Ainsi, les magistrats du Conseil d’Etat applique une méthode d’identification du domaine public dans le temps en se plaçant à deux moments différents : l’entrée du bien dans le domaine public – au moment de son affectation – et la sortie du bien dans le domaine public – au moment de sa désaffectation et de son déclassement. Ils montrent alors, d’une part, que le nouveau critère de l’aménagement indispensable prévu par le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) ne s’applique pas à une affectation antérieure à l’entrée en vigueur de ce texte (I) et, d’autre part, que seul un acte de déclassement peut alors faire sortir ce bien du domaine public (II).

I – L’entrée dans le domaine public

L’inapplicabilité de la condition nouvelle de l’ « aménagement indispensable » au bien affecté à un service public avant l’entrée en vigueur du CGPPP

Il apparaît, en premier lieu, que la question soumise au Conseil d’Etat porte sur l’application dans le temps des nouveaux critères du domaine public. Ces critères sont issus de l’ordonnance 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er juillet 2006. Parmi ces dispositions figure l’article L. 2111-1 qui définit le domaine public en ces termes : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ». Le texte reprend ici une solution déjà dégagée par la jurisprudence, à savoir que l’incorporation d’un bien dans le domaine public passe par son affectation qui, en dehors des cas d’affectation légale, est soit une affectation à l’usage direct du public soit une affectation à un service public. Si l’article L. 2111-1 CGPPP semble n’être qu’une consécration fidèle de la jurisprudence antérieure, il a introduit un critère supplémentaire qui a permis de limiter le champ d’application de la domanialité publique. En effet, pour le cas d’une affectation à service public, l’article prévoit une nouvelle condition d’ « aménagement indispensable » à l’exécution des missions de ce service, tandis que la jurisprudence se contentait jusqu’à lors d’un « aménagement spécial » (CE, sect., 19 octobre 1956, Société Le Béton ; CE, ass., 11 mai 1959, Sieur Dauphin).

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