La science est-elle une pensée calculante?
Dissertation : La science est-elle une pensée calculante?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar gcales • 10 Juillet 2022 • Dissertation • 2 143 Mots (9 Pages) • 607 Vues
La science est-elle pensée calculante ?
Heidegger caractérise la science comme «pensée calculante» : «Il est une chose à laquelle la physique ne peut jamais renoncer : à savoir que la nature réponde à l’appel d’une manière d’ailleurs quelconque, mais saisissable par le calcul et qu’elle puisse demeurer commise en tant que système d’informations» (La question de la technique, Essais et conférences, p.31). “Répondre à l’appel” : la physique est «le précurseur de l’arraisonnement», c’est-à-dire précurseur de l’essence de la technique qui est de soumettre la nature en totalité au principe de raison, dans ses deux dimensions : tout expliquer et tout transformer en source d’énergie. L’essence de la technique est à l’œuvre dès l’aube de la science moderne, bien avant que celle-ci ne devienne qu’un département de l’organisation technique du monde. Elle est à l’œuvre dès Descartes qui promet à l’homme “d’être comme maître et possesseur de la nature ” (Discours de la méthode V)
Heidegger ajoute ici une dimension contemporaine de l’arraisonnement : la cybernétique, science de l’information, apparaît à l’horizon de la physique et de la technique comme la science des machines “intelligentes” (des machines à programme : la machine à laver en est une, comme les robots des usines automobiles, et avant qu’apparaissent les machines “informatiques” qu sont les ordinateurs).
C’est le terme de calcul qui doit être interrogé, car il est bien évident qu’au sens habituel, calculer et penser sont deux choses opposées : penser, c’est résoudre un problème après avoir réussi à le formuler en des termes nouveaux (fonction réfléchissante et innovante de la pensée) alors que calculer c’est parvenir à un résultat à partir de données et d’opérations établies (il n’y a là ni réflexion ni innovation). L’homme pense, la machine calcule. Que signifie donc «pensée calculante» ?
I • Calculer, c’est trois choses:
• soumettre à une opération mécanique ou un algorithme répétitif (le calcul mental)
• soumettre à une mesure commune (calculer la valeur d'une marchandise)
• soumettre à une appréciation anticipatrice (calculer les avantages et les inconvénients).
Les mathématiques sont le règne des procédures opératoires mais on ne peut réduire le raisonnement déductif à un enchaînement d'opérations: une machine calcule mais ne raisonne pas et, d'une façon générale, tout ce qui est mécanique est étranger à la pensée et au raisonnement.
D'autres disciplines font un usage instrumental du calcul: le météorologue, le démographe, l'architecte… Ces domaines font moins appel à l'invention de procédures opératoires originales (1° sens du mot calcul) qu'à l'établissement de protocoles de mesure (2° sens) et d'interprétation et de décision (3° sens). Sans avoir l'initiative d'une véritable démonstration au sens déductif du terme, ces sciences empiriques plutôt que théoriques s'appuient sur des mesures ou des calculs pour justifier une décision à prendre. On calcule, on interprète, on décide, le passage d'une étape à l'autre n'étant jamais mécanique mais dépendant de priorités, d'une hiérarchie des fins et des urgences.
II • La “pensée aveugle”:
Il est facile de dénigrer le travail laborieux de l'esprit calculant, comme celui du comptable dont on imagine trop facilement qu'il est habité par le ressentiment et l'impuissance, car ce n'est jamais lui qui décide : c’est la figure du fonctionnaire dans“Le souterrain” de Dostoïevski, qui nous dit que toute sa méchanceté consiste à pouvoir laisser en gésine les dossiers qui s’amoncellent sur son bureau.
Cependant, le calcul s'avère indispensable partout où il s'agit de compter des quantités discrètes et de représenter adéquatement la variation de grandeurs continues. Leibniz dit que la connaissance a besoin des critères, non seulement de clarté et de distinction (ce sont les critères de l’évidence chez Descartes), mais encore d'adéquation entre l'expression et son objet: les bonnes expressions sont celles qui sont adéquates. Il montre que le mathématicien van Ceulen, qui a exprimé 35 décimales de π, n'a pas donné le moyen de continuer: le passage d'une décimale à l'autre semble aléatoire. A l'inverse, Leibniz découvre l'expression de π/4 par une série infinie: π/4 = 1 - 1/3 + 1/5 - 1/7 + …, ce qu'il appelle la “quadrature arithmétique du cercle”. Un même objet mathématique est susceptible de plusieurs expressions, mais pas au sens où les unes seraient exactes et les autres approchées; Leibniz découvre au contraire qu'une expression infinie peut exprimer exactement une quantité finie. Il sera dès lors à la recherche des nouveautés de notation qui, assorties de règles opératoires rigoureuses, permettent de pratiquer ce qu'il appelle un “calcul aveugle”, ou encore une “pensée aveugle” ou “symbolique”: il s'agit de raisonner sur des signes sans avoir à l'esprit leur signification, ce qui amène à séparer la question du fondement du calcul de celle de la nature de ses objets (exemple: la mise au point de la formule de différenciation du produit: d(xy) = x.dy + y.dx).
Leibniz parle de «ce miracle de l'Analyse, prodige du monde des idées, objet presque amphibie entre l'Etre et le Non-Etre». Entre le monde réel des phénomènes et le monde imaginaire de nos illusions, il y a le monde amphibie des êtres idéaux et fictifs sur lesquels porte le nouveau calcul. Que la pensée soit aveugle ne signifie pas, pour Leibniz, que c’est une tare de la pensée mathématique mais, au contraire, que la pensée a trouvé un symbolisme efficace qui crée de nouvelles opérations et engendre des résultats.
III • La “pensée calculante”:
L’expression de Heidegger dénie que le calcul soit une forme de pensée et réduit toute la science à n'être qu'une modalité du calcul. Sa thèse, c'est que «la science ne pense pas». Le savant croit que la technique n'est qu'une application de la science et que celle-ci a pour fin le bonheur de l'homme, cette double croyance s'appelle le progrès. Ce faisant, le savant a tantôt une conception instrumentale de la science (elle est utile), tantôt une
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