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Commentaire Sur Le Texte De Tocqueville Sur Le Bonheur Et La Liberté, L'individualisme Et Le Despotisme

Mémoire : Commentaire Sur Le Texte De Tocqueville Sur Le Bonheur Et La Liberté, L'individualisme Et Le Despotisme. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  4 Octobre 2014  •  1 725 Mots (7 Pages)  •  3 672 Vues

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Texte de Tocqueville sur le bonheur et la liberté, l'individualisme et le despotisme

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. […] 

Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire , qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835-1840

[Introduction]

Notre monde n’est-il pas le meilleur des mondes ? Grâce aux progrès techniques et à l’État providence, nous vivons dans un monde de plus en plus sûr, nous vivons de plus en plus longtemps et pouvons nous consacrer de plus en plus à nos loisirs.

Mais ce « meilleur des mondes » ne cache-t-il pas une profonde et dangereuse aliénation ? En obtenant le bonheur de l’État, l’homme ne risque-t-il pas de perdre sa liberté ? C’est l’intuition de ce danger qu’a eu Alexis de Tocqueville dès le début du XIXe siècle. Dans ce texte qui porte sur le thème de la société et de la politique, et plus précisément qui traite de l’opposition entre le bonheur et la liberté, il montre justement que l’individualisme contemporain rend possible l’émergence d’un totalitarisme doux, c’est-à-dire un pouvoir qui prive les hommes de leur liberté en leur apportant le bonheur.

Dans un premier temps, Tocqueville expose les conditions existentielles qui rendent possible l’émergence d’un tel pouvoir, à savoir le développement de l’individualisme et la disparition des valeurs autres que la recherche du bonheur. Ensuite, il montre comment un pouvoir doux mais oppressant peut s’édifier sur un tel peuple. 

[I. Conditions sociales et existentielles]

« Je veux imaginer » : Tocqueville est clair dès le début, il s’agit ici d’imagination, de divination, de pronostic. C’est une spéculation intellectuelle et philosophique, au sens précis d’une tentative de deviner ce que l’avenir pourrait être.

Ce que Tocqueville veut imaginer, c’est « sous quels traits nouveaux » le despotisme pourrait se produire dans le monde. Le despotisme est un phénomène qui n’est pas nouveau ; mais sa forme peut changer, et Tocqueville imagine cette nouvelle forme. Qu’est-ce que le despotisme ? C’est la tyrannie, c’est-à-dire la dangereuse situation où un peuple se voit privé de ses libertés. Le despotisme du passé était le fait d’un despote ; il se pourrait que celui de l’avenir fonctionne tout autrement, et ne mette aucun homme au pouvoir mais une simple institution ou bureaucratie.

Mais ce que Tocqueville va commencer par décrire, c’est les conditions sociales, humaines et existentielles qui rendront ce despotisme possible. Car c’est là l’évolution majeure que Tocqueville pouvait constater dès le XIXe siècle : la tendance à la démocratie, c’est-à-dire à l’égalisation des conditions mais aussi à la disparition des valeurs et des hiérarchies, auxquelles se substituent une seule valeur, une seule tendance : la quête individualiste du bonheur.

C’est ce qu’exprime Tocqueville en décrivant des hommes « semblables et égaux » : l’égalisation des conditions s’accompagne de la disparition des différences (hiérarchiques notamment) entre les hommes. Bientôt on considéra qu’un parent n’est pas différent d’un enfant, ni un professeur d’un élève, ni un maître d’un apprenti, ni un plombier d’un avocat. Il n’y aura plus ni autorité, ni hiérarchie, ni différences symboliques entre les hommes et les conditions.

Ces hommes indiscernables ne s’occupent que d’une chose : obtenir le bonheur, ou plus exactement « de petits et vulgaires plaisirs » : ce n’est donc pas là le bonheur au sens noble et élevé du terme, bien au contraire. De ces plaisirs, les hommes « emplissent leur âme » : il n’y a plus de place en eux pour aucune autre considération – justice, liberté, responsabilité, dignité sont oubliées.

Enfin, chacun est « retiré », « à l’écart », « étranger » au sort des autres. C’est l’atomisation de la société, les hommes sont comme des atomes isolés et interchangeables. C’est aussi ce que les sociologues appelleront la déliquescence du lien social : désormais plus rien, plus aucune hiérarchie, autorité ou symbole, plus de dieu, plus d’amour commun de la patrie n’unit les hommes.

Ajoutons pour terminer la dimension purement démographique du phénomène : « une foule innombrable d’hommes » : par cette formule Tocqueville anticipe l’ère des masses et la psychologie des foules qui en découle, celle-ci étant d’ailleurs en partie à l’origine des mouvements fascistes et totalitaires du XXe siècle.

On peut songer également à l’analyse de Durkheim qui voit dans l’augmentation de la densité des sociétés humaines l’origine de la disparition du lien social, ou plus exactement

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