Quand deux personnes sont en désaccord, cela signifie-t-il forcément qu’une des deux au moins est dans l’erreur ?
Dissertation : Quand deux personnes sont en désaccord, cela signifie-t-il forcément qu’une des deux au moins est dans l’erreur ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Lotdi • 7 Décembre 2020 • Dissertation • 1 913 Mots (8 Pages) • 531 Vues
Il arrive qu’au cours d’une discussion où personne ne parvient à se mettre d’accord, quelqu’un conclue
en disant « à chacun sa vérité ». L’expression sous-entend qu’il y aurait plusieurs vérités, et même que chacun
pourrait en avoir une : de ce fait, si l’on est en désaccord, ce n’est pas pour autant que l’un de nous se trompe.
Il est cependant difficile de comprendre comment il se pourrait que ni moi ni mon contradicteur ne
soient dans l’erreur, si je dis que la porte est ouverte quand il prétend qu’elle ne l’est pas. Que serait une porte à
la fois ouverte et non ouverte ? D’un autre côté, s’il y avait une vérité sur tout, faudrait-il chercher qui a raison
dans les désaccords sur la saveur des mets ?
Peut-être serait-il alors judicieux de distinguer les questions sur lesquelles il peut être question de
correction ou d’incorrection, et celles sur lesquelles ce n’est pas le cas. Reste alors à comprendre pourquoi, sur
ces dernières questions, il y aurait encore « désaccord », et même : pourquoi il y aurait encore « discussion ».
Quelle peut être la valeur d’une discussion qui ne cherche pas à mettre au jour un accord ? Que vaut l’expression
d’une opinion qui ne vaut que pour moi ? Il s’agit ici de comprendre la signification même de nos échanges, sur
toutes les questions où nous prétendons que « chacun a sa vérité ».
Que le désaccord ne signifie pas nécessairement l’erreur, c’est ce qu’affirmaient les sceptiques de
l’Antiquité grecque. Comme l’explique Sextus Empiricus dans les Esquisses pyrrhoniennes, ils signifiaient par là
qu’on ne peut dire comment les choses sont, en elles-mêmes. Ainsi, on ne peut dire que le miel est doux ou amer,
en soi. Il est doux pour untel et amer pour tel autre. De même pour toutes les propriétés que nous attribuons aux
choses : elles n’indiquent jamais rien sur le monde tel qu’il est. Elles disent seulement comment on perçoit le
monde. Elles ne parlent pas de l’être, elles parlent de l’apparence. Bien sûr, les apparences sont souvent les
mêmes pour nous tous : le plus souvent, nous trouvons tous que le miel est doux. C’est pourquoi, si quelqu’un
trouve le miel amer, nous disons qu’il se trompe, qu’il ne dit pas la vérité sur le miel. Mais en réalité, nous ne la
disons pas plus que lui. Nous disons ce qu’il nous semble, il dit ce qu’il lui semble. Il est seulement minoritaire
dans sa perception du monde. Ce qu’il faudrait, c’est suspendre son jugement.
Ainsi, il ne saurait y avoir d’erreur, parce qu’il ne saurait y avoir de critère de l’erreur extérieur à toute
perception : il ne peut y avoir une correspondance entre des propositions et « la réalité », puisque ce n’est jamais
de la réalité que nous parlons, mais toujours des apparences. Aucune proposition ne doit avoir l’autorité sur les
autres. Contre celui qui dit « le miel est amer », on ne doit pas pouvoir dire « tu te trompes » --sauf à vouloir
prendre indument le pouvoir. Les personnes en désaccord devraient donc reconnaître qu’aucune d’elle n’est
forcément plus proche que l’autre de la vérité.
Mais l’argument pyrrhonien est-il vraiment convaincant en-dehors de cas très particuliers où l’on
s’interroge sur le goût du miel, la beauté d’un livre ou d’un tableau, ou le caractère appréciable d’une personne ?
Serait-il si facile de prétendre qu’il n’est question que d’apparence quand il est question, par exemple, de savoir
si la baleine est un mammifère ou s’il y a bien 22 élèves dans la classe ? On peut bien comprendre que le miel
n’apparaît pas de la même façon à tous, et qu’il ne soit pas agréable au goût de tout le monde. C’est ce qui fait
dire dans la vie courante, d’ailleurs, qu’on ne peut discuter « des goûts et des couleurs ». En réalité, quand on dit
que le miel « a bon goût », on parle peut-être moins du miel que de soi-même. On veut peut-être dire quelque
chose comme « je suis fait de telle sorte que le miel produit en moi une impression agréable ». Mais que voudrait
dire exactement qu’il y a « 22 élèves » pour X, tandis qu’il y en a 25 pour Y ? Relativiser le nombre de personnes
qu’il y a dans une classe à la perception de chacun, cela semble faire perdre tout sens à l’idée même qu’il y aurait
un nombre, et même à l’idée qu’il y aurait quoi que ce soit : si l’on suit Pyrrhon, on ne peut même plus croire
qu’il y a une réalité. En réalité, cette position mène tout droit au solipsisme, c’est-à-dire à la thèse selon laquelle
il n’y a que moi qui existe –thèse difficile à réfuter, mais impossible à soutenir réellement sans mourir aussitôt :
si je crois qu’il n’y a pas vraiment de pain, mais seulement une impression de pain, pourquoi en mangerais-je ?
En fait, on pourrait même soutenir que Pyrrhon lui-même se réfute et montre qu’il ne croit pas à sa propre thèse,
quand il dit que « telle une chose apparaît à une personne, telle elle est pour lui ». Pour dire cela, il faut en effet
d’abord penser qu’il y a des personnes, autrement dit qu’il y a bien, dans la réalité, des êtres percevants. En
outre, comme Platon
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