Texte De Flaubert
Mémoire : Texte De Flaubert. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lola3616 • 15 Janvier 2012 • 4 074 Mots (17 Pages) • 2 069 Vues
Par le travail de l’intertextualité, perceptible dans les énoncés de sa correspondance, mais aussi par la forme critique – qui est encore une forme de pensée – Flaubert conserve un rapport au philosophique. Il est même au centre de son esthétique et de son éthique parce que la Vérité étant frappée d’immoralité lorsqu’elle a la forme d’un discours, il lui faut régler différemment le rapport de l’œuvre au cognitif.
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« La morale de l’Art consiste dans sa beauté même, et j’estime par-dessus tout d’abord le style, et ensuite le Vrai » (lettre à Louis Bonnenfant du 12 décembre 1856) . [1] Flaubert rompt ainsi avec un platonisme dont on a souvent montré la permanence ou la résurgence au XIXe siècle . [2]Il dénoue radicalement le lien que Cousin s’efforçait de renouer entre les idées du Vrai, du Beau et du Bien . [3] Dans sa correspondance, à partir de 1846, la philosophie et les philosophes deviennent les cibles d’une critique . [4] Mais c’est au nom d’une autre idée de la philosophie qu’il s’en prend aux philosophies : « La recherche de la cause est antiphilosophique et antiscientifique, et les Religions en cela me déplaisent encore plus que les philosophies, puisqu’elles affirment la connaître. » (lettre à Mme Roger des Genettes de l’été 1864). Il y a donc deux sens du mot « philosophie » employé par Flaubert : l’un péjoratif lorsqu’il désigne la métaphysique, l’autre à l’inverse positif lorsqu’il renvoie à la Critique, invention majeure du XIXe siècle, selon Flaubert, avec le « sens historique » (lettre à Edmond et Jules de Goncourt du 3 juillet 1860) duquel elle est d’ailleurs indissociable. Contre les discours de Vérité, il défend ce qui a pu passer pour un scepticisme voire un nihilisme : « […] il n’y a de vrai que les rapports, c’est-à-dire la façon dont nous percevons les objets », écrira-t-il en 1878 (lettre à Maupassant du 15 août) . [5]Il ébauche déjà l’idée avant la lettre d’une archéologie nécessaire des représentations. Il ne pouvait donc qu’être irrité par la foi naïve en l’existence d’une réalité stable dont la connaissance pourrait progresser : « Cette manie de croire qu’on vient de découvrir la nature et qu’on est plus vrai que les devanciers m’exaspère. La tempête de Racine est tout aussi vraie que celle de Michelet. Il n’y a pas de Vrai ! Il n’y a que des manières de voir. » (lettre à Léon Hennique du 3 février 1880) . [6]
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Dans ces conditions, comment redonner à l’œuvre littéraire une raison, une valeur éthique, et une dignité à une époque où le rapport avec la connaissance et la vérité semblait encore en être la condition ? Flaubert se pose la question en 1852 : « […] nous tâtonnons dans les ténèbres. Nous manquons de levier, la terre nous glisse sous les pieds. Le point d’appui nous fait défaut, à tous, littérateurs et écrivailleurs que nous sommes. À quoi cela sert-il ? À quel besoin répond ce bavardage ? De la foule, à nous aucun lien » (lettre à Louise Colet du 24 avril 1852). La « foule », écrit-il, et non le peuple, ni la nation et pas même le public. Le terme employé dit à lui seul que Flaubert – qui, contrairement à Hugo, fait définitivement l’économie de Dieu – ne cherchera pas non plus la raison et la valeur éthique de la littérature du côté d’une transcendance de l’histoire. Il ne croit pas à la possibilité d’une articulation harmonieuse de l’individuel et du collectif, du particulier et de l’historique : l’accord de l’écrivain et d’un peuple en devenir est un rêve naïf . [7]Il n’est pas de ceux qui se croient la voix de leur siècle [8] ou qui s’autorisent d’un quelconque sacerdoce pour écrire. Il ne pense d’ailleurs pas l’articulation de l’individuel et du collectif mais une atomisation sociale : « […] la fantaisie d’un individu me paraît tout aussi légitime que l’appétit d’un million d’hommes » (lettre à Louise Colet du 24 avril 1852). Certes, « chaque chose a ses raisons », reconnaît-il aussi dans la même lettre. Mais la caractéristique du XIXe siècle est l’égalité des raisons. Comment refonder la puissance et la légitimité de la littérature ? D’abord en prenant acte des conditions historiques qui expliquent sa situation pour en déduire une stratégie :
Je crois [...] que les règles de tout s’en vont, que les barrières se renversent, que la terre se nivelle. Cette grande confusion amènera peut-être la Liberté. – L’art, qui devance toujours, a du moins suivi cette marche. Quelle est la poétique qui soit debout maintenant ? La plastique même devient de plus en plus presque impossible, avec nos langues circonscrites et précises et nos idées vagues, mêlées insaisissables. Tout ce que nous pouvons faire, c’est donc, à force d’habileté, de serrer plus raide les cordes de la guitare tant de fois raclées, et d’être surtout des virtuoses, puisque la naïveté à notre époque est une chimère. (Lettre à Louise Colet, 4 septembre 1852).
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Il explique la déréglementation de l’art et l’atomisation sociale de la même façon : elles proviennent d’une structuration démocratique du mode de la pensée, du triomphe de ce qu’il appelle « le point de vue démocratique ». Les effets sociaux sont les suivants : « pas d’autorité, de règle. […] maintenant il y a anarchie et chacun est livré à son caprice » (lettre à Louise Colet du 29 janvier 1854). Il en tire aussi les conséquences pour « la Beauté » : désormais elle ne dépend plus que « d’un rapport exact », à un moment donné, et dans des circonstances particulières, entre divers éléments – rapport qui est à inventer pour chaque œuvre et par chaque artiste. Contrairement à la rhétorique, ce que Flaubert appelle la « poétique » n’aura donc aucun caractère prescriptif. Elle est tout entière (ajoute-t-il dans la même lettre) contenue et manifestée dans la forme de chaque œuvre particulière : « Chaque œuvre à faire à sa poétique en soi, qu’il faut trouver ».
Il veut écrire contre son époque mais il sait aussi qu’il ne peut écrire sans elle. Il peut bien tonner, selon son terme, contre l’égalité, contre l’esprit démocratique, contre le pêle-mêle des idées reçues. Mais il a aussi conscience que son écriture ne s’exclura que difficilement de ce mouvement démocratique, et n’y résistera, ne s’en démarquera efficacement qu’en retournant contre lui ses propres armes. C’est l’objectif par exemple de sa poétiques de l’égalité des points de vue et des
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