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Quelle est la nature des troubles névrotiques et comment les soigner?

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Par   •  3 Février 2015  •  2 378 Mots (10 Pages)  •  1 214 Vues

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I. À QUI FREUD S'ADRESSAIT-IL?

Quand Freud commence à parler, le 7 septembre 1909, devant l'auditoire rassemblé à la Clarck University, il a devant lui un parterre d'éminents intellectuels: William James, frère du romancier Henry James et l'un des pères de la psychologie moderne, également neurologue, et promoteur de cette philosophie typiquement américaine appelée pragmatisme; ou encore Boas, exilé d'Allemagne, où son génie d'anthropologue n'a pas trouvé de responsabilités à sa mesure. Sont aussi présents le psychophysiologue Titchener, un praticien chevronné de la psychothérapie, Hall, et déjà un maître dans ce domaine, Putnam. Il y a là, enfin, Meyer, qui deviendra plus tard le patron incontesté de la psychiatrie américaine. Ils comprennent l'allemand. Freud, accompagné du suisse Jung, dont les fonctions dans le temple de la médecine mentale du temps, l'hôpital du Burghölzli à Berne, lui feront longtemps espérer une totale reconnaissance, a encore à ses côtés un des psychanalystes les plus créatifs, le hongrois Ferenczi, l'anglais Jones, son futur biographe, et Brill, le premier praticien américain. L'aréopage cosmopolite qui se presse pour écouter Freud représente à la fois sa consécration (enfin la psychanalyse est entendue, et non rejetée a priori, comme c'est encore le cas chez les spécialistes français des maladies nerveuses, pourtant pas si mal informés), mais aussi un danger: celui de décevoir.

Pierre Janet, le grand concurrent, et en un sens le précurseur de Freud dans l'étude des mécanismes inconscients, était en effet venu quelques années auparavant, en 1904 à Boston et en 1906 à Harvard, s'exprimer sur des sujets comparables: quelle est la nature des troubles névrotiques et comment les soigner? Or, Janet avait déplu. Son pessimisme thérapeutique, Freud le sentait d'ailleurs fort bien, ne pouvait convenir à l'esprit positif des Américains, à la recherche d'une méthode efficace, et donc d'une explication profonde des phénomènes, dont Janet avait certes habilement caractérisé la forme générale, mais pas du tout l'étiologie. Freud parle donc à de véritables savants, qui se demandent si le Viennois, dont on connaissait les travaux bien mieux qu'il ne l'a toujours prétendu, valait effectivement davantage que celui qu'on perçoit alors, surtout, comme son symétrique français. Il sera donc capital pour Freud de se situer par rapport à Janet, et de faire remonter encore au-delà, à Charcot, le fameux médecin de la Salpêtrière qui fut leur maître à tous deux, un certain nombre de faits cliniques et d'interprétations, qui montreront à son public américain à quel point il n'est redevable en rien au Français.

On le voit, un certain biais s'introduit déjà dans ces conférences, lié à l'identification de Freud à sa propre théorie. Il l'assume d'ailleurs d'entrée de jeu: "Je suppose que je dois cet honneur uniquement au fait que mon nom se rattache au thème de la psychanalyse" (29, omis dans Le Lay), et elle lui fera avancer plusieurs propositions contestables.

Le souci qu'a Freud de privilégier son cheminement personnel au milieu d'un paysage où il est loin d'être seul, explique l'architecture générale de cette prise de contact: d'abord (II.), exposer ce que fut la genèse empirique des problèmes de la psychanalyse, en rappelant le cas princeps d'Anna O., la jeune hystérique, et les principes de la cure dite cathartique qui lui fut administrée, et d'où tout devait partir; ensuite (III.), répéter les enseignements décisifs que Freud et son collègue Breuer avaient formulés dans les Etudes sur l'hystérie de 1895, en s'appuyant sur ce type de cas. Dépassant enfin Breuer, Freud pourra avancer ses propres thèses (IV.), et exposer pas à pas sa démarche.

II. LA GENÈSE EMPIRIQUE DES PROBLÈMES DE LA PSYCHANALYSE

A/ Le cas d'Anna O. et la clinique classique de l'hystérie

Des deux paragraphes introductifs au récit de ce cas inaugural, Freud entend nous faire retenir deux choses. En premier lieu, l'origine problématique de ce qui, entre ses mains, est devenu la psychanalyse. Avant d'être une théorie et peut-être un système quasi philosophique, sa doctrine procède d'une certaine attention à des faits pathologiques déterminés. Ceux-ci ne sont pas simplement matériellement constatables. Ce sont encore des objets d'élaboration intellectuelle et affective chez ceux qui en sont atteints. En cela, l'hystérie les concerne dans leur être, et pas seulement dans leur corps, ou dans leurs processus mentaux, ou dans une combinaison contingente de ces deux facteurs. Il faut donc à la psychanalyse un enracinement clinique: elle ne pouvait naître que sous un regard médical ouvert, c'est-à-dire à la fois respectueux des détails objectifs (fort subtils), mais aussi philosophiquement conscient de ses enjeux subjectifs, et de l'essence même de la médecine. Aussi Freud n'a-t-il pas du tout privilégié un cas qui n'aurait de sens que dans le cadre de sa théorie; et il ne l'a même pas observé personnellement, puisqu'il l'emprunte à son ami Breuer. Mais il sait que parmi ses auditeurs, ces pathologies sont bien connues. En second lieu, ce qui est beaucoup plus surprenant, il attribue à la malade elle-même un rôle central dans l'identification du genre d'effet que le traitement de Breuer va provoquer sur elle, comme si elle partageait avec son médecin le mérite d'avoir frayé la voie à la psychanalyse. Elle va en effet caractériser la thérapie (en anglais, car elle avait perdu l'usage de l'allemand) comme "talking cure", ou cure par la parole, et comme "chimney sweeping", ou ramonage de cheminée, métaphore désignant l'issue enfin donnée aux affects pathogènes coincés en elle (36, 13). Sans cette précieuse indication de la part de celle qui, aux yeux de la plupart des médecins, n'aurait été que l'objet et non le sujetdu traitement, rien n'aurait pu commencer. C'est ainsi que Freud note qu'une formation médicale n'est pas nécessaire pour le suivre (quoique ce ne soit tout de même pas une contre-indication!); car on va, en un sens, au-delà de ce qu'opère la médecine.

En conséquence, dans l'histoire que Freud raconte (on la lira en détail, sous la plume de Breuer, dans les Etudes sur l'hystérie de 1895), deux facteurs interagissent continûment. D'un côté, il

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