L'esprit Critique Et Ses Limites

Faut-il fixer des limites à l’esprit critique ?

Etymologiquement, l’esprit critique est la capacité de discernement, celle qui permet de distinguer l’évidence trompeuse de la certitude objective et, par suite, de l’exclure du champ de la vérité. En vertu de cette négativité, cette capacité est dérangeante et l’on peut être tenté de limiter sa portée ; mais si cette tentative procède de fausses évidences, l’esprit critique s’en trouve bien plutôt renforcé, sinon dans son exercice, du moins dans sa légitimité. Il semble donc au premier abord impossible de limiter en droit sa portée et il faudra d’abord reconnaître dans son exercice la condition de la réflexion.

Mais si l’esprit critique semble ainsi se confondre avec la motivation fondatrice de la philosophie, la question demeure concernant sa portée: jusqu’où peut s’étendre la dissolution qu’il opère et à partir de quoi?

Il est bien entendu que cette mise en question ne peut être l’occasion pour la misologie et le ressentiment d’étendre leurs ténèbres. Elle ne peut donc se fonder que sur l’esprit critique lui-même qui, faisant retour sur lui- même, établit la nécessité d’en revenir à du positif, donné ou construit. Voilà ce que pourrait être la vérité de l’esprit critique.

L’étonnement et la volonté de répliquer trouvent leur fondation dans l’esprit critique.

- la philosophie émerge en réaction à la pensée mythique – Thalès inaugurant une connaissance de la nature excluant la volonté des dieux – et se développe en mettant en question les conventions – Platon répliquant aux sophistes par la prétention fondée à la recherche de l’essence des choses.

- cela semble une constance que la tradition étouffe régulièrement la réflexion ; ce que l’on doit attendre de l’esprit critique est précisément qu’il interroge et dépasse les limites imposées au questionnement – ainsi Descartes œuvrant pour le développement d’une pensée critique, qui fixe objectivement les critères du vrai.

- pour autant, la pensée ne peut pas tout se permettre et nous pouvons reconnaître encore la vertu de l’esprit critique dans l’entreprise kantienne d’élucidation des limites de la raison : « La critique [est opposée] au dogmatisme, c’est-à-dire à la présomption de progresser (...) d’après des principes tels que ceux que la raison emploie depuis longtemps, sans chercher à savoir comment et de quel droit elle y est parvenue. »(Kant, Critique de la raison pure, préface à la 2° édition)

Mais quels sont précisément les principes et le droit de l’esprit critique ?

Faire droit à l’esprit critique, cela revient à mettre en question mais :

- le doute qui est l’opérateur de cette mise en question reste subordonné à des règles objectives que l’on ne songe pas à expliciter : « Qui voudrait douter de tout n’irait pas même jusqu’au doute. Le jeu du doute lui-même présuppose la certitude. » (Wittgenstein, de la certitude §115). Il faut des fondations, un sol à la réflexion, y compris quand elle suspend la valeur

de vérité des propositions qu’elle examine ; on ne peut pas douter de ce

qui est scellé

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