Kant, Critique De La Faculté De Juger.
Rapports de Stage : Kant, Critique De La Faculté De Juger.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar swanlefou • 16 Avril 2015 • 2 572 Mots (11 Pages) • 2 271 Vues
Dans ce texte extrait de la Critique de la faculté de juger, Kant entend marquer les différences entre une machine et un être vivant : le second est irréductible à la première. En effet, si dans une montre, par exemple, il y a bien transmission du mouvement d'une partie de l'objet à une autre ; en revanche, pas plus la montre elle-même qu'aucun de ses rouages n'est responsable de la formation de l'ensemble et de leur organisation spécifique : c'est l'artisan qui en est l'auteur. L'être vivant au contraire, s'organise de lui-même, il donne forme par sa seule et propre spontanéité aux matériaux qui composent ses organes. On peut donc dire que dans ce texte Kant s'attaque à la compréhension purement mécaniste du vivant, telle qu'on la trouve en particulier chez Descartes.
Certes, dans cette machine qu'est une montre, une partie fait bien se mouvoir une autre partie (c'est même sa fonction propre de produire un tel effet mécanique), mais elle ne la produit pas : c'est l'horloger qui a conçu la montre et qui l'a fabriquée « d'après des Idées » ; c'est lui qui a organisé les parties de la montre en fonction de l'effet qu'il voulait produire. On a affaire ici à une finalité purement externe, parce qu'elle est le fait de l'horloger, non de la montre. La seconde partie de notre texte atteste cette différence : une machine ne peut pas plus produire d'elle-même ses parties que produire une autre machine, ou se réparer toute seule si elle est défectueuse.
Or tous ces phénomènes d'autoproduction, de reproduction et d'autoréparation sont, à l'opposé, constatables de manière manifeste dans la nature vivante : celle-ci paraît bien être douée d'une force productrice finalisée de manière interne. Encore faut-il expliquer cette différence jusqu'à présent seulement constatée : si l'on trouve dans toute machine « une force motrice », par laquelle le mouvement se transmet d'une partie à une autre, il y a en revanche dans l'être organisé (et dans lui seul) « une force formatrice », un principe interne et spontané d'organisation de la matière et de production de formes, dont le mécanisme seul est incapable de rendre compte. La compréhension de la nature vivante devra donc tenir compte de cette spécificité qu'aucune machine ne possède.
Contre et par-delà Descartes, Kant semble ici renouer avec la pensée de celui que l'on peut, en un sens, considérer comme le fondateur de la biologie, à savoir Aristote ; celui-ci, en effet, soulignait déjà cette dynamique interne et finalisée propre au vivant. Pour autant, comment la démarche scientifique moderne, fondée sur une causalité de type mécanique, pourra-t-elle rendre compte de ce qui semble échapper à son mode propre d'explication des choses ? C'est le statut de l'explication téléologique (explication qui présuppose l'existence de buts à l'œuvre dans la nature) qu'il conviendra ici d'examiner.
I. L'analyse détaillée du texte
1. La finalité externe des machines
a) La transmission du mouvement
Une montre est une machine complexe, composée d'un ensemble de rouages, d'engrenages et de ressorts qui, une fois la montre remontée, sont entraînés les uns par les autres, transmettant ainsi un mouvement régulier aux aiguilles du cadran : c'est donc à bon droit qu'on peut dire qu'ici, le mouvement d'une partie est cause du mouvement d'une autre partie. Mais l'existence même de chacune de ces parties n'est imputable à aucune autre : certes, l'une n'existe avec sa forme propre (celle d'un ressort par exemple) que pour pouvoir transmettre du mouvement à une autre (un engrenage par exemple), mais le ressort n'est pas « la cause efficiente de la production » de l'engrenage. En d'autres termes, il y a bien une finalité qui régit l'organisation de la montre, dont chaque partie avec sa forme propre remplit une fonction spécifique par rapport aux autres et au tout de la montre, mais cette finalité est purement externe : elle n'est pas imputable à la nature du métal dont se compose le ressort, ni à aucune autre spécificité de la machine, mais au projet de l'horloger qui a conçu chacune des parties de l'objet et les a assemblées dans le but de donner naissance à une machine susceptible de mesurer le temps qui passe.
b) La cause efficiente externe
Ainsi, la « cause efficiente », c'est-à-dire la « cause productrice » des parties de la montre ne se trouve pas dans la montre elle-même comme tout, ni dans aucune de ses parties en particulier. La cause efficiente de la montre lui est externe ou, comme le dit Kant, tout à fait « en dehors d'elle » : cette cause efficiente, qui fait de la montre ce qu'elle est, n'est pas dans la montre même mais dans un être capable d'agencer des moyens en vue d'une fin inventée, bref, dans l'esprit d'un homme. Chacune des parties d'une machine quelconque ne doit son existence et son agencement avec les autres qu'à l'inventivité et au savoir-faire d'un l'artisan, dont la machine accomplit l'intention : c'est parce que l'horloger veut un appareil indiquant l'écoulement du temps que la montre est constituée de cette façon ; en d'autres termes, sa cause efficiente est externe, tout comme lui est externe sa finalité.
2. La finalité interne des êtres vivants
a) Le vivant cause et fin de lui-même
Or cette absence de toute force interne de production dans les machines humaines les distingue radicalement des êtres vivants : aucun artisan n'est la cause de la production de leurs organes, ni de leur agencement, ni de leur remplacement ou de la réparation de ceux qui remplissent mal ou ne remplissent plus leur fonction, mais c'est le vivant lui-même qui produit ses parties, se reproduit et « se répare », bref, qui se fait exister et persévérer dans l'existence de manière spontanée : qu'un être vivant se blesse par exemple, et les tissus lésés vont peu à peu se reconstituer et se cicatriser d'eux-mêmes, sans intervention extérieure. Ou encore, comme le disait Aristote, le médecin peut bien soigner, mais c'est la nature et elle seule qui guérit : l'homme de l'art ne fait qu'accélérer et faciliter un processus naturel parfaitement autonome. De même, il n'y
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