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Que Gagne T-on En Travaillant ?

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Par   •  8 Mars 2014  •  1 705 Mots (7 Pages)  •  1 498 Vues

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Se demander ce que l’on gagne en travaillant, c’est présupposer que l’on gagne quelque chose pendant que l’on travaille. Mais quel gain nous ferait réaliser le travail ?

A priori, on aurait tendance à répondre qu’en travaillant, on « gagne sa vie ». Mais que signifie gagner sa vie ? Si gagner, c’est accéder à une chose en plus, ne l’avait-on pas avant de travailler, cette vie ? Gagner, c’est en effet réaliser un gain. Autrement dit, c’est accéder à une chose en plus, à un surplus. Gagner, c’est aussi triompher : au vainqueur qui a gagné s’oppose le vaincu, qui a perdu. Gagner s’oppose donc à perdre : on dit d’une chose qu’on l’a perdue quand on l’a eue, et qu’on ne l’a plus – on l’a oubliée, on nous l’a volée ou enlevée. Mais que pourrait donc nous apporter le travail ? L’étymologie du travail (de tripalium, qui en latin signifie « instrument de torture à trois pals ») indique pourtant l’idée selon laquelle le travail serait en soi douloureux : il correspondrait à un effort, voire à un renoncement ou à un sacrifice. Cette idée est présente dans le récit biblique de la Genèse : Adam, pour prix de sa désobéissance, se voit condamné à gagner son pain à la sueur de son front. Travailler implique en effet de fournir un effort : j’applique mes forces contre une chose afin de la transformer, et c’est par cet effort que je suis amené à dépasser la chose comme obstacle, et à me dépasser moi-même. Mais alors, qu’est-ce que je gagne pendant que je travaille ? « En travaillant » signifie : pendant même qu’on travaille. La formulation du sujet semble donc nous orienter vers l’examen d’un gain qui serait interne au processus même du travail, et non extérieur à lui.

Cependant, que m’apporte le travail en lui-même ? S’il s’agit, par le travail, de « gagner sa vie », de quelle vie parle-t-on ? Si l’on entend par là que l’on gagne de l’argent, l’argent n’est-il pas seulement le résultat extérieur de mon travail ? Mais à quoi pourrait tenir la valeur propre du travail ? Autrement dit, dans quel but travaillons-nous ?

Dans un premier temps, nous examinerons l’hypothèse selon laquelle le gain du travail résiderait dans un salaire. Mais alors, le but du travail peut-il être extérieur au travail lui-même ? Dans un second temps, nous nous demanderons ce qui pourrait faire la valeur du travail en tant que tel. Et, enfin, nous nous demanderons dans quelle mesure le travail peut être pensé comme une activité qui serait à elle-même sa propre fin : ce que je gagnerais en travaillant, ce serait essentiellement le travail lui-même, conçu comme une activité de réalisation de soi.

1. En travaillant, on gagne sa vie

A. Le travail a pour but la satisfaction de nos besoins

Dans un premier temps, on pourrait faire l’hypothèse suivante : le gain du travail réside dans ce qu’il vise, à savoir la satisfaction de nos besoins. Car le besoin peut apparaître comme la raison d’être du travail : si je trouvais dans la nature de quoi survivre, je n’aurais aucune raison de fournir l’effort que suppose le travail. Par conséquent, le travail serait cet effort que je dois faire pour entretenir ma vie. En d’autres termes, je dois produire pour consommer, ce qui me permet de renouveler mes forces.

B. Le travail n’est-il pas alors une perte de temps ?

Pourtant, dire que le travail vise la survie, c’est faire du travail une activité propre à la sphère de la nécessité. C’est là, précisément, la conception du travail propre à l’Antiquité, telle que l’évoque Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne : le travail est conçu, dans le monde grec, comme relevant d’une sphère de la nécessité opposée au monde de la liberté. Celui qui travaille s’inscrit dans la régularité et la répétition propre au monde biologique défini par sa cyclicité – c’est l’esclave, c’est-à-dire celui dont le temps n’a pas de valeur puisque ce temps n’est pas libre. À la cyclicité du monde naturel s’oppose alors le temps du monde politique – monde des hommes libres affranchis des considérations vitales.

[Transition] En somme, on peut dire alors qu’en travaillant, on gagne sa survie plutôt que sa vie – on perdrait précisément, en travaillant, une vie comprise comme étant faite d’actions et non de répétitions. Mais finalement, le but du travail, ce vers quoi il est supposé tendre et ce qu’il doit m’apporter, est-ce une chose extérieure au travail lui-même ? Qu’est-ce qui pourrait se jouer pour moi dans le processus du travail lui-même ?

2. En travaillant, je gagne mon humanité

A. Le processus du travail me sépare de mon animalité

C’est précisément ce que se demande Marx en définissant, dans Le Capital, le travail comme une activité essentiellement humanisante. « Le travail, dit-il, est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature », c’est-à-dire un acte par lequel, en transformant la nature extérieure à lui, l’homme se transforme lui-même : « En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent. » Ce que je gagne en travaillant, ce n’est donc pas le résultat extérieur de mon travail, ce que je produis :

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