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Hannah Arendt et Le Champ Du Totalitarisme

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Par   •  13 Mai 2014  •  3 543 Mots (15 Pages)  •  949 Vues

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LE CHAMP DU

TOTALITARISME

L’introduction, rédigée entre 1966 et 1971, est rattachée à cette troisième partie. Elle lui permet de prendre unpeu de recul pour «articuler et élabo- rer les questions en compagnie des- quelles ma génération avait été for- cée de vivre pour la meilleure partie de sa vie adulte : Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi cela s’est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ?» Tout en précisant qu’elle a «toutes les raisons d’utiliser le mot totalitaris- me avec parcimonie et prudence», elle délimite le champ de sa re- cherche.

Elle en exclut l’Italie fasciste, bien que Mussolini ait revendiqué l’ex- pression d’ «Etat totalitaire». L’argu- ment décisif est contenu dans les sentences prononcées de 1926 à 1932 par les tribunaux spéciaux : sept sentences de mort, beaucoup de mesures d’exil, 1 500 peines de prison et surtout 12 000 personnes arrêtées déclarées innocentes, «pro- cédure inconcevable sous la terreur nazie ou bolchevique». Elle cite aus- si Goebbels, pour qui « le fascisme n’a rien à voir avec le national-socia- lisme. Tandis que ce dernier va jus- qu’aux racines, le fascisme n’est que superficiel.» Le fascisme a certes été porté par un «mouvement totalitai- re», mais il n’a pu aller à son terme. Il est «seulement» une dictature. Avec des variantes, il en est de même des régimes établis en Espagne, au Por- tugal, et en Europe centrale et orien- tale, où la vague a déferlé.

Plus surprenant qu’elle en exclue aussi la Chine de Mao. Tout en di- sant que sa connaissance de ce pays n’est «pas très assurée», elle estime que «Après une phase initiale très sanglante —le nombre des vic- times au cours des premières an- nées de la dictature peut être évalué à quinze millions, soit environ 3 % de la population en 1949— et après la disparition de toute opposition orga- nisée, il n’y a pas eu accroissement de la terreur.» Elle en appelle au dis-

cours de Mao en 1957 «De la juste solution des contradictions au sein du peuple», où elle voit une contribu- tion originale à la théorie marxiste. Elle estime aussi que l’horreur de la «Révolution culturelle» n’a pas abouti à décimer la population et pense, en somme, que «la pensée de Mao-Tse-Tung ne s’est pas déve- loppée selon les voies tracées par Staline [...] il est profondément un ré- volutionnaire et non un assassin.» Impossible de la suivre lorsqu’elle af- firme que la terreur ne s’est pas «ac- crue» après avoir supprimé 15 mil- lions de personnes, et qu’elle refuse la qualification d’assassin au diri- geant qui l’a organisée.

Restent donc, pour elle, deux ré- gimes totalitaires : nazisme et stali- nisme.

RÉFLEXIONS SUR LE STALINISME

L’introduction s’attarde sur les «révé- lations» de Khrouchtchev au XXe congrès du PCUS. En chargeant Staline de tous les péchés, il avait pour objectif, dit-elle, de sauver l’es- sentiel, en cachant «la culpabilité du régime dans son ensemble dans les purges massives et la déportation de peuples entiers». L’analyse qui suit bouscule des fausses évidences, en- tretenues au cours de la guerre froi- de et au-delà.

«Staline ne commença pas ses gi- gantesques purges en 1928 lorsqu’il admettait avoir des ennemis inté- rieurs, il les commença en 1934, quand tous les anciens opposants eurent confessé leurs “erreurs”. Au XVIIe congrès, il n’a, dit-il lui-même “plus rien à prouver... ni, semble-t-il, personne à combattre.”»

«Il existait une alternative évidente à la prise du pouvoir par Staline et à la transformation de la dictature du par- ti unique en domination totale : pour-suivre la N.E.P. telle qu’elle avait été inaugurée par Lénine. La N.E.P. avait en effet amorcé la “réconcilia- tion naissante entre le peuple et son gouvernement”». La prétendue continuité entre Lénine et Staline est niée. H. Arendt la juge «compréhen- sible, mais historiquement insoute- nable.»

«Dans la théorie courante, la terreur de la fin des années 20 et des an- nées 30 fut le “tribut de souffrance” exigé par l’industrialisation et le pro- grès économique [...] la terreur ne produisit rien de tel. Les résultats les mieux établis de la dékoulakisation, de la collectivisation et de la grande purge furent la famine, la dépopula- tion et réussirent à détruire entière- ment la compétence et le savoir-faire technique que le pays avait acquis après la révolution d’Octobre.»

«Le bras séculier de ce régime n’était pas le parti mais la police». La mort de Staline mit fin à son pouvoir absolu : «Lorsque Khrouchtchev de- manda à Joukov de lui venir en aide, la suprématie de l’armée sur la police était en Union soviétique un fait ac- compli [...] la signification de ce nou- vel équilibre du pouvoir avait déjà été manifeste lors de la suppression par la force de la révolution hongroise. L’écrasement sanglant de la révolu- tion, pour terrible et efficace qu’il fût, avait été accompli par des unités de l’armée régulière et non par des forces de police [...] Il n’y eut pas de déportations massives, on n’essaya pas de dépeupler le pays. Et puisqu’il s’agissait d’une opération militaire et non de police, les Soviétiques purent se permettre d’envoyer au pays vain- cu une aide suffisante pour prévenir la famine et empêcher un effondre- ment complet de l’économie pendant l’année qui suivit la révolution... Rien n’aurait été plus étranger aux préoc- cupations de Staline dans des cir-

LECTURES

constances comparables.»

L’ Union soviétique ne peut plus être qualifiée de totalitaire au sens strict du mot... ( en 1971) Il semble que rien n’ait changé, alors qu’en fait tout a changé. A la mort de Staline, les ti- roirs des écrivains et des artistes étaient vides ; aujourd’hui, il existe toute une littérature qui circule sous forme manuscrite... Daniel et Si- niavski ont été jugés et condamnés en 1966 pour avoir publié à l’étran- ger... C’est certainement scanda- leux, mais ce qu’ils avaient à dire a été entendu et n’est pas prêt d’être oublié. Ils n’ont pas disparu dans ce gouffre de l’oubli que les dirigeants totalitaires réservent à leurs oppo- sants... Le peuple de l’Union sovié- tique est sorti du cauchemar totalitai- re pour connaître les rigueurs, les dangers et les injustices multiples de la dictature du parti unique.

CLASSES ET MASSES

La Première Guerre mondiale, pense Hannah Arendt, a fait beaucoup plus que des millions de morts .

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