Est-ce Un Devoir Que D'être Soi-même ?
Mémoire : Est-ce Un Devoir Que D'être Soi-même ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar gogouu • 4 Janvier 2014 • 2 490 Mots (10 Pages) • 1 778 Vues
Introduction
« Sois toi-même », voire même « ose être toi-même », bref « n'écoute que toi » : tels sont les mots d'ordre préférés de notre modernité, ressassés à l'envi par une suite infinie de slogans publicitaires pour qui être soi passe, à l'évidence, par l'achat de telle marque de chaussures ou la consommation de telle boisson gazeuse. Être soi-même nous est donc présenté comme un impératif au sens propre, c'est-à-dire une injonction morale, un devoir et pour tout dire le premier de tous nos devoirs : ne te soucie pas du qu'en-dira-t-on, ne te laisse pas déterminer par la pression sociale, les normes, les règles, les habitudes ; affirme ta propre personnalité à la face du monde, tu l'enrichiras d'autant et ne t'en porteras que mieux. L'hypocrisie est le premier de tous les vices, la sincérité la plus grande des vertus : sois toi-même et accepte l'autre tel qu'il est. Si tous se conformaient à cette double exigence, l'humanité serait enfin en paix et surtout satisfaite d'elle-même, ce qui est manifestement la clef du bonheur, si tant est que le remords, la honte et la mauvaise conscience ne se sont jamais signifiés comme les meilleurs moyens pour l'homme d'être heureux.
Sois toi-même, le conseil serait fort bon, s'il n'était à y bien regarder quelque peu paradoxal : car enfin, quel sens y aurait-il à devoir être soi-même, précisément ? Ce que je suis, je le suis, en sorte que je n'ai pas à l'être : on ne peut me commander d'être que ce qu'à présent je ne suis pas, comme on ne saurait sans absurdité ordonner de se taire à celui qui fait déjà silence. Sans doute alors faut-il en conclure qu'être soi-même ne peut avoir de valeur impérative que si celui que je suis maintenant n'est justement pas moi-même, en sorte que la question se divise : ce « moi » qu'à présent je ne suis pas, est-ce simplement parce que je n'ose pas l'affirmer dans toute sa particularité, ou parce que je ne le suis pas encore ? La différence n'est pas maigre : dans le premier cas, il s'agirait de dire que le premier de mes devoirs moraux, c'est d'assumer ma personnalité et mon caractère tels qu'ils sont déjà, sans plus chercher à les dissimuler sous un visage d'emprunt ; dans le second, d'affirmer que je ne suis que trop ce que je suis, et pas assez celui que je devrais être. Dans un cas donc, je désespère de ne pas être encore assez moi-même, dans l'autre de l'être déjà trop ; autrement dit, dans un cas je désespère de ne pas pouvoir affirmer assez ma particularité et, dans l'autre, cette particularité m'écrase et n'est que trop présente. Alors, de l'affirmation du soi que je suis déjà à son dépassement, laquelle de ces deux attitudes, qui s'excluent l'une l'autre, pourra à bon droit être élevée à la hauteur d'un devoir moral ?
I. De l'affirmation de ma particularité à la découverte de son insuffisance
1. La conscience de soi comme identification du sujet et de l'objet
Être conscient de soi, c'est être capable de dire « je suis moi », « je me pense », être capable en quelque sorte de se dédoubler entre celui qui pense et celui qui est pensé, pour ensuite affirmer l'identité du « je » et du « me », du sujet et de l'objet : on retrouve ici la thèse de Hegel selon laquelle être conscient de soi, c'est poser un objet extérieur à soi et l'identifier comme étant soi-même. Lorsque cette identité est parfaitement réalisée, lorsque je me reconnais sans reste dans ce que j'ai posé dans l'extériorité, j'accède à la conscience libre de ma propre singularité. Or cette unité n'est pas d'emblée réalisée : ces actes que j'ai posés, cette vie qui est pourtant bien la mienne, cette personnalité que j'endosse, tout cela précisément, je ne m'y reconnais pas et je n'y retrouve pas celui que j'aurais voulu être. Car enfin ce moi qu'à présent je suis, ce n'est pas moi qui l'ai consciemment choisi ni même constitué : il est bien plutôt le fruit de déterminations extérieures que j'ai laissé décider pour moi. Comme le remarquait Valéry, « le milieu social exerce une sorte de pression sur nos réactions immédiates, nous contraint à demeurer et à être un certain personnage identique à lui-même, dont on puisse prévoir les actions » : celui qu'à présent je suis n'est justement pas moi-même, mais un rôle que je joue et auquel j'ai fini par m'identifier, en sorte qu'ici le personnage s'est substitué à la personne.
2. La mauvaise foi comme impossibilité d'être soi-même
On peut songer alors à ce que disait Sartre de la « mauvaise foi ». Il ne faut pas entendre cette expression dans sa signification courante, où est « de mauvaise foi » celui qui s'obstine, contre toute évidence, à maintenir un mensonge qui ne trompe personne… et surtout pas lui-même. Est de mauvaise foi au sens de Sartre ce garçon de café qui s'identifie au personnage qu'il joue : dans sa démarche, dans ses mimiques et dans ses intonations, dans le moindre de ses gestes, il fait la « danse du garçon de café », c'est-à-dire qu'il se comporte exemplairement de la façon dont il suppose qu'un garçon de café doit se comporter. Il « est » garçon de café : la perfection avec laquelle, à même son corps, il interprète ce rôle est destinée à lui faire oublier qu'il s'agit d'un rôle, que son statut est la conséquence d'un choix et non une détermination d'essence. Je « suis » garçon de café, par conséquent je n'ai pas choisi de l'être, et partant je ne porte pas la responsabilité de ce qu'est devenue ma propre existence. La mauvaise foi est donc cette conduite par laquelle j'essaye de me persuader que je m'identifie réellement à ce que j'ai posé dans l'extériorité, bref que celui que je suis n'est autre que moi-même. Est de mauvaise foi, autrement dit, celui qui tente de se convaincre qu'il est déjà lui-même, en sorte qu'il n'a plus qu'à affirmer ce qu'il est… comme le garçon de café surjoue son rôle, pour se persuader (sans cependant jamais y parvenir tout à fait) qu'il est ce qu'il joue à être.
3. L'écart de soi à soi
« Je suis ce que je suis » : celui qui ainsi s'essentialise et se réifie, celui
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