Comprendre Autrui, Est-ce se Mettre à Sa Place?
Note de Recherches : Comprendre Autrui, Est-ce se Mettre à Sa Place?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar vigogne • 22 Janvier 2013 • 4 290 Mots (18 Pages) • 2 097 Vues
A la source et au fondement de toutes nos relations, à l’origine de nos interactions et à la base de nos réseaux, la compréhension mutuelle nous ouvre les uns aux autres, nous rend capables de communiquer, et nous permet de nous connaître. Mais est-il vraiment possible de comprendre autrui, un être particulier qui m’échappe sans cesse, de saisir sa fin, de prévoir ses actes, d’interpréter ses actions, de poser enfin un jugement sur lui ? Est-il nécessaire pour cela de projeter ma propre conscience en cet autre, ou bien peut-on envisager une forme de connaissance immédiate permettant une réelle compréhension de son existence ? Nous comprenons-nous nous-mêmes de la manière dont nous comprenons autrui ? Et pouvons-nous nous comprendre sans passer par autrui, sans se poser sous son regard autre qui nous objective ? Comprendre autrui, est-ce donc nous identifier à lui, prendre son rôle, ou bien à l’inverse, comprenons-nous cet autre parce qu’il est un autre pour nous, et en vertu même de la distance qui nous sépare ? La compréhension d’autrui est-elle donc le fruit d’une opération d’identification ? Si, à l’inverse, elle résulte de la rencontre intersubjective de deux individualités jouant réciproquement le rôle de l’observateur et de l’observé, il semble nécessaire de veiller par un quelconque moyen à la dé-particularisation de ce regard interpersonnel direct. La compréhension implique-t-elle alors le recours à un tiers symbolique, à une entité partagée par les parties et dont le caractère idéel garantirait l’objectivité autant que la rationalité ? Enfin, comment pouvons-nous comprendre un être en mouvement, différent de nous-mêmes, qui semble nous échapper par nature, et qui pourtant ne prend son sens objectif qu’à travers le prisme de notre altérité compréhensive ? Pour comprendre autrui, il apparait tout d’abord nécessaire de se mettre à sa place, de prendre son rôle et d’adopter son point de vue. Cependant, nous ne pouvons saisir l’autre si nous omettons qu’il est dans le même temps sujet et objet d’étude, et qu’il est donc indispensable pour le comprendre de porter sur lui un regard extérieur et distant tout en le subjectivant. Enfin, pour que la compréhension interindividuelle aboutisse à une vraie cohérence sociale, il semble être de rigueur de postuler un tiers intervenant dans le processus d’empathie ; l’aspect symbolique de cette tierce personne offre en effet la possibilité de la rationalité et de la neutralité, nécessaire à l’établissement des normes sociales.
On ne peut en douter, nous avons accès de manière intuitive à l’expérience d’autrui, nous pouvons le comprendre. Un récit tragique provoque des larmes, on répond à un sourire par un autre sans même parfois en connaître la véritable origine, on peut prévoir un geste et l’anticiper. Quel phénomène nous permet donc de comprendre autrui ? C’est Adam Smith qui met en exergue le premier ce concept d’empathie, lui donnant le nom de sympathie ; toutes les interactions sociales sont fondées sur cette faculté mutuelle de comprendre l’action d’autrui, c’est-à-dire son intention et les conséquences de celle-ci sur son comportement. Pour comprendre autrui, il est donc nécessaire de se mettre à sa place. Lors d’une bagarre, celui qui a le plus de chance de gagner est souvent celui qui, faisant preuve d’une grande empathie, sait prévoir les attaques de son adversaire pour mieux les esquiver : cela lui donne un avantage certain. En ce cas précis, il semble bien que pour comprendre son adversaire, l’individu se met à sa place, il quitte son point de vue pour adopter celui de l’autre et ainsi se voir en tant qu’attaqué à travers les yeux de l’attaquant, afin d’éviter ses coups. Ce court moment d’empathie est vital pour qu’au moment où l’attaqué a repris son point de vue, il ait intégré celui de l’attaquant, duquel dépend son comportement lors de l’attaque. « Em-pâtir » signifie « souffrir-en » : il s’agit donc bien se mettre à la place d’autrui, en lui, pour le comprendre, prendre en compte les éléments constitutifs de son être, sa situation, son histoire, son tempérament. Dans le cas de la bagarre, l’attaqué qui se met à la place de l’attaquant a non seulement accès à ses mécanismes de pensées mais aussi à ses réflexes, à ses habitudes, à sa stratégie à plus ou moins long terme. Il prend son rôle, se met tout entier à sa place l’espace d’un instant. Cependant, nous mettons-nous automatiquement à la place d’autrui lorsque nous cherchons à le comprendre ? La compréhension d’autrui, fondée sur notre faculté d’empathie, se manifeste-t-elle au terme d‘un processus cognitif, ou bien relève-t-elle de l’affectif ? En effet, nous avons accès à un contenu, nous « comprenons » l’expérience d’autrui, mais sans pour autant nous livrer au préalable à un exercice intellectuel et abstrait ; ainsi, dans l’exemple de la bagarre, celui qui use de l’empathie acquiert une connaissance de l’autre, sans que cela lui demande un intense effort réflexif, dont la durée lui serait fatale. Il y a donc un aspect immédiat à l’empathie, alors même qu’il s’agit d’une véritable activité exercée en vue de la compréhension d’autrui ; il semble que nous nous mettons à la place de l’autre de façon intuitive, pourtant cette compréhension demeure rationnelle. Cet échange de rôle s’effectue-t-il alors volontairement, ou bien est-ce un élan irrépressible de l’esprit face à une situation où comprendre l’autre est indispensable ? Nous ne pouvons nous empêcher de nous projeter en autrui pour percevoir autant que possible les méandres de sa pensée, mais certains semblent plus enclins que d’autres à utiliser cette faculté ; ainsi, celui qui esquive tous les coups de son adversaire a sans doute une plus grande propension à se mettre à la place d’autres individus, et à les comprendre.
Cependant, par quel moyen sommes-nous en mesure de nous mettre à la place d’autrui ? En effet, nous sommes le plus souvent tournés vers nous-mêmes, nous battant pour défendre notre point de vue, et nombre de théories, notamment en économie, postulent l’homme comme un être profondément égoïste. Quelles sont donc les raisons pour lesquelles nous changeons de point de vue, et par quel biais cela advient-il ? Le sociologue George Herbert Mead explique le phénomène d’empathie comme un pur changement de point de vue, où il s’agit pour l’individu de se « décentrer », de quitter son point de vue égocentré. Il s’agit donc bien de se mettre à la place de l’autre en adoptant un référentiel nouveau, qui n’est plus celui du « je ». C’est donc une expérience primordiale et indispensable à l’homme, puisque grâce à elle, il peut vivre
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