Autrui à l'épreuve du portrait
Dissertation : Autrui à l'épreuve du portrait. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Clemcrbn • 1 Novembre 2022 • Dissertation • 3 494 Mots (14 Pages) • 242 Vues
Autrui à l’épreuve du portrait
« Si c’était moi qui toujours devais rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir !... Pour cela, pour cela je donnerais tout !... Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais... Mon âme, même ! ». Ce vœu que formula Dorian Grey dans les premières pages de l’œuvre d’Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Grey, se réalisa et devint alors le fondement de l’intrigue à la fois fantastique et philosophique de l’histoire. En effet, alors que Dorian, jeune dandy séducteur et mondain, continue de vivre en s’éloignant de toute forme de morale et en accumulant les péchés par orgueil et narcissisme, son physique ne change pas, ses traits restent les mêmes au travers les âges. Seul son portrait, enfermé chez lui, caché de la vue de tous, vieillit, s’enlaidit, concentre les traces du comportement de Dorian. Ce portrait recèle alors le secret de son âme, ce qu’il est vraiment, et ce qu’il cache à tout le monde. C’est finalement le portrait, en lieu et place de Dorian Gray, qui renferme les perversités et les décadences de ce dernier.
Si l’on s’en tient à ce récit, le portrait apparaît comme le fruit d’un transfert de conscience, d’une transposition de l’intériorité la plus profonde du modèle, Dorian, à sa représentation picturale, il est la manifestation tangible de la personnalité la plus pure de Dorian. Le portrait est donc le meilleur moyen de cerner, d’avoir accès, d’interpréter celui qui se tient en face de nous, de celui qui nous ressemble mais qui n’est pas nous par la même occasion, celui qu’on nomme autrui.
Autrui à l’épreuve du portrait.
Dans le précepte « ne fait pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse » cela ne désigne pas un ensemble d’individu indéterminé ou une foule mais bien l’autre homme en tant que sujet moral conscient. Sa particularité est qu’il désigne l’autre soi-même, l’alter égo. Autrui est à la fois mon semblable et différent de moi : il est une autre conscience. Autrui c’est finalement l’homme qui se tient en face de moi, mon prochain. Dans la notion d’autrui, celle qu’il faut interroger c’est aussi l’intersubjectvité c’est à dire ma relation à l’autre. Je cherche toujours à connaître l’autre, à tenter de le faire mien, voire de me l’accaparer. Le connaître c’est le faire entrer dans mon champ personnel et dans ma propre conscience.
Cependant, comment cerner autrui ? comment se l’approprier ? Une façon de se représenter autrui, c’est tout simplement de le représenter tel qu’il est en le dessinant traits pour traits par l’exercice du portrait. Présent dans la culture depuis l’antiquité, les premiers sont attribués aux artistes Égyptiens entre 2700-2300 avant Jésus Christ et étaient alors destinés aux défunts, aux Rois et aux Divinités. Le christianisme va amorcer sa chute et sa disparition car la représentation de l’humain en peinture ou en sculpture fait craindre l’idolâtrie. C’est alors à la Renaissance que le portrait va retrouver ses lettres de noblesse et son moment de gloire, l’humanisme affirme et replace l’homme au centre des préoccupations, le portrait le matérialise dans l’art pictural. Au XVI eme siècle, il devient un art de cour prisé par les nobles et les riches marchands puis au XVII il devient une pratique courante. Le XIXe siècle voit fleurir de nombreux courants et sensibilités artistiques qui réinventent constamment la pratique du portrait.
Le « portrait », étymologiquement « pourtraict » de « pour traire », au sens de tirer un trait, dessiner, conserve l’idée d’une empreinte monochrome, une sorte de dessin par impression de l’original.
Cependant, la question est de savoir si le portrait est-il réellement fidèle au modèle représenté. S’il n’est pas perverti. S’il est véritablement un moyen d’inspection du sujet et donc d’autrui. Par la représentation fixe du personnage, ne perd -on pas l’essence même de ce qui fait la vie du sujet, l’esprit qui anime le corps. Les codes de cet art au fil des siècles n’ont-ils pas dénaturé l’idée même du portrait. Le portrait ne reste il pas le fruit simplement du peintre.
En fin de compte, est ce que l’exercice du portrait permet d’accéder pleinement à la connaissance d’autrui ou ne sert-il pas au final la propre cause du peintre ?
Le portrait se concentre sur le modèle, sur celui qui se tient en face de moi, en le fixant et en se concentrant sur son visage, le peintre entretient une relation très spéciale avec autrui. Cependant, le portrait est finalement réducteur pour autrui car il ne permet pas d’accéder à la conscience d’autrui et le portrait se retrouve donc tiraillé entre deux aspects, le physique du modèle et la conscience du peintre.
Le portrait peut apparaitre à bien des égards comme le médiateur idéal entre moi et autrui pour mieux cerner celui que j’ai en face. Le fixer sur la toile, dans ses traits les plus fidèles, peut apparaître comme un chemin vers l’introspection d’autrui. Déjà, le portrait a vécu son heure de gloire lorsque l’Homme est entré dans la réflexion humaine comme le centre du monde et que par analogie, autrui, mon prochain a pris en intérêt. Ensuite, le point de focalisation du portrait étant le visage, et que celui-ci véhicule les émotions, les sensibilités du modèle, le portait me permet d’accéder à ce que renferme finalement autrui.
Comme exposé en introduction, le portrait a gagné ses lettres de noblesse à la Renaissance. L’Antiquité, époque où naquit cette pratique, ne proposait que des portraits de substitution dont l’objectif était l’adoration des Dieux, ou funéraire, chez les Égyptiens notamment, pour créer un support pour la vie dans l’au-delà. C’est dans cet objectif qu‘étaient créés les masques funéraires, dont celui de Toutankhamon est resté célèbre. Le portrait pouvait aussi endosser un rôle politique comme en Grèce ou cette représentation permettait de rendre hommage aux grands hommes mais de manière idéalisé, faisant du portrait un art typologique. Le Moyen Age, et le christianisme, comme toutes les religions monothéistes, proclament la légitimité de la vénération des images du Christ, de la Vierge et des Saints mais interdit celle du monde tangible par peur de l’idolâtrie. De plus, Quand les puissants, papes, évêques, rois, princes font reproduire leur apparence ce sont des archétypes. C’est alors le bas Moyen Age et surtout la Renaissance qui permet au portrait de devenir un genre artistique à part entière. C’est bien évidemment l’humanisme et la
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