Commentaire de l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine et autres
Étude de cas : Commentaire de l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine et autres. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar 3241 • 31 Mars 2020 • Étude de cas • 5 175 Mots (21 Pages) • 594 Vues
TD Droit administratif
Commentaire de l’arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine et autres
« Dans dix ans, 70% à 80% de la législation adoptée le sera sous influence européenne. » Si cette prévision annoncée en 1988 par Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, peut être démentie par la réalité qui montre que seulement 20% des lois ont aujourd’hui une origine européenne, elle rend néanmoins compte du phénomène croissant d’intégration des normes de l’Union européenne au sein de l’ordre juridique interne qui s’est effectivement produit, à tel point que certains juristes, tels que Jacqueline Morand-Deviller parlent aujourd’hui d’un « fédéralisme juridique européen ». Mais comme le souligne Jean-Marc Sauvé, cette ouverture de notre ordre juridique au droit communautaire « ne va pas sans interrogations légitimes sur l’identité et la souveraineté nationales, ni sans risques inédits d’insécurité juridique, de frottement et même de rivalité. » Face à ces rivalités inévitables, il préconise « de s’inscrire dans une démarche de souveraineté partagée, qui préserve à la fois la diversité et le cœur des identités constitutionnelles nationales ainsi que les chances d’une coopération harmonieuse entre ordres juridiques ». C’est dans cette perspective que s’inscrit la solution rendue le 8 février 2007 par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat dans l’arrêt Société Arcelor.
Afin de favoriser la réduction des émission de gaz à effet de serre, une directive communautaire établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté est entrée vigueur le 13 octobre 2003. L’annexe I de cette directive établit une liste des activités auxquelles ce système s’applique, dans laquelle figurent la production et la transformation des métaux ferreux et notamment le production de fonte et d’acier, qui correspondent aux activités des industries sidérurgiques. Une ordonnance du 15 avril 2004 ratifiée par le Parlement a transposé les dispositions de la directive relevant de la matière législative et renvoie au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des activités concernées par ce système d’échange de quotas. Par conséquent, a été pris en Conseil d’Etat le décret du 19 août 2004 qui reprend à l’identique dans son article premier la liste des activités énoncées à l’annexe I de la directive, y incluant donc les installations du secteur sidérurgique. Le 12 juillet 2005, la Société Arcelor Atlantique et Lorraine et d’autres entreprises de sidérurgie demandent au Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’écologie et du développement durable et au ministre délégué de l’industrie, à titre principal, l’abrogation de l’article 1er du décret du 19 août 2004 en tant qu’il rend applicable ce décret aux installations du secteur sidérurgique. Elles leur demandent, à titre subsidiaire, l’abrogation des articles 4.I, 4.II et 5 de ce décret. Le silence gardé par chacune de ces autorités a emporté des décisions implicites de refus d’abrogation acquises les 18,15,15 et 19 septembre 2005.
La société Arcelor Atlantique et Lorraine et les autres entreprises sidérurgiques ont alors saisi directement le Conseil d’Etat, en tant que juge de premier et dernier ressort, afin qu’il annule pour excès de pouvoir les quatre décisions implicites, qu’il enjoigne aux autorités administratives compétentes d’abroger à titre principal l’article 1er du décret et à titre subsidiaire les articles 4.I, 4.II et 5 du décret ou à tout le moins, qu’il sursoit à statuer dans l’attente que le tribunal de première instance des Communautés européennes se prononce sur la validité de la directive.
Pour que le juge retienne l’illégalité de l’article 1er du décret, les sociétés soutiennent tout d’abord que le décret est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, ils invoquent ensuite la contrariété du décret au principe de sécurité juridique en tant que principe général du droit communautaire et enfin, la méconnaissance par celui-ci de plusieurs principes constitutionnels : le droit de propriété et la liberté d’entreprendre ainsi que le principe d’égalité.
Deux problèmes de droit annexes peuvent ainsi être relevés, le premier étant de savoir si les dispositions d’un décret transposant fidèlement celles d’une directive peuvent être entachées d’une erreur manifeste d’appréciation. Le Conseil d’Etat répond par la négative à cette question puisque le pouvoir réglementaire ne pouvait se livrer à aucune appréciation quant au champ d’application du décret, la directive excluant la possibilité pour un Etat membre de soustraire des activités visées à l’annexe I au champ d’application du système. La seconde question posée au Conseil d’Etat est celle de savoir si le fait que le décret ne prévoit pas le prix auquel les sociétés devront, en cas d’insuffisance, acheter des quotas, méconnaît le principe de sécurité juridique en tant que principe général du droit communautaire. Là encore, le Conseil d’Etat répond par la négative à cette question.
Le problème de droit essentiel est celui induit par l’invocabilité d’une méconnaissance par le décret de principes à valeur constitutionnelle. Ainsi, derrière les questions de savoir si d’une part, le décret, en tant qu’il placerait les sociétés dans une situation où elles seraient contraintes d’acquérir des quotas d’émissions de gaz à effet de serre serait contraire au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre et d'autre part, en soumettant au même traitement des personnes placées dans une différente ainsi qu’en traitant de manière différente des personnes placées dans une situation semblable, serait contraire au principe d’égalité, se cache en réalité un problème plus global. Dans la mesure où le débat porte, sous couvert de la contestation de la légalité interne de l’acte de droit interne, sur la substance même de l’acte communautaire, la délicate question posée au Conseil d’Etat est la suivante : Le Conseil d’Etat peut-il contrôler la constitutionnalité des actes transposant fidèlement une directive ou la directive fait-elle écran à un tel contrôle ? Si oui, dans quelle mesure lui appartient-il de le faire ?
Cet arrêt est important car il met en cause les rapports entre le droit interne et le droit communautaire et par conséquent, ceux entre la juridiction administrative française et la juridiction communautaire. Il reflète la volonté du Conseil d’Etat à la fois de tenir compte des exigences juridiques résultant de sa qualité de membre de l’Union européenne mais également d’instaurer une véritable coopération judiciaire avec les organes de l’Union européenne dans sa mission de garantie des droits.
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