LE JUGE ET LE CONTENU DU CONTRAT
Dissertation : LE JUGE ET LE CONTENU DU CONTRAT. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar jeje001fr1 • 26 Janvier 2016 • Dissertation • 3 311 Mots (14 Pages) • 3 830 Vues
LE JUGE ET LE CONTENU DU CONTRAT
En droit français l'article 1134 du Code civil dispose que « les contrats valablement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». L'article pose ainsi le principe de force obligatoire du contrat dont découle son intangibilité. En tirant toutes les conséquences des dispositions de l'article cela signifie que le contrat aussitôt formé doit être respecté. On pourrait alors considérer que le contrat est une loi privée. En effet, il semble que le Code civil assimile loi contractuelle et loi nationale. Le juge ne peut se soustraire ni à la première ni à la seconde. La loi des parties s’impose donc au juge.
Cette idée se retrouvait déjà en droit romain puisque déjà Ulpien disait que le juge dans le contrat de dépôt devait respecter le pacte adjoint au contrat au moment où il apprécie la responsabilité contractuelle du dépositaire. Ulpien rajoute d'ailleurs qu'il faut, dans un contrat, respecter ce qui a été initialement convenu parce que le contrat donne une loi aux parties. Par réappropriation du droit romain les moralistes puis les rédacteurs du code civil ont érigé l'adage « pacta sunt servanda » comme principe et par la même occasion consacré le principe d'intangibilité du contrat.
Cependant, malgré la prise de position des pères du Code civil, il semble que la jurisprudence tend à rendre moins opaque le principe en accordant aux juges le pouvoir d'interpréter voire de réviser le contrat au point que nous pouvons nous questionner sur la légitimité du juge dans l'exercice de ce pouvoir.
Il s'agira donc de nous demander s'il faut reconnaître ce pouvoir prétorien dans l'élaboration du contenu du contrat. Pour cela nous verrons dans un premier temps en quoi l'immixtion du juge est nécessaire dans les rapports privés en démontrant d'abord que le principe d'intangibilité du contrat n'est pas absolu puis en mettant en évidence en quoi le législateur et la jurisprudence reconnaît l'interventionnisme du juge. Pour enfin, à la lumière des différents droits montrer en quoi ce pouvoir du juge doit être encadré et motivé en n'oubliant pas de terminer par l'état des droits européen et prospectif.
I/ DE LA REALITE D'UNE IMMIXTION DU JUGE DANS LE CONTRAT
Ulpien dans le Digeste posait la règle « nam hoc servabitur, quod initio convenit ( legem enim contractus dedit) ». Il faut respecter ce qui a été initialement convenu parce que le contrat donne une loi aux parties. Cette obligation de respecter ce qui a été convenu s'impose aux parties mais aussi au juge. C'est dans cet esprit que les pères du Code civil ont rédigé l'article 1134 du Code civil et pourtant cette intangibilité du contrat est loin d'être absolue dans notre droit contemporain.
A/ UNE INTANGIBILITE DU CONTRAT NECESSAIREMENT RELATIVE
L'article 1134 est clair, seules les parties au contrat peuvent défaire ou modifier ce qu’elles on fait. Elles ne peuvent s’engager dans cette voie que par une décision commune. Ce que la volonté fait, elle peut le défaire pourvu qu’elle soit commune.
En plaçant le contrat comme une loi privée, l'article interdit au juge, tiers au contrat, de modifier unilatéralement son contenu. Ce dernier est donc limité dans son autorité par la loi qu'il ne saurait contredire puisqu'il en est le serviteur. Et puisqu'il est le serviteur de la loi, il est également le serviteur du contrat. En effet, le Code civil assimile loi contractuelle et loi nationale, le juge ne peut se soustraire ni à la première ni à la seconde. La loi des parties s’impose donc au juge. De cette intangibilité, et parce que le législateur n'a jamais prévu dans le Code le principe d'imprévision, la Haute juridiction a tout simplement écarté et interdit toute possibilité de révision pour imprévision c'est à dire toute révision pour bouleversement des circonstances économiques due à des événements imprévus ( C.Cass Canal de Craponne 6 Mars 1876 ). Ainsi les tribunaux ont interdiction de modifier le contrat, prévu par les parties quand bien même il y aurait iniquité.
La loi ne peut être révisée que par le pouvoir qui l’a édicté, et non par le juge. A fortiori le contrat ne peut être modifiée que par les parties qui l'ont formé et non par le juge.
Ce refus de l'imprévision est motivé pour des raisons de sécurité juridique. On veut éviter que l'arbitraire du juge permette à un contractant de mauvaise foi de se délier de ses engagements.
On veut également éviter que le juge porte atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenues entre les parties. La Cour de cassation dans sa décision du 6 mars 1876 estime « Dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et subsistuer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ». Dans un arrêt du 10 juillet 2007 elle confirme l'impossibilité pour le juge de porter atteinte à la substance du contrat quand bien même il y aurait mauvaise foi.
Pourtant le juge, à titre exceptionnel, par l'effet de la loi, a la possibilité de s’immiscer dans le rapport contractuel, notamment en matière de vente d'immeuble ou d'engrais. Ou encore en droit administratif, comme le montre l'arrêt du Conseil d'Etat « Compagnie général d'éclairage de Bordeaux », la théorie de l'imprévision est admise. Il s'agit là déjà d'une première matérialisation de l'effet relatif du principe d'intangibilité. On notera également que depuis la Cinquième République, la loi elle même peut être limitée par l’exercice de son juge, le Conseil constitutionnel. Et si la loi, expression de la volonté de la Nation peut être révisée par le juge, qui n'hésite pas à refuser sa promulgation ou la soumettre à des réserves d’interprétation, la loi des parties expression de la volonté particulière pourrait elle aussi être révisée par le juge. Les articles 1156 à 1164 donnent d'ailleurs au juge un pouvoir d'interprétation en cas d'imprécision ou d’ambiguïté de la clause contractuelle. L'article 1156 dispose même « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. »
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