L'interprétation du juge administratif
Dissertation : L'interprétation du juge administratif. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Benjamin Toutain • 6 Décembre 2015 • Dissertation • 2 132 Mots (9 Pages) • 3 334 Vues
Droit Administratif
Le pouvoir d’interprétation du juge
« La liberté d’interprétation du juge administratif »
Dans l’esprit des lois, Montesquieu nous disait, « (…) Il pourrait arriver que la loi, qui est en même temps clairvoyante et aveugle, serait, en de certains cas, trop rigoureuse. Mais les juges de la nation ne sont, comme nous avons dit, que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des être inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur. C’est donc la partie du corps législatif, que nous venons de dire être, dans une autre occasion, un tribunal nécessaire, qui l’est encore dans celle-ci ; c’est à son autorité suprême à modérer la loi en faveur de la loi même, en prononçant moins rigoureusement qu’elle (…) ». Par cette citation, Montesquieu pose l’idée selon laquelle le juge administratif à une influence qui dépasse la simple interprétation de loi, contribuant a fortiori à l’enrichissement du droit administratif.
En droit public, l’interprétation ne consiste pas seulement à dégager le sens exact d’un texte qui serait peu clair, mais aussi à en déterminer la portée, c’est à dire le champ d’application temporel, spatial et juridique, ainsi que l’éventuelle supériorité vis à vis d’autres normes. Les juges judiciaires peuvent interpréter les actes administratifs règlementaires et, dans certains cas, les actes individuels ; les juges administratifs peuvent, sauf exceptions interpréter les traités.
Le juge administratif peut être saisi par tout citoyen, ou personne morale, contre l’Etat ou une autre personne morale de droit public, pour en contester une décision ou bien un acte, c’est par ce mécanisme que l’on parle d’Etat de droit.
L’existence d’une dualité de juridiction, le fait d’avoir deux ordres juridiques autonomes, à savoir un ordre administratif et un ordre judiciaire, est notable chez peu de pays occidentaux. Si la Grèce et le Luxembourg utilisent le même système que la France, la Grande-Bretagne par exemple n’utilise pas ce système. Il en va de même pour les Etats-Unis. Dans ces deux derniers Etats, il existe en effet plus des « administrative tribunals » charger chacun d’un secteur particulier, et les décisions de ces tribunaux sont susceptibles de recours devant les juridictions d’appel de droit commun. Enfin, d’autres Etats comme la Suisse, l’Allemagne ou encore la Suède emploient encore d’autres systèmes différents pour juger leur administration.
En France, le juge administratif est venu répondre à une anomalie. Avant son existence, l’administration se jugeait elle-même. Ce principe trouvait son fondement dans la loi des 16 et 24 août 1790 qui imposait une véritable séparation, les juges judiciaires ne pouvaient ainsi juger l’administration. Il y avait ainsi un problème de partialité, l’administration était juge et partie, l’administré faisait ainsi face à une seule et même personne ce qui allait à l’encontre de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le juge administratif est ainsi apparu avec les conseils de préfectures, et avait à son origine un rôle simplement consultatif. À partir de l’arrêt Cadot, rendu le 13 décembre 1889 par le Conseil d’Etat, à ce rôle consultatif va s’ajouter une fonction de juger en premier ressort. Depuis ces conseils de préfectures se sont vu attribuer la dénomination de Tribunal Administratif (1953), puis sont apparus les Cours Administratives d’Appel (1987), et quelques tribunaux administratifs spécialisés. Au sommet de cet ordre juridique administratif se trouve le Conseil d’Etat, équivalent de la Cour de cassation dans le système judiciaire.
Le juge judiciaire est donc parti à l’origine avec un pouvoir restreint et un rôle que l’on peut qualifier de mineur, mais au fil du temps et à force de décisions, la juridiction administrative a évolué dans son fonctionnement, mais aussi dans son rôle, si bien que l’on parle aujourd’hui d’un pouvoir normatif du juge administratif. Ceci a été invoqué du fait qu’après avoir écarté le Code Civil pour régler les litiges impliquant l’administration, par l’arrêt Blanco rendu par le Tribunal des Conflits le 8 février 1873, le juge se devait, en l’absence de texte régissant les conflits administratifs, d’élaborer lui-même ces règles.
Pourtant, le pouvoir normatif se définit traditionnellement comme étant le pouvoir d’édicter des normes juridiques, et semble donc incompatible avec la fonction de juger. Cela induit donc à se demander si le juge administratif français dispose réellement d’un pouvoir normatif, au vu de sa liberté d’interprétation. Cette réflexion conduit à constater que si le juge administratif est bien un créateur de normes juridiques (I), ce pouvoir revêt tout de même certaines limites (II).
- La jurisprudence administrative, source d’un véritable pouvoir normatif du juge
Par ses décisions, le juge dispose d’un réel pouvoir normatif du fait de l’autorité de ces décisions (A), un pouvoir qui va lui permettre de combler le vide normatif qu’il existe en droit administratif, et même d’édicter des principes généraux et fondamentaux du Droit (B).
- La jurisprudence administrative, marqueur d’autorité du pouvoir du juge administratif
Comme cela a été brièvement évoqué précédemment, au moment de l’arrêt Blanco du 8 février 1873, il n’existait aucun droit pour juger l’administration, il n’y avait aucun fondement juridique pour faire répondre l’administration de ses actes. Pour répondre à ce vide juridique, la règle de droit ne va pas provenir d’un code comme cela est traditionnellement le cas dans les autres branches du Droit, mais de la jurisprudence du juge administratif.
L’arrêt Blanco marque le début de cette création juridique, il est considéré comme étant le fondement, la clef de voute du droit administratif, reconnaissant que l’administration doit être soumise à des règles spécifiques. À partir de cet arrêt, les décisions vont s’enchainer et constituer le droit administratif, qui se trouve ainsi être un réel droit prétorien.
Si ces décisions ont à elles seules permis de construire une branche du droit, c’est parce que l’on peut dire qu’elles s’imposent comme de vraies normes juridiques. Ce statut, cette valeur qui leur est conférée est essentiellement dû à leur autorité. L’autorité des décisions du juge administratif se caractérise par le fait qu’en l’absence d’un droit administratif, les juges vont afficher une réelle unité. En effet, les juridictions vont juger dans le même sens et ainsi permettre une véritable sécurité juridique pour les administrés. De par ce fait, vont naitre les principaux principes du droit administratif, comme le contrat administratif ou encore le régime de responsabilité, par exemple. En conséquence, en cas de litige, le juge trouvera la solution au litige dans la jurisprudence. La jurisprudence administrative devient donc la « norme » à appliquer lors des contentieux impliquant l’administration, et étant produite par le juge, on peut accorder à celui-ci l’existence d’un pouvoir normatif.
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