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La prudence

Étude de cas : La prudence. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  27 Mai 2020  •  Étude de cas  •  13 274 Mots (54 Pages)  •  550 Vues

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PRUDENCE

 

Si ton œil est pur,
Ton corps tout entier
Sera dans la lumière. 
Matthieu 6,22

 

 

La prudence « engendre » la vertu morale : ce n’est pas une allégorie - Fausses interprétations contemporaines – La « quasi-suppression du Traité sur la Prudence » - La première vertu cardinale comme cause, « mesure », matrice - La vérité signifie : le réel se manifeste.

 

Aucune assertion de la doctrine chrétienne classique de la vie ne sonne à l’oreille de l’homme contemporain, y compris à celle du chrétien, de façon si peu familière, et même si étrange et déconcertante que celle-ci : la vertu de prudence est la « génitrice » et la matrice de toutes les autres vertus cardinales, de la justice, de la force, et de la tempérance ; donc, seul celui qui est prudent peut aussi être juste, fort et tempérant ; et l’homme bon est bon, en vertu de sa prudence.

Ce sentiment déconcertant serait encore plus fort si nous prenions cette assertion avec tout le sérieux qu'elle implique. Mais il nous est devenu courant de tenir de telles hiérarchies parmi les grandeurs spirituelles et morales, et en tout premier lieu parmi les «vertus», pour quelque chose d’allégorique, ou en tout cas d’assez oiseux au fond. Cela nous indiffère complètement de savoir laquelle des quatre vertus cardinales a bien pu obtenir le « premier prix » dans telle compétition organisée par des théologiens scolastiques.

 Certes, mais les choses sont telles que c’est sur cette prééminence de la prudence sur les autres vertus que repose, ni plus ni moins, que toute la structure ordonnatrice de l’image de l’homme de l’Occident chrétien. Dans l’affirmation de la prééminence de la prudence se reflète, comme dans aucune autre affirmation de l'éthique sans doute, la structure interne de toute la métaphysique occidentale chrétienne: à savoir, que l’être est antérieur au vrai, et le vrai antérieur au bien. Et même, c’est un dernier reflet du mystère le plus central de la théologie chrétienne qui y brille encore: que le Père est l'origine engendrant le Verbe Éternel, et que l’Esprit-Saint procède du Père et du Verbe.

C’est pourquoi le sentiment déconcertant qui saisit l’homme contemporain face à cette affirmation de la prééminence de la prudence, est plus révélateur qu’il n’y paraît. Il est fort possible que s’y exprime une aliénation objective plus profonde : le détachement du caractère obligatoire de l’image de l’homme de l’Occident chrétien, et le commencement d'un manque de compréhension pour les bases de la doctrine chrétienne quant à la constitution fondamentale du réel en général.

Quant à la façon de parler et de penser actuelle, la prudence semble moins signifier une condition préalable du bien que plutôt une façon de l’éviter. Le bien relève de la prudence : cette phrase nous paraît presque absurde. Ou alors nous la comprenons à tort comme la formule d’une éthique utilitariste à peine déguisée. Car la prudence nous semble être, quant à son concept, plus apparentée au bien simplement utile, au bonum utile, qu’au bonum honestum, au bien noble. Dans la représentation devenue courante de la prudence – comme aussi d’ailleurs pour prudence en français et en anglais - pointe la signification d’une auto-conservation anxieuse et réfléchie et d’une inquiétude pour soi-même non dénuée d’égoïsme. Mais ces deux choses ne conviennent pas au bien noble : les deux lui sont inadéquates.

C’est pourquoi il nous est difficile de comprendre que la justice, la deuxième vertu cardinale, et tout ce qu’elle implique, doive être fondée sur la prudence. Et même, prudence et courage sont devenus pour la conscience commune des concepts presque inconciliables : est « prudent », celui qui sait ne pas se mettre dans la délicate situation de devoir faire preuve de courage ; c’est à la prudence qu’en appelle le « tacticien raffiné », qui sait se soustraire à l’engagement de la personne. Quant à la relation entre la prudence et la quatrième vertu cardinale, la tempérance, la pensée contemporaine semble certes la comprendre en général déjà de façon plus exacte ; cependant, ici aussi se révèle, à y regarder de plus près, l’absence d’une authentique et pleine correspondance aux grands archétypes de ces deux vertus. Car discipliner l’appétit de jouissance sensible n’a pas pour but de conduire à la tranquille quiétude du petit bourgeois. Mais que ce soit bien là l’idée cachée dans l’expression courante de « prudente » modération, se révèle dans l’assurance bornée avec laquelle on déprécie, comme autant d'excès imprudents », la noble audace d’une vie vouée à la virginité et la dure rigueur d’un véritable jeûne - de la même façon d’ailleurs, et pas moins, que l’on déprécie la colère agressive du courage.

Tel que le comprend la moyenne de nos contemporains, le concept de bien semble donc plutôt exclure qu’inclure celui de prudence. Il n’y a pas, semble-t-il, de bonne action qui pourrait ne pas être imprudente, et pas de mauvaise qui pourrait ne pas être prudente; on qualifiera assez souvent le mensonge et la lâcheté de prudence, la véracité et le don de soi courageux tout aussi souvent d’imprudence.

La doctrine chrétienne classique de la vie dit en revanche: l’homme n’est prudent et bon qu’en même temps; la prudence est partie prenante de la définition du bien. Il n’y a pas de justice et de courage qui puissent contredire la vertu de prudence; et celui qui est injuste est, d’abord et en même temps, imprudent. Omnis virtus moralis debet esse prudens: toute vertu morale est nécessairement prudente. Au sens éthique général de notre époque, qui se manifeste dans le langage de tous les jours, correspond aussi, dans une large mesure, la théologie morale systématique. Difficile de dire ici qui souffle et qui répète. Les deux – conscience éthique générale et théologie morale - sont vraisemblablement l’expression d’un processus intellectuel de renversement des valeurs plus profond. - Il est en tout cas indiscutable que la théologie morale contemporaine ne sait absolument rien dire, ou que très peu, sur le rang et la place de la prudence; et ce, même pas quand elle croit ou prétend suivre explicitement la théologie classique. L’un des plus importants théologiens actuels parle même d’une quasi-suppression du traité de la prudence par la théologie morale contemporaine.

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