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Moeurs Du Foot

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Par   •  24 Janvier 2015  •  2 746 Mots (11 Pages)  •  892 Vues

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Texte

Mai 1897

Il y a dans les moeurs, comme dans l'histoire, des conquêtes imprévues. La marche triomphale du football à travers les habitudes jusqu'alors si sédentaires de notre jeunesse française en est un nouvel exemple. Le foot-ball avait tout contre lui. Son premier défaut était d'être anglais. On nous répète à chaque instant que nous sommes des anglomanes renforcés. Cela n'est pas; car à part le petit groupe de gommeux parisiens qui affectent de ne porter que du linge blanchi a Londres, il suffit qu'une mode arrive d'outre-Manche, pour qu'elle éveille aussitôt des susceptibilités « patriotiques » dans la presse et dans l'opinion. De plus, le foot-ball faisait son entrée chez nous précédé d'une réputation nettement établie de brutalité: les mères françaises qui craignent les rhumes et les engelures ne pouvaient dès lors lui faire un accueil sympathique. Enfin, c'est un jeu collectif: il exige la formation de deux équipes de onze ou quinze joueurs chacune: pour se déployer à l'aise, ces équipes ont besoin d'un vaste espace de terrain plat et gazonné. Autant de motifs pour que les maitres ne fussent pas favorables à une innovation qui allait forcément compliquer la discipline et accroître le poids de leurs responsabilités.

Mais il faut signaler un dernier désavantage auquel nul de ceux qui ont popularisé le foot-ball en France n'avait songé, et dont, pour ma part, j'ai été long à me rendre compte. Il est impossible au spectateur qui n'est pas « au courant » de comprendre quelque chose à ce qui se passe sous ses yeux. Il voit une mêlée, des bras et des jambes enchevêtrés, des poitrines qui se heurtent, des mains qui se crispent, toute une série d'efforts auxquels il s'intéressera s'il est peintre ou sculpteur, qui lui feront horreur s'il est pédagogue ou s'il a simplement l'âme sensible. Comment, en face de ce travail intense des muscles, la pensée lui viendrait-elle que des forces intellectuelles et morales sont, au même moment, mises à contribution et que rien ne sommeille dans l'être qui se débat là devant lui ? Si Paul Bourget, pourtant si bien fait pour comprendre cela, n'a pas su l'apercevoir, qui donc le pourrait? La description qu'il donne, dans Outre-Mer, d'un match de foot-ball, est une trompeuse photographie: tout ce qui s'y trouve reproduit est exact et réel; mais elle ne reproduit pas tout. C'est donc que la partie cérébrale du jeu -- de beaucoup la plus importante -- demeure invisible; c'est donc que le muscle y sert d'écran à l'intelligence.

On maudissait le foot-ball avant de le connaître. La malédiction fut bien plus énergique quand on le connut. Les journalistes, horrifiés, en firent de terribles descriptions, propres à donner la chair de poule aux parents les moins craintifs; des listes de tués et de blessés, importées d'Angleterre, circulèrent comme pièces à l'appui; certains proviseurs prirent sur eux de l'interdire aux lycéens. Rien n'y fit: la marée monta avec une parfaite régularité. Les jeunes gens mirent, à vaincre tous les obstacles, une persévérance dont nul ne les aurait crus capables. Les prairies manquaient; ils jouèrent sur la terre battue, dans le sable, au risque de se rompre les os; ils auraient pour un peu joué sur des tas de cailloux. Je me rappelle des parties épiques au Bois de Boulogne sur la pelouse de Saint-Cloud. L'endroit était fort dangereux; un arbre était planté tout au milieu; les joueurs pouvaient à tout instant être précipités sur cet arbre et s'y frapper durement aux tempes. C'était un chêne rabougri et très laid. J'ai bien fait dix démarches pour obtenir qu'on l'enlevât; mais on sait ce qu'il en coûte pour toucher à un arbre du Bois de Boulogne ! et l'état civil de ce personnage était si compliqué que je ne réussis jamais à trouver à l'Hôtel de Ville le supérieur hiérarchique qui avait droit de décider de sa vie, en dernier ressort ! Deux beaux terrains furent aménagés au Champ-de-Mars, de chaque côté de la Galerie de trente mètres, lorsque les bâtiments de l'Exposition de 1889 eurent eté démolis: M. Alphand nous les avait destinés, mais ils furent réclamés pour les pupilles du Conseil municipal; les petits bambins des écoles primaires, vêtus de jerseys rayés qu'ils s'obstinaient à porter pardessus leurs chemises et coiffés de « polos » à la dernière mode, s'en vinrent gravement, pendant deux saisons, occuper ces pelouses et y prendre leurs puérils ébats pendant que les lycéens, arrivés à l'âge où les jeux athlétiques sont si nécessaires à l'épanouissement viril, se voyaient relégués dans des préaux trop étroits et exposés à des accidents graves.

En province, la question des terrains n'était pas si difficile à résoudre. Avec de l'ingéniosité et de la persévérance, on trouva des champs inoccupés que les propriétaires consentirent à prêter ou à louer à bas prix; ou bien l'autorité militaire, la société des courses, la compagnie du chemin de fer concédèrent aux lycéens et aux sociétés athlétiques l'usage des terrains dont elles pouvaient disposer. Mais un autre inconvénient se présenta: l'absence d'émulation. L'émulation est l'essence du foot-ball. Il n'y a pas d'intérêt à y jouer entre camarades qui se connaissent trop bien, qui vivent ensemble depuis longtemps; à Paris, il y a dix lycées: chaque ville de province n'en a qu'un... On voit, par ce rapide exposé, toutes les chances qu'avait le foot-ball d'expirer, faute de foot-ballers. Or, depuis dix ans, le mouvement athlétique a subi bien des vicissitudes, bien des arrêts; il y a eu parfois des enthousiasmes exagérés, plus souvent encore des découragements injustifiés. L'aviron n'a pas prospéré comme on s'y attendait: ce sport si parfait au point de vue du travail musculaire, si captivant par « l'ivresse de nature » qu'il procure à ses adeptes, n'a encore séduit qu'une portion relativement infime de notre jeunesse. Quant au jeu de longue-paume, si intéressant et qui a l'avantage supérieur d'être pour la France un exercice traditionnel, un exercice vraiment national, nous avons en vain travaillé à lui rendre son ancienne popularité. Impossible de faire prendre la boxe, même la boxe « française », qui est un art tout parisien... A de certains moment les courses à pied ont fléchi; les maîtres de manège, les professeurs d'escrime et de gymnastique se plaignent sans

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