Voltaire - Babouc, la rencontre avec les lettrés
Commentaire de texte : Voltaire - Babouc, la rencontre avec les lettrés. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Delphine Muller • 16 Juillet 2018 • Commentaire de texte • 2 216 Mots (9 Pages) • 737 Vues
LA « les lettrés », Babouc
- Le narrateur met en scène un portrait contrasté des intellectuels
- La qualité des ouvrages et de la réflexion s’avèrent médiocres
L’animalisation des lettrés intervient dès le début de l’extrait avec un réseau lexical de termes péjoratifs : « ces parasites, cette vermine, toute la troupe » et une comparaison évocatrice : « comme les guêpes que le miel attire » choquent le lecteur ; nos préjugés par rapport à la connaissance sont tels qu’il nous semble impossible que des intellectuels ne soient pas des gens modèles. Les lettrés invités par Babouc sont présentés comme des profiteurs puisque le parasite vit aux dépends de son hôte ; le sens figuré de « vermine » est racaille. On est loin du portrait habituel des intellectuels. D’ailleurs l’adjectif démonstratif « ces », « cette » a une valeur péjorative qui généralise le comportement inqualifiable des lettrés. Ceux-ci semblent vivre aux crochets des riches car ils manquent cruellement d’ambition, ce qui est confirmé par l’antithèse : « Chacun d’eux briguait une place de valet et une réputation de grand homme ». Ils cherchent la plus mauvaise place, sous-entendu, ils ne veulent pas faire d’efforts pour réfléchir ; ils n’en sont peut-être pas capables. Leurs créations sont médiocres mais ils aimeraient qu’elles soient quand même reconnues. Leur réputation passe avant leurs idées, qui se cantonnent d’ailleurs à la satire et à la critique. Ils ont une fausse idée de la mondanité et de la vie dans les salons, une idée erronée du vrai savoir, comme le stipule le verbe croire dans l’expression suivante : « ils se disaient des choses insultantes, qu'ils croyaient des traits d'esprit ». La vulgarité a pris le pas sur les raisonnements et les débats d’idées. Ils n’ont ni l’art ni la manière des véritables lettrés qui savent briller dans le Paris du 18ème siècle. Leurs œuvres témoignent également en leur défaveur. C’est le triste constat de Babouc dans cette accumulation anaphorique : « ces gazettes de la médisance, ces archives du mauvais goût […] ces lâches satires ». La littérature du moment semble s’intéresser aux choses futiles alors que les philosophes désiraient œuvrer pour le bonheur en société ; ces écrits bas de gamme, à la mode au 18ème siècle, permettaient de dire du mal des contemporains, et Voltaire en a aussi été victime. On a une énumération des causes de ces pamphlets via le champ lexical de la jalousie : « envie, bassesse et la faim ». C’est de la littérature purement alimentaire, sans intérêt, destinée à gagner un salaire. Les idées sont creuses alors elles ne peuvent reposer que sur des éléments déjà existants ou prendre pour cible de vrais philosophes. Le parallélisme métaphorique « où l'on ménage le vautour et où l'on déchire la colombe » est une figure de l’injustice subie par les vrais écrivains : la colombe symbolise la pureté et faiblesse tandis que le vautour évoque la méchanceté, le charognard, le profiteur. Ces lettrés de pacotille attaquent donc les plus faibles, ce qui est peu glorieux. Ils n’osent pas prendre position pour leurs idées et suivent les modes. De même, le GN « Romans dénués d'imagination » traduit la critique des livres à l'eau de rose, des romans destinés plutôt aux femmes ou présentant des histoires de mœurs légères. C’est d’autant plus critiquable qu’au 18ème siècle les romans sont peu appréciés. Voilà pourquoi la réaction de Babouc nous semble démesurée : « il jeta au feu tous ces détestables écrits ». Cette hyperbole est une condamnation digne d’un jugement divin, le feu étant le symbole de la purification, de la destruction sans trace. Ainsi le jugement moral de Babouc sur Persépolis est accompagné d’un geste de destruction. C’est comme si Voltaire condamnait une partie de ses contemporains.
- Le narcissisme exacerbé est la cause de tous les maux
Dans cet extrait, on relève que le narcissisme exacerbé des lettrés est la cause de tous les maux ; ils représentent tout ce qu’on pourrait détester chez un être humain qui se promeut comme « éclairé ». Ainsi, le parallélisme de construction : « exterminer un auteur qui ne l'avait pas assez loué il y avait cinq ans », « la perte d'un citoyen qui n'avait jamais ri à ses comédies » (l. 10-12), met en exergue la disproportion entre la demande des intellectuels et le méfait dont ils ont été soi-disant victimes : le verbe « exterminer » et le GN « la perte » ont un aspect hyperbolique et comique car ils représentent une punition totalement disproportionnée par rapport au fait de ne pas avoir reçu d’éloges pour leurs œuvres. Cette caricature amplifie les traits péjoratifs des lettrés et attisent l’antipathie du lecteur. Celle-ci est renforcée par la proposition subordonnée hypothétique suivante : « Si quelqu’un d’eux disait un bon mot, les autres baissaient les yeux et se mordaient les lèvres de douleur de ne l’avoir pas dit » ; la relation de cause à effet entre le parjure commis, à savoir un « bon mot » et le résultat, se mordre « les lèvres de douleur », est extrêmement ridicule ; elle témoigne d’un besoin incessant de se mettre en valeur, de surpasser les autres pour se glorifier. Ils usent de flatterie envers leur hôte, comme en témoigne l’hyperbole : « jamais leurs contemporains, excepté le maître de la maison » ; ils ne peuvent faire aucun compliment à leurs semblables, car ce serait se rabaisser au même rang qu’eux ou bien accepter qu’ils aient eu de meilleures idées qu’eux. L’adverbe « jamais » indique une incapacité à communiquer avec autrui sur le plan des idées. Les mauvais lettrés restent dans l’affect et sont incapables de regarder au-delà d’eux-mêmes ; ils ont à peine de la considération pour le maître de maison, afin d’être réinvités pour continuer à briller d’une mauvaise façon. Se fermer les portes d’un salon serait reconnaître une certaine mort intellectuelle. La proposition incise suivante : « ils louaient deux sortes de personnes, les morts et eux-mêmes… » peut prêter à sourire. Le lecteur hésite entre le rire et la pitié puisque ces hommes se révèlent incapables de se défendre par la parole et la réflexion ; en effet, un mort ne peut pas riposter en cas de mensonge et on peut lui trouver toutes les qualités après-coup. Les faux lettrés passent donc leur temps à se louer eux-mêmes car personne d’autre ne le fera à leur place. Ce schéma de pensée et d’attitude semble sans fin. Ces lettrés médiocres sont donc centrés sur eux-mêmes et c’est ce qui empêche la véritable réflexion dans la société.
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