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L'invitaion Au Voyage

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Par   •  21 Juin 2013  •  Analyse sectorielle  •  4 052 Mots (17 Pages)  •  731 Vues

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Note liminaire : Il existe toujours un risque à démonter l’unité immédiate d’un poème. Cependant la complexité de « L’Invitation au voyage » nécessitait une telle opération préalable pour que la lecture résultante puisse faire vibrer toutes les harmonies internes. Un second parti pris pédagogique nous a conduit à considérer que la meilleure interprétation d’une œuvre d’art consistait à s’appuyer sur les autres créations de l’artiste.

Introduction

Les Fleurs du mal sont un recueil poétique de Baudelaire publié en 1857, reprenant toutes ses créations depuis 1840. L’ouvrage a été retouché en 1861 après avoir été condamné en justice pour immoralité, puis complété à titre posthume en 1868 pour sa dernière édition. Baudelaire y évoque ses tourments internes, la fêlure qui meurtrit son âme, la lutte sans fin entre le Spleen et l’Idéal qui le consume inexorablement.

« L’invitation au voyage » est un poème versifié célèbre extrait de la première (et majeure) partie du recueil intitulée « Spleen et Idéal ». Il a été inspiré par Marie Daubrun, une actrice dont le poète s’est brièvement mais intensément épris. Baudelaire lui déclare ici un amour plus mystique que sensuel. Le voyage auquel le poète invite sa bien-aimée n’est qu’une promesse de voyage s’épanouissant dans le rêve. C’est une invitation à se rendre dans un lieu privilégié, un lieu idéal censé apporter un remède et un réconfort au poète qui lutte avec le spleen. La quête de ce pays lointain se confond un moment avec l’évocation de la femme aimée. Baudelaire s’adresse à elle car il est sûr qu’elle communie à sa vision inspirée. Il s’agit d’une rêverie devant des tableaux de Vermeer et de Ruysdael. En effet cette contrée pourrait bien être la Hollande, « Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, » écrira plus tard Baudelaire dans les Petits Poèmes en prose. C’est un moderne « embarquement pour Cythère » où il s’agit d’aller vivre avec la femme aimée, muse du poète, loin des dures réalités ordinaires.

Il s’agit d’un texte descriptif et rhétorique qui appartient au registre lyrique. Le lecteur sera séduit par la douceur mélodieuse, par l’intensité des émotions, par la richesse des images et par les résonances symboliques de cette déclaration amoureuse.

Nous essaierons d’apprécier cette invitation au voyage comme une triple démarche : d’abord une invitation amoureuse, puis une invocation esthétique et enfin une invite poétique.

Une invitation amoureuse

La première strophe est un appel en même temps qu’une invocation. C’est une prière adressée à une femme désignée par deux vocables, « Mon enfant, ma sœur ». Le premier désigne la tendresse pour une personne fragile à protéger ; le second évoque le respect chaste, la complicité, la douceur, il tend à rétablir l’égalité dans le couple. En effet le poète (un peu misogyne1) semble élever la femme de son état infantile à celui de complice par le seul fait de l’avoir élue. Le rythme binaire décroissant indique le débordement de la dilection. Ces deux premiers qualificatifs donnent au poème une coloration mystique, ils connotent un amour spirituel.

Le poète invite sa compagne par un impératif, « Songe »2, dont la magie onirique atténue la rigueur. La destination du voyage est, elle aussi, du domaine du rêve. Elle est éloignée par un « là-bas » qui tranche implicitement et absolument avec un ici aux durs contours. La contrée où doivent se rendre les amants est indéterminée, Baudelaire la désigne métaphoriquement par le « pays qui te ressemble »3. En effet sa caractéristique est d’être moins un lieu qu’un état, celui du couple fusionnel. C’est le pays du « vivre ensemble », le paradis de l’amour. La répétition du verbe « aimer » contribue en outre à l’incantation. Ajoutons que l’absence de contrainte exprimée par « à loisir », ainsi que le lien très fort avec « mourir » confortent l’irréalité du lieu. Le désir amoureux comblé appelle un toujours dans une autre vie. Le « là-bas » appelle un au-delà.

La fin de la première strophe suggère de « traîtres yeux » et des « larmes ». La première expression est inspirée du langage précieux. Comme l’indique Littré le terme désigne « certaines choses qui sont dangereuses sans le paraître ». Ce sont en effet ces yeux qui ont envoûté le poète tombé sous leurs « charmes4 si mystérieux ». Baudelaire est devenu amoureux d’un regard embué par les « larmes », larmes d’émotion et de bonheur. Cette eau évoque aussi celle du diamant dont la transparence laisse passer la clarté du regard « brillant ». L’auteur des « Bijoux » considère ainsi que les pupilles sont la plus belle parure de la femme, surtout lorsqu’elles sont énigmatiques comme la pierre précieuse à la lumière changeante.

Curieusement, au fur et à mesure que nous avançons dans le poème, la présence de l’aimée s’estompe au profit de la description d’un intérieur, puis d’un port. Si la continuité érotique est assurée par le refrain qui s’achève par « volupté », la deuxième strophe n’évoque plus la relation amoureuse que par « notre chambre » ; la troisième note seulement l’adoration du poète attentif au « moindre désir » de l’aimée, du poète qui offre le monde à l’élue. Au final on peut penser que les amants comblés s’assoupissent eux aussi car « Le monde s’endort ». Ils s’effacent dans un grand Tout, leur amour leur permet de rejoindre un courant cosmique immanent. Cet endormissement est une petite mort qui rappelle l’« Aimer et mourir » de la première strophe. Le poème forme une boucle pour suggérer que l’amour est extatique, qu’il est voisin d’une expérience mystique.

Cet effacement progressif de la figure féminine nous amène à nous demander si le compliment amoureux est bien le sujet principal d’autant plus que, dès le milieu de la première strophe, un paysage se superpose à l’aimée.

Une invitation esthétique

Le reste du poème est en effet une galerie de peinture. Baudelaire visite en rêve une pinacothèque idéale où se côtoieraient Ruysdael pour ses ciels, Vermeer pour ses intérieurs, et enfin Claude Gellée, dit le Lorrain pour ses ports au coucher du soleil. Baudelaire, comme dans « Bohémiens en voyage »5, transpose des atmosphères picturales. Ce passage insensible à l’univers des paysagistes est perceptible dès les notations météorologiques :

« Les soleils mouillés

De

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