Commentaire d'un passage de Pierre et Jean, Guy de Maupassant, 1888
Commentaire de texte : Commentaire d'un passage de Pierre et Jean, Guy de Maupassant, 1888. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar karmaismygf • 11 Décembre 2016 • Commentaire de texte • 2 120 Mots (9 Pages) • 4 167 Vues
Ce passage est un extrait d’un roman naturaliste de Guy de Maupassant, publié en 1888. Ce roman met en scène deux frères, Pierre et Jean, dont la rivalité fraternelle est exacerbée par la découverte d’un secret familial. Le texte se situe au début du récit, dans le chapitre 2. La famille vient d’apprendre que Jean hérite de la fortune d’un vieil ami. Pierre quitte la maison pour une promenade nocturne sur le port du Havre. Ce passage descriptif marque une pause dans le récit. Comment la description du port nous dévoile-t-elle les sentiments profonds éprouvés par le personnage de Pierre ? Nous étudierons d’abord l’aspect réaliste de cette description du port. Mais à ce réalisme se mêle une vision fantastique du paysage, que nous aborderons ensuite. Nous montrerons enfin que ces éléments nous permettent de comprendre les émotions qui traversent Pierre dans cette contemplation introspective.
L’utilisation des temps indique qu’il s’agit d’une pause dans le déroulement du récit. Il y a peu d’action : le premier verbe au passé simple annonce justement cette pause : « Pierre s’arrêta pour contempler la rade ». Le passé simple de l’action ne revient qu’à la ligne 18 : « la lune se leva ». Le temps dominant est l’imparfait, le temps utilisé pour la description. Il est utilisé de la ligne 3 à la ligne 17 (« jetaient, descendaient, indiquaient » … ), excepté un passage au discours direct ( l10). L’emploi de noms de lieux précis (Cap de la Hève, Saint Adresse, Trouville, Honfleur, Pont-Audemer, ), excepté Etouville, donne du réalisme à la description, de même que l’utilisation d’un vocabulaire appartenant au champ lexical de la mer : les phares, la jetée, l’horizon, les ports, la mer, le sable, la marée, le mouillage, une barque de pêche, la flotte, une voile, le large,… Le lecteur est amené à se représenter ce bord de mer.
Plus encore, les indicateurs spatio-temporels permettent au lecteur de visualiser le paysage et lui donnent l’illusion de découvrir la rade en même temps que Pierre : « sur sa droite » (l 1), « les deux rayons suivaient une pente droite , du sommet de la côte au fond de l’horizon» (l 4), « puis sur les deux jetées » (l 5) « et là-bas, de l’autre côté » (l8), « si haut, …si loin… à travers l’embouchure » (l 12). On a l’impression de se tourner de part et d’autre de la baie, en suivant le regard du personnage. Le point de vue adopté est la focalisation interne, le lecteur voit avec les yeux de Pierre.
Cependant, la description des éléments du paysage donne également une impression de flou : les formes sont peu évoquées, contrairement aux couleurs et aux lumières, qui se détachent sur l’obscurité. Il y a une énumération de couleurs : les yeux des ports sont « jaunes, rouges, verts » (l 8), les feux des bâtiments ressemblent à des étoiles « blanches, vertes ou rouges « (l 14). Il a des jeux de lumières : feux « fixes ou clignotants, à éclats ou à éclipses », lumières « qui tremblotaient » , « immobiles » ou semblant « courir ». En parallèle, il y a le sombre, l’ombre avec « la mer obscure » (l 8) « l’eau plus sombre que le ciel » ‘l 13), une « tranchée large et noire » (l 22), une grande ombre fantastique » (l 23). L’eau et le ciel se confondent, les limites ne sont pas précises : ainsi, sur « l’eau sans limites », se sont des « étoiles » que l’on croit voir, au lieu des feux des bâtiments (l 13), les rayons des phares sont comparés à des « queues de comètes » (l4), tandis que la lune dans le ciel est comparée à un phare (« elle avait l’air du phare énorme et divin » l 18). Ces jeux d’ombre et de lumières, ces effets de couleurs, la présence de l’eau évoquent un paysage peint par un impressionniste de l’époque.
L’absence de formes précises est propice à l’imaginaire, et comme dans un tableau impressionniste, on a l’impression que c’est l’imaginaire de Pierre qui va donner sens au paysage.
En effet, ce qui frappe dans cet extrait, ce sont les nombreuses comparaisons, métaphores et personnifications utilisées, qui créent une vision proche du fantastique. D’entrée, les phares sont comparés à des « cyclopes «, la référence à la mythologie est appuyée par une métaphore : deux autres feux sont les « enfants de ces colosses ». Les rayons des phares sont comparés à des « queues géantes de deux comètes » (l 4). La référence au ciel et au divin se poursuit plus loin : « on croyait voir des étoiles » (l14), alors que ce sont les feux de bateaux, le phare d’Etouville est pris « pour une planète » (l11)et la lune est comparée à « un phare allumé dans le firmament » (l18). Cette sensation d’immensité, de puissance est renforcée par l’accumulation d’adjectifs : « monstrueux » (l 2), « puissants » (l 3), « géantes » (l4), « « démesurée »(l5), « énorme » (l18). De même, l’eau est « sans limites » (13), la flotte des étoiles est « infinie » (l19).
La personnification des lieux participe à cette atmosphère fantastique. Les phares jettent « des regards » (l 3), leurs feux sont comparés à des yeux , les « yeux des ports » (l8), qui observent « guettant la mer » (l 8). Les yeux sont même les yeux « vivants de la terre », ils ont des mouvements de « paupières » (métaphore l 10). La prosopopée (l10) pousse la personnification encore plus loin et accentue l’étrangeté et le malaise diffus. On a l’impression que les lieux observent et jugent Pierre. Les éléments d’un décor fantastique sont là : la mer est « obscure », « sombre », il y a de la « brume », la tranchée est « large et noire ». L’apparition soudaine d’un bateau est décrite de façon angoissante, à l’aide d’anaphores : »une ombre, une grande ombre fantastique, glissa » (l23), « sans un bruit de voix, sans un bruit de flot, sans un bruit d’aviron » (l24). La référence au fantastique est même explicite avec le choix de l’adjectif. Cette perception floue et inquiétante du paysage est celle de Pierre, qui est sous le coup d’une forte émotion, suscitée par la révélation de l’héritage de Jean.
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