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Oblomov : la paresse est-elle une révolte ?

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Par   •  9 Mars 2025  •  Commentaire d'oeuvre  •  5 020 Mots (21 Pages)  •  20 Vues

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Oblomov : la paresse est-elle une révolte ?

Une chambre poussiéreuse, des miroirs graisseux sur lesquels on pourrait écrire, un bureau couvert d’assiettes sales, et, au centre, un divan au tissu délavé. Si le barine Ilia Ilitch Oblomov n’y était avachi, on douterait que son appartement soit habité.

Personnage principal du roman homonyme publié par l’auteur russe Ivan Gontcharov en 1859, il frappe au premier abord par sa paresse, et semble incarner une figure de passiviste cherchant à « se cacher de la vie » (p.30), repoussant continuellement l’action par peur de la passivité qu’elle implique, à tel point que son réveil s’étend sur tout le premier quart du livre.

Au cours de ces neuf heures de laborieux lever, les visiteurs se succèdent dans la chambre d’Oblomov, comme autant de figures défaillantes de l’articulation entre activité et passivité. C’est l’occasion pour lui d’expliciter les raisons de sa propre inaction, au fil des remarques, critiques et jugements qu’il leur adresse. Ilia Ilitch paraît ne pas supporter qu’on agisse sur lui, et craindrait ainsi l’action, à cause de la résistance à laquelle elle l’expose. Dès lors, son inaction prend la forme d’un refus d’agir, d’une affirmation active de non-action, par laquelle Oblomov chercherait à nier la passivité. On peut néanmoins s’interroger sur la nature précise de la passivité qu’il combat, et se demander s’il s’agit vraiment de la résistance.

Remarquons d’abord que seules quelques années séparent la publication d’Oblomov de l’abolition du servage, qui obligea une partie de l’ancienne noblesse russe à se séparer de ses terres et à rejoindre la bourgeoisie fonctionnaire. Comme l’a soutenu le critique Dobrolioubov, Gontcharov pourrait donc avoir écrit son livre dans un esprit de libération du peuple, souhaitant dénoncer la position scandaleuse des nobles propriétaires terriens, et érigeant pour ce faire Ilia Ilitch en modèle de leur décadence. Fruit d’une éducation prônant l'oisiveté, celui-ci serait fondamentalement inapte à agir, et par là même à faire société. Incapable d’accepter la difficulté de l’action, il se serait vu contraint d’adopter la seule posture encore possible, celle du renoncement, se soumettant à sa propre impuissance.

Cependant, Gontcharov pourrait également avoir fait la critique inverse : pressentant sa supplantation prochaine par la bourgeoisie, Oblomov s’y opposerait frontalement, rejetant son idéologie de travail et de raison. Il revendiquerait à la place un idéal de noblesse perdue, d’art et d’amour, rappelant par là le Werther de Goethe : « Croyez-vous que la pensée n’a pas besoin du cœur ? [...] Montrez-moi l’homme, [...] aimez-le. » (p.45). Ilia Ilitch contrecarre les injonctions morales à agir, et n’a de cesse de dénoncer leur manque de sens : « Et où est l’homme dans tout cela ? » (p.36). Ainsi, il ne s’opposerait pas à la passivité de manière générale, mais à l’aliénation de la société bourgeoise. Ne pouvant agir humainement au sein de celle-ci, Oblomov refuserait d’y agir tout court, devenant un témoin actif de son absurdité.

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Dès la première page, Oblomov est introduit par Gontcharov comme une figure passive. Le lecteur le découvre « étendu sur son lit » (p.15), et six lignes suffisent à écarter l’action du champ de son identité : « C’était un homme de trente-deux, trente-trois ans [...] à la physionomie agréable [...] ; cependant, toute idée particulière, toute concentration étaient absentes des traits de son visage. » (p.15). Du reste, Ilia Ilitch est présenté, tour à tour, par deux aspects de sa passivité : sa vie intérieure et son passé.

Gontcharov expose dans un premier temps ce qu’il nomme ambigument comme la « pensée » d’Oblomov. Malgré ce nom, cette « pensée » semble assez éloignée d’une réelle activité de la conscience, et rappelle plutôt la vie affective qu’a décrit Maine de Biran. Oblomov est en effet « en proie à une lutte intérieure », « [la] raison [ne lui étant] pas encore venue en aide. » (p.18). Sa « pensée » s’apparenterait ainsi à une sorte de sentiment fondamental de l’existence, provenant de la vie interne de son corps, que Gontcharov désigne par le « fond de l’âme » (p.16). Passivité interne par essence, elle précèderait la conscience d’Ilia Ilitch (« la raison n’est pas encore venue en aide. »), et la teinterait d’émotions : « Comme un oiseau en liberté, la pensée parcourait ce visage, voltigeait dans les yeux, se posait sur les lèvres entrouvertes, se dissimulait dans les plis du front pour disparaître tout à fait : alors toute la face d’Ilia Ilitch s’irradiait d’une paisible lueur d'insouciance. » (p.15).

On voit bien l’autonomie de ce fond diffus et changeant, puisqu’il donne à l’esprit d’Oblomov des sentiments et des impressions sans que celui-ci n’exerce la moindre activité : « Si une ombre de souci, remontant du fond de l’âme, passait sur son visage, son regard s’embrumait, son front se plissait : alors commençait un jeu de doutes, de tristesse et d’effroi ; mais cette inquiétude ne se traduisait que rarement sous la forme d’une idée particulière, encore plus rarement elle devenait intention. Toute cette anxiété se dissipait en un soupir, puis se figeait, apathie ou somnolence. » (p.16).

Ilia Ilitch lui-même constate le caractère passif de sa « pensée », puisque, tel Maine de Biran, il peine à s’y reconnaître : « Qu’est-ce que j’ai ? dit-il tout haut avec dépit. » (p.20). Semblant partager une conception relativement activiste de l’identité, il réagirait ici à une violence qui lui est faite. En étant assigné à son corps, et donc à sa « pensée » passive, Oblomov est en effet assigné à un objet qui lui paraît étranger, ce qui lui fait ressentir une menace pour son identité. Sans doute éprouve-t-il une peur plus grande encore que De Biran, puisque, contrairement à lui, il n’exerce aucune activité à laquelle il pourrait se rattacher. Face à ce constat, sa réaction est éloquente : « Quand même, j’exagère ! [...] Il suffit que je me laisse aller… ». Ne supportant pas l’autonomie de sa vie intérieure, et la résistance interne qu’elle lui impose, il semble tenter de se l’approprier par le récit afin de la faire apparaître comme sa propre action, donnant un premier indice révélateur de sa crainte de la passivité.

Un autre ancrage qu’utilise Oblomov pour asseoir son identité est son passé. Riche barin russe, il descend d’une famille noble dont la « vie seigneuriale généreuse », les « légendes » et

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