Rabelais, Gargantua : En quoi la lettre de Grandgousier à Gargantua est-elle une démonstration des devoirs qui incombent à un monarque ?
Commentaire de texte : Rabelais, Gargantua : En quoi la lettre de Grandgousier à Gargantua est-elle une démonstration des devoirs qui incombent à un monarque ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Edouard Vallet • 26 Avril 2023 • Commentaire de texte • 2 407 Mots (10 Pages) • 409 Vues
La teneur de la lettre que Grandgousier écrivit à GargantuaLa ferveur de tes études aurait exigé qu’avant longtemps je n’interrompe ce phi-losophique repos, si la confiance accordée à nos amis et anciens alliés n’avait au-jourd’hui trompé la sécurité de ma vieillesse. Mais puisque telle est cette fatale desti-née, qui fait que c’est par ceux mêmes dans lesquels j’avais placé toute ma confiance que je suis inquiété, je me vois forcé de te rappeler au secours des gens et biens qui te sont confiés par droit naturel.Car aussi vrai que les armes restent sans force au-dehors si le bon sens n’est en la maison, de même vaine est l’étude, et inutile est le bon sens, si en temps opportun on ne les met à éxécution grâce à la vertu, et s’ils ne sont rapportés, enfin, à l’effet vers lequel ils tendaient.Ma résolution n’est pas de provoquer, mais d’apaiser, non d’assaillir, mais de défendre, non de conquérir, mais de garder mes fidèles sujets et terres héréditaires. C’est elles qu’a hostilement envahies Picrochole, sans cause ni raison, et de jour en jour il poursuit sa furieuse entreprise, dans des excès non tolérables pour toute per-sonne attachée à la liberté. Je me suis mis en devoir de modérer sa colère tyrannique, en lui offrant tout ce que je pensais pouvoir le contenter, et plusieurs fois j’ai envoyé mes gens aimable-ment chez lui, pour comprendre en quoi, par qui et comment il se sentait outragé, mais de lui je n’ai obtenu d’autre réponse qu’un manifeste aplomb, une assurance et une prétention au droit de disposer de mes terres. Cela m’a convaincu que notre Dieu éternel l’avait abandonné au gouvernail de son libre arbitre et de ses opinions personnelles, qui ne peuvent être que méchants si par grâce divine ils ne sont continuellement guidés ; et pour le contenir dans ses devoirs et lui faire reprendre ses esprits Il me l’a ici envoyé, sous de monstrueux auspices. C’est pourquoi, mon fils bien-aimé, aussitôt que faire se pourra, après avoir lu cette lettre, reviens en diligence secourir non pas tant moi-même - pitié qui toute-fois est ton devoir naturel - que les tiens ceux que selon la raison tu dois sauver et protéger. Plus grand sera l’exploit, si l’effusion de sang est la moindre possible. Et s’il est possible, c’est en usant d’inventions plus efficaces, telles que manoeuvres et ruses de guerre, que nous sauverons toutes les âmes et les renverrons joyeuses à leur domicile.Très cher fils, que la paix du Christ notre rédempteur soit avec toi. Salue Pono-crates, Gymnaste, et Eudémon de ma part. Du vingtième jour de septembre,Ton père Grandgousier51015202530Séquence 2 : Gargantua de RabelaisObjet d’étude : La littérature d’idées du XVIe s. au XVIIIe s.Problématique : : Gargantua, un récit carnavalesque au service d’une littérature humaniste ?Séance 5 : Un enseignement hors des livresObjectif : Expliquer la lettre de Grandgousier, chapitre didactiqueSupports : Rabelais, Gargantua, chapitre XXIX, 1535.
Projet de lecture : En quoi la lettre de Grandgousier à Gargantua est-elle une démonstration des devoirs qui incombent à un monarque? Mouvement 1 : La thèse de GrandgousierLa ferveur de tes études aurait exigé qu’avant longtemps je n’interrompe ce philoso-phique repos, si la confiance accordée à nos amis et anciens alliés n’avait aujourd’hui trompé la sécurité de ma vieillesse. Mais puisque telle est cette fatale destinée, qui fait que c’est par ceux mêmes dans lesquels j’avais placé toute ma confiance que je suis inquiété, je me vois forcé de te rappeler au secours des gens et biens qui te sont confiés par droit naturel.- Ce premier mouvement sert de préambule à la lettre. Le ton est sérieux. Aucune marque de sen-timentalisme. La conjonction «si» montre qu’il s’agit pour Grandgousier d’une lettre exceptionnelle. Celle-ci brise l’instruction savante de Gargantua car la teneur de cette missive est de faire revenir le fils. Grandgousier prend au sérieux l’instruction de son fils. Il emploie l’expression «ferveur de tes études» ainsi que «philosophique repos». - Les termes «confiance», «anciens alliés» et «trompé» nous place dans une dimension politique. Il sera question de diplomatie. - L’expression «fatale destinée» implique l’idée que les problèmes rencontrés par Grandgousier, à savoir le conflit avec Picrochole, n’est pas de son fait. Plus largement, nous avons une critique faite du pouvoir sur un territoire, à savoir que les guerres pour l’obtention de terres sont à ce point nom-breuses, que cela devient en soi une règle. - Grandgousier réemploie le terme «confiance», quant au participe passé «inquiété», il fait écho à «trompé». Ainsi, Grandgousier insiste sur son désappointement. On remarquera le pronom à valeur totalisante «toute» associé à «confiance». Il s’agit ici, ni plus ni moins d’une trahison dans le jeu d’alliance politique. - «je me vois forcé de te rappeler au secours des gens et biens qui te sont confiés par droit naturel.» Il s’agit ici de la thèse de la lettre : le roi se dit «forcé» ce qui est contradictoire avec son rang. Il y a donc une règle qui oblige le fils du Roi. Quand le royaume est attaqué, le fils du roi doit venir servir aux côtés de son père. Cela fait également partie de son éducation, non savante cette fois-ci. C’est ce qu’il faut comprendre par l’expression «droit naturel». Mouvement 2 : Justification de la thèseCar aussi vrai que les armes restent sans force au-dehors si le bon sens n’est en la mai-son, de même vaine est l’étude, et inutile est le bon sens, si en temps opportun on ne les met à exécution grâce à la vertu, et s’ils ne sont rapportés, enfin, à l’effet vers lequel ils tendaient. La conjonction de coordination «car» implique une explication. Grandgousier justifie l’interruption du «philosophique repos». Les cinq premières propositions sont au présent «restent», «est»x3, «met». L’adjectif «vrai» impose un présent à valeur de vérité générale : Grandgousier délivre un enseignement à son fils Gargantua. Il construit cette partie de la lettre par un jeu d’opposition orga-nisé avec les «si». Dans un premier temps, il montre que la raison («le bon sens») l’emporte sur la force («les armes»). Par un parallélisme de structure appuyé par la locution adverbiale «de même», Grandgousier démontre que la raison et l’instruction doivent tendre vers un objectif. En effet, Grand-gousier emploie les termes «vaine» et «inutile : il faut pouvoir employer ses talents. Le conflit qui
l’oppose à Picrochole est donc une raison justifiable à l’arrêt momentané des études.
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