Mme Du Chatelet - Discours sur le bonheur

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet et communément appelée Madame du Châtelet, est une intellectuelle du XVIIIème siècle connue pour ses découvertes en mathématiques et physique. Bénéficiant d’une éducation très ouverte, encouragée par un père attentif, elle a pu poursuivre ses études de physique et de mathématique tout en étant mariée, fait assez rare pour l’époque. Elle partagera également la vie de Voltaire pendant quinze ans, et restera proche du penseur même après leur séparation. Fortement marquée et intéressée par les écrits des penseurs des Lumières, son « Discours sur le bonheur » est pourtant sa seule œuvre personnelle. Rédigée entre 1744 et 1746, ce texte n’était pas destiné à être publié, c’est pourquoi Madame du Châtelet s’y exprime librement, dévoilant une perspective intime et affranchie des convenances de son temps de la question du bonheur. Ce texte sera publié posthume, en 1779, soit trente ans après la mort de son autrice. Nous verrons en quoi l’autrice, dans ce texte, se distingue par sa pensée libre, féministe, résolument moderne qui replace l’individu au centre. Tout d’abord, nous analyserons en quoi cet essai est à la fois intime mais aussi argumentatif, puis nous découvrirons en quoi sa vision du bonheur témoigne d’une très grande modernité.

1. Un essai intime et pourtant argumentatif

Dans un premier temps, nous révèlerons la dualité de ce texte qui est tout aussi personnel qu’universel, intime qu’engagé.

Tout d’abord …

1. Un texte personnel

La première phrase « II faut commencer par se bien dire à soi-même et par se bien convaincre » => introspection personnelle, affirmation intime. Elle se parle à elle-même, rappel que le texte n’était pas destiné à être publié. Parallélisme + tournure passive « il faut se dire »

Son jugement : utilisation de la première personne répétée : « je dis », « me », « je n’ai pas », « je dis », « je le répète encore », « me dira-t-on »

Ses observations : l’exemple du bonheur silencieux du second paragraphe paraît fondé sur ses propres expériences et ses observations personnelles, un sentiment vécu, une impression qu’elle a pu elle-même ressentir ou observer dans son entourage.

« je n’ai pas la balance nécessaire pour peser en générale » : métaphore qui montre qu’elle se base sur son expérience, son avis. « Il faut remarquer », retour de la forme impersonnelle « il faut » du début => tout le monde devrait le remarquer. Sauf que la suite est bel et bien une observation très personnelle.

« les malheureux sont intéressants, les gens heureux sont inconnus » parallélisme qui n’est que le fruit de sa vision à elle. Être intéressant est au plus haut point subjectif, sont inconnus pareil, à elle.

Ses doutes : « je n’ai pas la balance nécessaire pour peser le bien et le mal » admet qu’elle n’a pas toutes les réponses

« il faudrait », « ce serait » : conditionnel. Rappel que c’est une femme de sciences qui a des incertitudes et respectent la rigueur des réflexions

Phrase un peu conclu la partie pour passer à la suite :

Vision personnelle et intime du bonheur qui valorise la satisfaction des désirs et des passions, issue de son propre vécu et de ses réflexions individuelles.

2. Mais aussi un texte universel

Registre dialectique, approche argumentative et universelle. Implication du lecteur

Approche argumentative : Discours structuré : « il faut commencer par », « ce serait donc », « Mais », « on connaît donc », « or », « il est donc à désirer ».

Procédés oratoires : question rhétorique = « les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d’heureux ? » subjonctif

Formules insistantes : « se bien dire et se bien convaincre », + négations restrictives « rien n’à faire qu’à », « on n’est heureux que », « ce n’est la peine de vivre que » = les passions sont la seule manière d’être heureux.

Registre dialectique : argument par syllogisme (logique) : « Mais supposons […] passions » = personnalité scientifique de Mme du Châtelet. Anticipation d’objections et renversement d’argument : anticipe une objection courante « supposons, pour un moment » admet donc que ce point de vue existe mais dit déjà qu’elle va le contredire => emploi du subjonctif derrière marque bien qu’elle va démonter l’argument. Mais reconnait l’existence de cette thèse, rigueur argumentaire scientifique.

Réfutation des thèses adverses : anticipe les objections potentielles et réfute les idées des « moralistes qui disent aux hommes »

Aspect universel + adresses : s’adresse aux hommes en général : la quête du bonheur est universelle : « aux hommes » + cliché avec métaphore = « le chemin du bonheur ».

Dimension universelle : « on »

Adresses au lecteur : « vous »

« n’en a pas qui veut » : conclusion qui résume et renforce la thèse, insistance forte et oratoire : « et je le répète encore » et une phrase de fin qui a valeur de vérité générale « n'en a pas qui veut », forme impersonnelle, vrai pour tout le monde.

3. Une émancipation féministe

Époque des Lumières : société encore majoritairement patriarcale, femmes cantonnées à des rôles domestiques et inférieurs, pas / peu / plus difficilement accès au savoir (ce qui n’est pas le cas de l’autrice mais figure d’exception) et à l’expression personnelle.

Vision audacieuse de l’individu et de la quête du bonheur. Autonomie de pensée. La nécessité de penser par soi-même au premier plan : « Il faut commencer par se bien dire à soi-même », se mettre au premier plan c’est très tendance chez les Lumières mais c’est exceptionnel pour une femme.

Mettre son raisonnement au niveau de ceux des Lumières, contester les valeurs moralistes, affirmer son opinion qui va à l’encontre des normes de l’époque pour une femme : revendiquer

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