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Le portrait d'Acis de La Bruyère

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Par   •  3 Octobre 2024  •  Cours  •  2 500 Mots (10 Pages)  •  36 Vues

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LA LITTÉRATURE D’IDÉES DU XVIe SIÈCLE AU XVIIIe SIÈCLE

BAC EAF 2025

ETUDE D’UNE ŒUVRE COMPLÈTE, LES CARACTÈRES, La Bruyère, 1687.

Lecture linéaire

LA BRUYÈRE, Les Caractères, Livre V, « De la société et de la conversation », 7, Acis, 1687

           Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-vous : « Il fait froid » ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites : « Il pleut, il neige. » Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter : dites : « Je vous trouve bon visage. » – Mais répondez-vous, cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant ? – Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ?

Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de phoebus, vous ne vous en défiez point et je vais vous jeter dans l’étonnement : une chose vous manque, c’est l’esprit. Ce n’est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ; je vous tire par votre habit, et vous dis à l’oreille : « Ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez point, c’est votre rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit : peut-être alors croira-t-on que vous en avez ».

Introduction :

LB est un moraliste du XVIIes qui livre ses réflexions sur son époque. Les Caractères 1688, œuvre classique, par fragments,  imitation de Théophrase ...

Cet extrait des Caractères de La Bruyère constitue l’intégralité d’une « remarque : la septième du livre V, « De la société et de la Conversation ». Elle constitue le 1er portrait singulier du livre V.

Dans ce texte, le moraliste prend pour cible une mode de son époque, la manière de parler dans les salons précieux : certains se plaisent en effet, par prétention, à pousser les subtilités du langage à un tel degré de raffinement et d’extravagance qu’ils en deviennent parfaitement incompréhensibles. (Censés démontrer l’esprit du locuteur, cette manie de beau langage ne fait que le rendre incompréhensible et ridicule).

Ici, LB imagine une incarnation de ce comportement risible dans le personnage fictif d’Acis. L’originalité du texte tient à l’énonciation adoptée : Il s’agit d’un dialogue fictif où un « je » représentant l’auteur, s’adresse à Acis, qui lui répond.

Annonce du plan : Le texte se découpe nettement en 3 étapes qui font varier la voix de l’auteur et la posture qu’il adopte face au personnage d’Acis.

LB nous plonge in media res dans un échange déjà commencé av ec Acis, qui le laisse empli de perplexité. Ensuite, sur un ton plus emporté, il lui livre la clé de son comportement : sa sottise. Enfin, il confie à son personnage un conseil d’ami.

Problématique :

Comment LB dresse-t-il un portrait satirique des Précieux ?

OU encore : Nous nous demanderons comment le jeu du dialogue avec Acis permet au moraliste de dispenser une « leçon d’esprit » : en critiquant le galimatias des précieux et en démontrant le brio de son propre style.

3 Mouvements :

  1. Un dialogue sur le vif (l. 1 à 7, « comme tout le monde ? »)
  2. La caricature du Précieux/Pompeux (l. 7 à 11 « qui ne signifient rien. »)
  3. Le conseil du moraliste (l. 11 à fin)

  1. Un dialogue sur le vif (l. 1 à 7, « comme tout le monde ? ») : un vice du langage
  • LB nous plonge in media res dans un échange déjà commencé avec Acis, qui le laisse empli de perplexité En effet, la remarque s’ouvre sur une série de questions rhétoriques (d’interrogations directes) qui signale l’incompréhension du « je » face au propos de son interlocuteur. LB traduit, par la succession de phrases courtes et interrogatives, l’obscurité du discours d’Acis
  • on entend seult les paroles d’un des deux personnages (le lecteur n’a pas accès aux excès du langage précieux)  par ce procédé, LB prend la place et laisse entendre que les propos d’Acis sont insipides puisqu’ils ne méritent pas d’être rapportés
  • Discours direct + pronom personnel « vous » → vivacité de la scène et doute sur l’interlocuteur : le lecteur pourrait penser qu’il s’agit de lui… Apostrophe percutante car ambiguïté.
  • Présent d’énonciation qui correspond au présent du dialogue représenté.
  • Modalité interrogative x3 : questions que se répètent sans aboutir dans un premier temps qu’à une plus grande incompréhension, renforcées par la négation totale x2, « je n’y suis pas/j’y suis encore moins »  → comique de répétition, de mots qui constitue une chute comique et ridiculise encore davantage Acis
  • Conditionnel présent, formule de politesse dans les codes du langage du XVIIe/de salon → « vous plairait-il de recommencer » 
  • Antiphrase visible dans le verbe deviner + adverbe « je devine enfin » l. 2 : LB joue sur le sens premier du verbe deviner : il faut être un devin, un oracle pour pouvoir interpréter les propos d’Acis  → qui malgré des efforts laborieux, souligne le caractère énigmatique des paroles reçues et donne une critique violente du Précieux dont les propos manquent cruellement de clarté et sont obscurs.
  • Et d’ailleurs comique de LB qui ne prête à Acis que des platitudes : « il faut froid, il pleut, il neige .. »
  • L2-3 Le nom apparaît Acis enfin pour la première fois, à travers une apostrophe.

-Effet comique encore : contraste entre ce qui est évidemment attendu et ce qu’Acis répond - Leçon de « bien dire/bien parler » dispensée par le moraliste.

  • Impératif « dites » l. 3, 4 → ton peu approprié à une leçon, ton vindicatif qui traduit la critique acerbe du moraliste.
  • L6 la voix d’Acis se fait enfin entendre pour exprimer une objection, il résiste à tant de simplicité marquée par la conjonction de coordination « Mais », placée à l’attaque de la phrase et nous pouvons entendre ses protestations au discours direct sans guillemets rapporté par LB
  • La réponse d’Acis met en lumière les préjugés qui commandent le discours précieux : le mépris pour un lang clair qu’il associe à banal. L’adverbe « bien » souligne ici la connotation péjorative associée aux adjs « uni » et « clair » ( verbe « répondre » + hyperbole dépréciative, adverbe intensité « bien uni et bien clair » → uniformité/conformité et clarté contestées et déplorées par le Précieux. )
  • L 7 Phrase interrogative/question rhétorique suivante + pronom interrogatif « qui » à valeur universelle → inutilité selon lui de parler comme tout le monde. Importance de l’apparence dans le langage, de se démarquer d’autrui, à la cour. Orgueil, supériorité, arrogance affichée d’Acis. Pour lui, Le lang est un moyen de se distinguer
  • Réponse de LB sous la forme d’une question rhétorique  l. 7-8 + ironie « un si grand mal d’être entendu quand on parle » + sarcasme → qui exprime la position de bon sens qui devrait guider l’honnête homme. Acis qui ne parle comme personne, n’est compris de personne, et ne fournit qu’un discours vide et creux.

- Cette réponse révèle ainsi la déformation des valeurs qui régit le code précieux : la vanité pervertit le bon usage du lang, ce dernier devenant un moyen de se faire valoir, plutôt que de communiquer.

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