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Le lai du Laustic de Marie de France

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Par   •  16 Mars 2024  •  Commentaire de texte  •  2 531 Mots (11 Pages)  •  153 Vues

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LITTÉRATURE FRANÇAISE : MOYEN-ÂGE

Laüstic, Le Rossignol, v121 à 156

Le lais du Laüstic est le huitième lais de l’édition. L’histoire du Laüstic, du Rossignol, provient d’un lais breton. Marie de France nous conte l’histoire d’amour entre une dame et un jeune baron, alors que cette dernière est déjà mariée. Ils se retrouvent, afin de vivre leur amour, chaque jour ou soir à une fenêtre puisqu’ils sont voisins. Lorsque le mari de la dame est là, l’excuse que celle-ci lui donne afin d’aller à leur point de rendez-vous la nuit est celle d’observer le rossignol qui y chante. Son mari, dont on ne connaît seulement son rang : un baron et son caractère colérique, en vient à se questionner sur la véritable raison des allers-retours de son épouse la nuit : est-ce réellement pour le chant du rossignol ? Ou derrière cet animal se cache un amant ? Le rossignol est un animal de la noblesse et plus particulièrement de la noblesse du cœur. Il est également le représentant du messager : il permet la communication entre les amants en gommant les frontières spatiales et temporelles. C'est une figure topique dans la lyrique courtoise de l’amant-poète. Le Rossignol devient le symbole de l’amour de l’amant et de la dame qu’eux-seuls peuvent comprendre. On retrouve une analogie entre le plaisir d’entendre les oiseaux d’une part et le plaisir lié à l’amour qui se mue en plaisir d’amour puis se substitue au plaisir charnel. C'est par le chant du Rossignol que la dame justifie sa présence à la fenêtre auprès de son mari. Ses paroles sont donc ambiguës et sont à double-sens lorsqu’elle fait mention alors de sa joie : le rossignol étant comme le substitut concret de l’être absent, dont la dame n’entend que les paroles. Ainsi quand le mari tend un piège au rossignol, c'est comme s’il avait attrapé l’amant. La cruauté dont fait preuve le mari en tuant le rossignol laisse supposer qu’il se doute de quelque chose. D’autant plus que la mention triviale du sang qui tâche la tunique de la dame traduit bien la violence du geste et dénonce la cruauté du mari.

L’extrait étudié se situe à la fin du récit. Le mari de la dame vient de tuer le rossignol devant elle. La dame doit annoncer à son amant cette triste nouvelle. C'est un passage-clé car on va assister à un changement d’espace : la dame ne va plus pouvoir retrouver son amant à la fenêtre puisque l’alibi de leur rencontre vient d’être tué.  

Il y a un enjeu de réflexion : la dame doit trouver une solution afin de prévenir son amant, et lyrique : la place du rossignol mort dans l’amour partagé entre les deux amants.

On peut se demander en quoi l’impossibilité d’assouvir un désir traduit par l’écriture permet-elle de rendre immortelle l’amour de la dame et de son amant à travers la figure symbolique du Rossignol.

On peut repérer certains mouvements dans le texte : le premier mouvement est un mouvement d’écriture des vers 121 à 137 : la dame va chercher une solution afin de pouvoir prévenir son amant. Le second mouvement est des vers 138 à 156 : c'est un mouvement symbolique car la voix du rossignol continue de prospérer malgré sa mort.

On va voir la double visée de l’écriture (I) et le poème comme tombeau de la voix du rossignol (II).

  1. La double visée de l’écriture (vers 121 à 137)

La double visée de l’écriture se traduit par une impossibilité d’assouvir un désir d’amour et le procédé de la mise en abyme de l’écriture.

  • Vers 121 : « la dame prent le cors petit » : ici, « cors petit » désigne le Rossignol qui vient d’être tué. Il n’existe plus que par sa dépouille et dans la traduction, on placera l’adjectif « petit » en antéposition du substantif « cors » afin d’accentuer le fait que le rossignol n’est désormais qu’un petit corps cela sert à le diminuer voire presque le démystifier : l’amour que représente le rossignol est aussi petit que lui après les terribles coups du mari.  
  • Vers 122 / 123 / 124 / 125 : « Durement plure e si maudit / ceus ki le laüstic traïrent / Les engins e les laçuns firent, / Kar mut li unt toleit grant hait » : l’adverbe « durement » veut dire « très fort » et marque l’appuie sur le verbe pleurer : cela montre à quel point la dame est touchée par cette mort. De plus, l’emploie des verbes « maldire » et « traïr » amène une dimension tragique, presque de vengeance : il faut que cet amour renaisse. Les verbes sont de plus en plus fort en termes d’intensité : d’abord elle pleure beaucoup (ce qui équivaut à une émotion peu forte) puis elle maudit (ce qui veut littéralement dire appeler la malédiction, la colère divine sur quelqu’un, donc intensité très forte) ceux qui ont trahi le rossignol (le verbe trahir a également une consonance divine puisqu’il désigne l’action que Judas a faite, donc il a une intensité très forte). L’article défini « le » qui accompagne le substantif « laüstic » montre bien la place importante que ce dernier avait auprès de la dame : c’était une personne à part entière, qui n’a plus besoin d’être présenté ou même nommé d’une autre manière. Mais également « kar » démontre la place qu’il a dans son cœur puisque cela veut dire « qui est cher à ».
  • Vers 126 : « Lasse, fet ele, mal m’estait ! » : on assiste à la deuxième prise de parole de la dame dans le récit : on comprend qu’elle va exprimer son ressenti face à la situation qu’elle vient de vivre. L’antéposition de « mal » au verbe veut montrer à quel point elle est touchée en faisant de lui l’élément central de sa phrase.
  • Vers 127 / 128 / 129 : « ne purrai mes la nuit lever / Ne aler a la fenestre ester, / U jeo soil mun ami veer. » : dans ces trois vers, elle exprime le problème qui se pose maintenant : comment va-t-elle faire pour retrouver son amant le soir ? De ce fait, on comprend pourquoi elle était autant triste par cette mort : elle pleurait en réalité la mort de sa relation avec son amant qui était symbolisé par le rossignol.
  • Vers 130 et 131 : « Une chose sai jeo de veir : / Il quidera ke jeo me feigne ; » : elle a peur que son amant pense qu’elle a renoncé à lui, qu’elle manque de courage puisqu’elle n’a plus d’alibi pour aller à sa rencontre.
  • Vers 132 / 133 / 134 : « De ceo m’estuet que cunseil preigne. / Le laüstic li trametrai, / L’aventure li manderai » : elle poursuit en expliquant qu’elle a besoin d’avoir des conseils pour avoir une solution à son problème. Elle finit son discours en disant qu’elle enverra le rossignol à son amant, l’amant est ici désigné par l’article défini « li », et qu’elle lui déclarera l’ « aventure », c'est-à-dire les faits de son mari afin qu’il comprenne pourquoi elle ne pourra plus venir à la fenêtre. Le rossignol mort devient un message concret pour l’amant.
  • Vers 135 / 136 / 137 : « En une piece de samit / A or brusdé e tut escrit / Ad l’oiselet envolupé ; » : elle va donc conter l’aventure sur une étoffe de soie sergée « samit » (qui est une soie très riche, ce qui appuie sur son rang dans la société), en or brodé dans laquelle elle va envelopper le rossignol qui est nommé par le substantif « oiselet » qui signifie « petit oiseau ». On retrouve l’idée du vers 121 où l’oiseau n’était plus vraiment un oiseau mais un corps. On veut appuyer sur la taille de l’oiseau afin de contraster avec la violence avec laquelle il a été tué : comment a-t-on pu tuer avec tant de violence un tout petit oiseau inoffensif ? On peut également comparer ce moment à celui d’une sépulture : on assiste à la préparation de l’enterrement du rossignol et on peut mettre en parallèle l’étoffe de soie avec le linceul dans lequel on enveloppe les corps morts. On remarque également que la dame écrit une histoire en même temps que Marie de France écrit ce lai : c'est une mise en abyme de l’écriture. Et en même temps qu’elle enveloppe l’oiseau afin d’en faire le deuil, elle fait le deuil de sa relation avec son amant qui se finit tragiquement. L’écriture vient de l’impossibilité d’assouvir un désir : celui de l’amour.

Le premier mouvement vise à soulever la double visée de l’écriture : la dame écrit pendant que Marie de France écrit elle aussi. Le passage à l’acte d’écrire vient justement après la mort de l’oiseau : il vient combler le manque d’amour. L’écriture naît à partir de l’impossibilité d’assouvir son désir. Ce qui permet d’ouvrir un nouveau temps : celui de la transmission et de la prospérité de leur amour à travers le rossignol.

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