La Place, Annie Ernaux
Commentaire de texte : La Place, Annie Ernaux. Recherche parmi 301 000+ dissertationsPar inesesper • 30 Janvier 2025 • Commentaire de texte • 1 857 Mots (8 Pages) • 19 Vues
Commentaire de texte La Place Annie Ernaux
Marie-Hélène Bernadet explique qu’Annie Ernaux cherche à « ne pas sortir de la vérité et exposer uniquement les faits […] et se maintenir « au-dessous de la littérature » [a]». C’est le cas dans La place, roman écrit en 1983, où l’autrice nous raconte l’histoire de son père, sa lente progression sociale ainsi que son propre déchirement entre deux cultures. [b]Dans cet extrait du début du roman, c’est pourtant de sa mère dont il s’agit, et principalement de la rencontre entre ses parents si bien que nous pouvons nous demander,[c] quel portrait la narratrice fait-elle de sa mère ? [d]Nous verrons d’abord que l’origine sociale de la mère est modeste, pour ensuite interroger le regard de la belle-famille et enfin sa volonté de sortir de sa condition. [e]
Étant une auto-socio-biographie, Annie Ernaux mélange tous les genres. Elle nous fait donc le portrait de sa mère et de sa condition sociale modeste[f]. C’est ainsi que vivait une ouvrière dans les années 30. En effet, nous voyons d’abord que la mère d’Annie Ernaux ne semble pas indépendante :[g] nous voyons son origine sociale modeste à l’omniprésence de sa mère (grand-mère maternelle d’Annie Ernaux donc). La mère d’Ernaux ne semble pas libre : il est dit qu’« ils n’ont pu se fréquenter tout de suite » (l.9), elle est donc tributaire de ce que choisit sa mère. C’est toujours la question de l’argent qui revient, notamment avec l’imparfait d’habitude : « à chaque fois, c’étaient les trois quarts d’une paye qui s’en allaient » (l.10-11). L’usage du verbe « prendre » (l.10) est très clair : prendre c’est voler, c’est arracher de ses racines. Il y a un temps pour tout, et c’est à la mère de décider quand il ne sera pas « trop tôt » (.10).
C’est donc le but d’Annie Ernaux dans ce portrait : nous révéler sans romanesque la dureté d’une époque vécue. [h]La mort du grand-père est exprimée de façon lacunaire, tout à l’inverse du tragique, en une phrase euphémisée (« perdue son père » l.7) très simple. Annie Ernaux s’attarde davantage sur la grand-mère dans une longue phrase (ligne 7 à 9) à l’imparfait de simultanéité, montrant la difficulté d’une femme seule à s’occuper de six enfants. L’évocation anecdotique du « cornet de miettes » l.9 est assez évocatrice : elles ne peuvent se payer que des miettes, et c’est encore une fois, un imparfait d’habitude, qui nous rappelle la routine des maigres consolations à la misère des « dimanche[s] » (l.16) . L’usage de nombreuses phrases nominales et des paroles rapportées rajoutent à cet effet de réel. La dureté de cette époque se voit aussi très simplement par l’adverbe « durement » (l.19) et par la phrase simple finale « Ils ne sourient ni l’un ni l’autre. » l.22. Tout cela nous montre très clairement la condition sociale modeste de la mère de l’autrice. [i]
Annie Ernaux insiste également sur le regard que porte sa propre famille sur sa mère : sur les préjugés du village, très vite contredis par la narratrice.[j] L’autrice retranscrit mot pour mot les préjugés véhiculés par la société, principalement sur son travail.[k] La mère de la narratrice n’est pas « employée de maison dans des familles bourgeoises » (l.11), c’est une ouvrière. C’est ce qui lui vaut d’être jugée par ses propres sœurs. Annie Ernaux utilise à dessein le verbe « accuser » (l.13) pour présenter le procès fait aux filles modernes. Elle utilise d’ailleurs plusieurs formes infinitives et négatives (« ne pas savoir faire leur lit, de courir ») pour montrer l’image péjorative des ouvrières. L’ellipse de l’expression habituelle « courir les filles » fait apparaître l’habitude prise de qualifier les jeunes femmes ainsi. De plus, on remarque avec l’usage de la préposition « de » dans « les filles d’usine » (l.13) que les ouvrière appartiennent à l’usine. Elles n’ont plus d’identité propre, elles sont la possession de l’usine. Tout sa vie est à la « corderie » l.4, si bien qu’elle y rencontre même son mari. A la phrase suivante , les préjugés reprennent : « au village, on lui a trouvé mauvais genre » (l.13-14) : ce « on », pronom personnel vague ne désigne personne en particulier si ce n’est le village tout entier, la masse jugeant cette femme moderne, sur de faux préjugés.
En effet, ces parti pris se trouvent absolument contredis [l]par les les lignes 16 et 17. Bien que différente, la mère d’Annie Ernaux n’en est pas moins aussi très classique. C’est la locution adverbiale « en réalité » (l.16), qui produit un contre discours de vérité. Encore une fois, l’imparfait d’habitude prouve la récurrence ou bien justement l’absence de récurrence. L’adverbe « jamais » (l.16), l’adjectif « tous » (l.16) et le pronom personnel « elle-même » (l.17) réfutent les on-dits et rétablissent le vrai en insistant sur son indépendance et sa droiture. Nous avons donc pu voir que la mère d’Annie Ernaux a pu souffrir de parti pris liés à son apparence physique mais qui s’avèrent faux.
Ainsi, la mère d’Annie Ernaux gagne peu à peu son indépendance, en embrassant la modernité récente acquise par les femmes mais également en choisissant un mari différent et exemplaire[m]. En effet, pour s’extraire de sa condition, elle n’hésite pas à vivre libre, d’où les remarques de sa famille.[n] C’est notamment le rôle de l’accumulation l.14-15, cela fait sûrement beaucoup d’un coup pour une femme de son époque ! Tous les éléments physiques y passent : cheveux, robes courtes, fardait les yeux, les ongles . C’est une femme audacieuse. Le style télégraphique d’Ernaux permet justement d’accentuer ce côté : « elle riait fort » (l.16), là où les femmes sont sensées être discrètes ; le présentatif « c’était » l.18 accentue cet aplomb, c’est comme si nous n’y pouvions rien, qu’elle était naturelle et que c’était un état de fait. Elle n’est pas passive mais « répondeuse » (L.18) là encore loin des clichés sur les femmes; enfin, la phrase nominale couplée aux paroles rapportées l.18 montre bien à la fois l’effet de réel recherché par l’auteur tout comme la volonté pour la mère d’Annie Ernaux de se considérer aussi légitime que des bourgeois.
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