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"L'escale portugaise" de Jules Supervielle

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Par   •  10 Avril 2024  •  Commentaire de texte  •  1 480 Mots (6 Pages)  •  376 Vues

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Commentaire du poème « L’escale portugaise », Débarcadères (1922) de Jules Supervielle (1884-1960)

Texte 2/3 de la séquence sur « Les marines poétiques  »

Introduction :

  • Naissance de Jules Supervielle à Montevideo, grande ville portuaire située en Uruguay. Orphelin très jeune ; études en France
  • Double culture, sud américaine et française
  • Marqué par les voyages effectués entre l’Amérique du sud et l’Europe > poésie des escales et des ports d’où ce recueil Débarcadères publié en 1922 (Supervielle a alors 38 ans). Le terme « débarcadère » désigne dans un port le lieu où accostent les navires et où débarquent les passagers.
  • On notera que le terme est au pluriel renvoyant ainsi à la pluralité des ports connus par l’auteur lors de ses nombreux voyages
  • Le poème « L’escale portugaise » est une description pleine de vie et de couleurs d’un port situé au Portugal mais dont l’identité demeure inconnue. L’article définie « L’» peut vraisemblablement renvoyer à une escale qui a particulièrement marqué Supervielle. On peut aussi interpréter ce déterminant défini comme un indice désignant cette « escale » comme la représentation de n’importe quel port de pêche portugais, hypothèse renforcée par une description intemporelle menée au système de présent.

Lecture expressive du texte en entier

Rappel de la question : Vous m’avez demandé de répondre à la question suivante (par exemple) : « En quoi ce poème est-il révélateur du goût de l’auteur pour le voyage ? » ou « Dégagez la sensorialité de ce poème ». Nous tenterons de répondre à cette question au moyen de 3 axes :

  • I°] Etude de la composition du poème
  • II°] Une poésie sensorielle
  • III°] Une poésie festive

Développement :

I°] Etude de la composition du poème

  • Poème constitué de 5 quatrains. Les 3 premiers quatrains = 3 phrases (une phrase par quatrain) et les 2 derniers quatrains = 1 phrase longue et fluide.
  • La 1ère strophe évoque « l’escale » (1er mot du vers 1) d’une manière générale et depuis un point de vue encore assez lointain (= vue d’ensemble) comme le suggère l’emploi du pluriel « ses blancheurs » (1), « les maisons roses » (3) ; la 2ème strophe est consacrée aux activités des femmes « paniers de poissons…sur la tête » (5). Le point de vue est donc plus rapproché. La strophe 3 décrit l’explosion végétale au printemps. Enfin les strophes 4 et 5 qui ne forment qu’une seule longue phrase évoquent l’harmonie festive entre l’homme et le village, tout en débouchant sur une réflexion fugace sur le temps.
  • Le poème est écrit en vers mêlés ; en effet alternance tout le long du texte entre l’alexandrin et l’hexasyllabe (vers de 6 syllabes ou demi-alexandrin) ? Cette alternance introduit à la fois de la variété et de la fluidité dans le déroulement du texte. Chaque strophe ne contient en réalité que 3 alexandrins mais ils se déroulent sensuellement sur 4 vers, grâce au phénomène de l’enjambement.
  • Ce poème ne correspond donc pas à un poème de forme fixe. Il n’est traditionnel que parce qu’il garde la structure du vers et du vers le plus noble, l’alexandrin, dont l’hexasyllabe est un hémistiche. Cet hémistiche supplémentaire étant placé à des endroits variés, il donne beaucoup de liberté au poème, ce qui renvoie certainement à la liberté du lieu chanté par la poète. Qu’y a-t-il en effet de plus libre qu’un port, espace ouvert à la fois sur la terre et sur la mer, espace dévolu au voyage et aux grandes partances… ?
  • La liberté introduite dans le rythme des vers va de pair avec une description dynamique du paysage du port. Le regard du poète avance spatialement (comme nous l’avons montré plus haut) du port (strophe 2) à « la Place » mais il avance aussi temporellement. On remarque en effet que le texte progresse de l’activité matinale, la vente des poissons (« Les femmes […] exposent […] la sous-marine fête », « le plaisir matinal des boutiques ouvertes »), à la douce paresse de la « Place » dans la dernière strophe. On remarque que s’établit parallèlement un passage du violent soleil (« la crue de lumière ») à la bienfaisante « ombre des orangers », v.19. Ainsi, on passe du « plaisir matinal », v.13 au « doux midi », v.20, l’écoulement du temps étant rendu sensible par la progression de l’ « ombre » (v.19) et par l’allusion au « cadran » (v.19).
  • Enfin, notons que l’animation du texte tient aussi à l’utilisation des verbes de mouvement, appliqués d’ailleurs davantage au décor qu’aux personnages, qui semblent, eux, s’abandonner paisiblement à la douceur de vivre (« Exposent », v.7, « stagnent », v.17). Le mouvement est d’abord celui du « vent », v.2 dont l’allitération en [v] mime le souffle fort (« le vent s’évertue ») ; c’est  aussi celui de la végétation dont la croissance semble incontrôlable (« le feuillage strident a débordé de vert », v.9 et « Les roses printanières/ont fait irruption par les grilles de fer », v.11-12). En revanche, le mouvement humain et le mouvement général du texte sont fluides, en relation avec le thème aquatique sous-jacent dans l’ensemble du texte : « S’écoule », v.17. Remarquons que ce verbe est une métaphore usée quand il s’agit d’évoquer le passage du temps : il permet de relier progression spatiale et progression temporelle.

II°] Une poésie sensorielle

  • De nombreuses sensations sont réparables dans ce poème : sensations visuelles surtout, avec une palette aux couleurs vives et contrastées. Les « blancheurs » (v.1) évoquent à la fois les toits en terrasses, le linge qui y sèche et les blancs dégradés des filets de pêcheurs et s’opposent au « rose(s) » (3) des maisons et au « vert » (9) de la végétation. De plus le paysage est d’une grande luminosité : le mot « soleil » est répété deux fois aux vers 3 et 7, et l’expression « crue de lumière » apparaît au vers 10 dans une belle hyperbole. Le spectacle avec ses couleurs vives et ses reflets (« Irisés », v. 6) est esthétique. Tandis que le « soleil » et l’ « ombre » (19) suggèrent aussi des impressions tactiles, les adjectifs « bruyant » (7) et « strident » (9) renvoient à l’ouïe. On relève aussi l’indice d’une sensation olfactive, « sentent l’algue et la rue », au vers 4. Presque tous les sens sont donc mis en éveil.
  • A plusieurs reprises, deux sensations sont évoquées dans la même image, ce qui rappelle les fameuses correspondances baudelairiennes (ou encore « synesthésies ») : « le soleil bruyant » et le « feuillage strident ». Chez Supervielle, la correspondance entre deux sens pourtant différents semble traduire une saturation qui exprime le bonheur.

III°] Une poésie festive

  • De fait, le poème de Supervielle donne une vision sensuelle du bonheur. Tout, dans ce petit port, dit l’abondance : de nombreux groupes nominaux sont au pluriel (« les maisons roses », « les femmes », «  des paniers de poissons », « les roses printanières » « les passants »… »), la végétation est luxuriante et surtout la pêche a été bonne : « des paniers de poissons » (5). Ce port est un lieu qui comble ; il invite au repos (« l’escale »), il incarne la générosité et les enjambements multiples miment la plénitude.
  • Les quatre éléments primordiaux sont présents : le feu avec le « soleil », l’eau avec la « mer », l’air avec le « vent » et le « ciel » et la terre, évoquée implicitement par la végétation.
  • La gaieté est aussi liée à l’atmosphère de fête ; mouvement, oisiveté, bruit, couleurs, soleil. Tout se passe comme si, par métonymie, la « sous-marine fête » (v.8) se prolongeait dans le port. La sensualité du paysage est encore renforcée par son érotisation. Dès la première strophe, le verbe « enlace » évoque un geste amoureux. De même que l’adjectif « ronde » (18) dans la dernière strophe suggère des courbes féminines. D’ailleurs la strophe 4 peut se lire comme une métaphore de l’abandon au désir : « Le plaisir matinal », « boutiques ouvertes », « qui se livrent », « les volets écartés » (v.16).

Conclusion :

  • Le poème « L’escale portugaise » constitue bien une « marine poétique » puisqu’il est centré sur un lieu, un petit port de pêche emblématique, qui vit grâce à la mer.
  • C’est la mer aussi et ses richesses qui, en pleine saison de printemps, donnent à cette escale son côté festif, ouvert sur la nature, ses couleurs, ouvert sur une humanité heureuse de vivre et de travailler.
  • Le poème « L’escale portugaise » constitue un magnifique éloge de ces petits ports si typiques qui font la joie des vacanciers ou de ceux qui, tel Supervielle, ont la chance dans les longues pérégrinations imposées par la vie de fréquenter de tels lieux.

 

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