Commentaire du Livre III, chapitre 8, § 1-7 du roman Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius
Commentaire de texte : Commentaire du Livre III, chapitre 8, § 1-7 du roman Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Bob Luy • 20 Septembre 2023 • Commentaire de texte • 2 668 Mots (11 Pages) • 178 Vues
Sujet n°1 :
Commentaire du Livre III, chapitre 8, § 1-7 du roman Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius.
Les romans antiques sont nés durant l’époque impériale car c’était un âge de transition et de libération par rapport aux codes formels. Toutefois, il faut souligner que, malgré son utilisation, le terme « roman » en tant que tel est anachronique pour parler des fictions en prose antique car il est né au Moyen-Âge et désignait les textes écrits en langue romane.
Achille Tatius est un homme sur lequel on possède peu d’informations mais qui semble venir d’Alexandrie en Égypte. Aujourd’hui, on situe Achille Tatius dans la seconde moitié du IIème siècle après Jésus-Christ en plein milieu de la Seconde Sophistique. De même, d’après la Souda, une encyclopédie de l’époque byzantine, Tatius se rapprocherait des sophistes de cette époque. Il est surtout connu pour son roman intitulé Leucippé et Clitophon qui fait partie du corpus englobant sept romans anciens. L’ouvrage, divisé en huit Livres, raconte les péripéties des héros éponymes. A Tyr, Clitophon, par la volonté de son père Hippias, doit épouser sa demi-soeur Calligoné. Cependant, une guerre éclate à Byzance et Sostratos, le frère d’Hippias, lui envoie sa femme et fille Leucippé. Dès leur première rencontre, Clitophon tombe amoureux de cette dernière et tente de la séduire, guidé par les conseils de son cousin Clinias. Toutefois, au désespoir de Clitophon, son père prépare son mariage avec sa demi-soeur, qui se fait finalement enlever par un prétendant. Après avoir tenté de s’introduire, avec l’accord de Leucippé, dans la chambre de cette dernière, Clitophon est surpris avant d’avoir pu faire quoi que ce soit. Terrifiés, les deux jeunes gens décident de s’enfuir avec Clinias pour ne pas subir les représailles de leurs parents. Suite à cela, de nombreuses aventures les attendent durant lesquelles Clitophon sera confronté plusieurs fois à la mort de Leucippé. Finalement, les deux amoureux réussiront à se marier avec la bénédiction de Sostratos.
En orateur sophistique confirmé, Achille Tatius cherche à faire de Leucippé et Clitophon un livre érudit imprégné de sujets encyclopédiques traitant de divers sujets mais aussi de références culturelles et notamment artistiques. En sachant cela, on peut se demander de quelle manière il réussit à faire participer, tout au long de son roman, son lecteur dans l’anticipation des événements.
Tout d’abord, nous aborderons, avec le tableau du supplice de Prométhée, la notion d’ekphrasis pendant la période de la Seconde Sophistique et le public à laquelle elle s’adresse. Puis, nous analyserons les ressemblances et les différences existant entre notre tableau et le « sacrifice » de Leucippé quelques chapitres plus tard.
Achille Tatius utilise ici, comme à plusieurs reprises dans son roman, la technique de l’ekphrasis afin que le lecteur ait l’impression d’avoir le tableau représentant Prométhée sous ses yeux. Ce savoir-faire sophistique destine ainsi l’ouvrage à un public élitiste.
Grâce à l’ekphrasis, l’auteur grec réussit à rendre la peinture, qui représente Prométhée se faisant dévorer le foie par un aigle, presque vivante. L’ekphrasis, selon le sophiste alexandrin Ælius Théon (Ier siècle de notre ère), est un discours qui présente en détail et met sous les yeux de façon évidente (enargeia) ce qu’il donne à connaître, ici une peinture. C’est donc une technique très minutieuse, d’où l’étymologie de ek qui signifie « à fond ». Son but est atteint lorsqu’une image surgit dans l’esprit du lecteur ou de l’auditeur. L’ekphrasis fait, en outre, partie de la Seconde Sophistique dont nous parlerons plus tard. Il faut par ailleurs signaler que les ekphrasis d’œuvres d’art n’étaient pas faites pour accompagner les tableaux mais plutôt s’en substituer totalement. Ainsi, Achille Tatius réussit l’exploit de dépasser le peintre, qui est ici Évanthès, par le seul pouvoir des mots. Notre extrait commence avec « l’histoire de Prométhée » (l.1) qui fait suite à celle d’Andromède et du monstre des eaux. Dès le premier paragraphe, Tatius donne le ton du tableau en donnant les différents protagonistes et leur fonction propre (l.1-2). Le lecteur peut alors tout de suite cerner les acteurs de la scène. Ensuite, l’auteur tente de préciser en s’attardant sur les détails. On peut le voir à la ligne 3 où Tatius nuance les agissements de l’aigle : « [i]l est là à [...] ouvrir le [ventre], ou plutôt il est déjà ouvert ». Les différents détails donnés comme les serres de l’aigle enfoncées dans la cuisse de Prométhée (l.5-6) ou la souffrance spasmodique résultant chez la victime qui, sans le vouloir, rapproche l’aigle de son but (l.6-8) amènent à une représentation intérieure beaucoup plus forte. Tatius va même plus loin en décryptant le mélange d’expressions figées du Titan. Ainsi, Prométhée est « au supplice » (l.9) mais il en même temps plein « d’espoir » (l.16) car le héros Héraclès peut le sauver. En effet, une fois que le lecteur s’est bien représenté la scène initiale, voici que l’auteur grec s’empare du personnage d’Héraclès pour le faire vivre à travers son texte. Il « est debout » (l.11) et il sur le point de décocher la flèche qui tuera l’aigle (l.12-16). Les détails qui le concernent sont extrêmement précis. Le lecteur ne peut faire autrement que d’imaginer sa flèche tel un animal prêt à bondir et pressé d’en finir. L’exercice de l’ekphrasis est donc compliqué et met, d’une certaine manière, l’auteur dans une position de dominant par rapport au peintre. Toutefois, il faut reconnaître que la rivalité envers le peintre passe d’abord par une reconnaissance du travail de celui-ci. De fait, Achille Tatius, au travers de Clitophon, salue le travail du peintre et sa représentation de la douleur de Prométhée. Évanthès a si bien réussi son tableau que le spectateur ne peut être que « pris de pitié tant la peinture a l’air de souffrir » (l.10). Grâce à tout cela, l’enargeia est atteinte et Achille Tatius réussit le pari d’outrepasser le travail du peintre. Cependant, la technique de l’ekphrasis n’était pas à la portée de tout le monde et, de fait, ne s’adressait pas à n’importe qui.
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