Yourcenar, les Mémoires d'Hadrien
Dissertation : Yourcenar, les Mémoires d'Hadrien. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Maëlle Gaudin • 24 Février 2024 • Dissertation • 2 316 Mots (10 Pages) • 139 Vues
Dissertation:
Yourcenar fait paraitre les Mémoires d’Hadrien en 1951 qui souligne une idée de décadence, au XX ème siècle, par contraste avec l’éclat que représente l’idéal grec. Yourcenar livre une vision pessimiste du monde et des hommes à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, de nombreux auteurs témoignent de l’absurdité du monde après cette guerre, ils font ressortir la haine et les injustices rencontrées. Dans cette perspective, le rôle des auteurs devient avant tout politique, et Sartre écrit, dans son essai intitulé Qu'est-ce que la littérature? : "Il n'est pas vrai qu'on écrive pour soi-même : ce serait le pire échec; en projetant ses émotions sur le papier, à peine arriverait-on à leur donner un prolongement languissant... Il n'y a d'art que pour et par autrui."Ainsi, Sartre rappelle que l’écrivain est toujours ancré dans une catégorie sociale et illustre un monde. Sartre affirme que les lecteurs doivent trouver un message dans les œuvres, mais il met en garde les auteurs envers les émotions sans réflexion, sans art, sans mise en forme, sans tout ce qui fait une œuvre. Par conséquent, il fait une critique acerbe des œuvres qui seraient tournées vers la seule expression de l’émotion. Il en ressort d’une part, la définition d’une œuvre d’art qui peut être représentée comme un objet social, collectif, qui a du sens dans une société et d’autre part la question de la beauté qui est évincée au profit de la question du sens, c’est-à-dire que ce n’est pas le beau qui définit l’œuvre d’art mais plutôt sa visée. Il en résulte de savoir si on trouve toujours une intervention «pour autrui» et «par autrui» dans les ouvrages littéraires. Pour ce faire, Sartre exprime l’idée qu’un écrivain n’écrit pas que pour soi-même mais qu’il vise toujours un public. Néanmoins, doit-on admettre avec Sartre que seule l’hypothèse de l’écriture tournée vers autrui constitue la valeur de l’œuvre et ne peut-on pas envisager une écriture tourné vers soi-même ?
La littérature s’inscrit dans une culture où des jeux d’échos et de références entre plusieurs époques montrent que les auteurs écrivent «par autrui». En effet, elle offre aux lecteurs à la fois le dépaysement et l’évasion dans un autre temps, des rebondissements multiples, et une réflexion sur leur propre époque et sur l’évolution des sociétés. Comme, dans les Mémoires d’Hadrien de Yourcenar, l’écrivaine s’éloigne de l’époque contemporaine mais lui fait aussi écho, c’est-à-dire que Yourcenar effectue une transposition entre son époque et celle de l’empereur Hadrien comme lorsqu’elle parle de la stabilité de l’empire dirigé par Hadrien, elle peut faire allusion aux questions coloniales, ou encore lorsqu’elle évoque la reconstruction de la Grèce opérée par Hadrien, elle peut faire allusion à l’aide américaine à travers le plan Marshall permettant à l’Europe de renaître de ses cendres. Au XXème siècle et au XXIème siècle, l’idée de rendre compte du réel est encore très présente pour de nombreux romanciers, alors ces derniers ont pour ambition de dévoiler l’étude des mœurs au travers d’une époque précise en explorant l’univers du quotidien, ses rites et sa banalité. Ainsi, ces romanciers se font témoin de leur temps et porte-parole des hommes, de leurs espoirs et de leurs peurs. Par exemple, Marcel Proust dépeint tous les groupes sociaux, du monde des domestiques à celui de l’aristocratie, dont s’inspirent par snobisme, les salons bourgeois. Ainsi, dans le roman s’intitulant Du côté de chez Swann Proust décrit le coté snob chez Monsieur Legrandin que les lecteurs perçoivent. Il suffit de le voir, à la sortie de la grand’messe de Combray, s’agiter pour plaire à une marquise du voisinage : il avait une «si grande peur de leur déplaire qu’il n’osait pas leur laisser voir qu’il avait pour amis des bourgeois, des fils de notaires ou d’agents de change, préférant, si la vérité devait se découvrir, que ce fût en son absence, loin de lui et «par défaut» ; il était snob».
De plus, les romanciers utilisent un langage spécifique à ceux qui l’apprivoisent et l’apprécient. Ce langage est alors un champ d’exploration, tantôt tourné vers un raffinement exigeant, tantôt au contraire, vers l’expressivité de l’argot. Ainsi, les écrivains rompent avec les convictions linguistiques et explorent des voies diverses telles que la complexité de la syntaxe pour traduire les mouvements désordonnés de la pensée, l’effacement des frontières entre l’écrit et l’oral pour mieux exprimer les émotions, la neutralité stylistique pour évoquer un monde hermétique, comme le disait Jean Ricardou dans Pour une théorie du nouveau roman: «Le roman n’est désormais plus l’écriture d’une aventure mais l’aventure d’une écriture». Le roman de Yourcenar a la spécificité d’être une réécriture du temps de l’Antiquité. Nous pouvons voir cela aux nombreux mots latins que l’auteure place tout au long du livr,e ou bien le poème latin d’Hadrien au début du livre. De plus, nous remarquons aussi que le nom des six parties qui composent le livre sont-elles aussi uniquement en latin « Animula Vagula Blandula », « Patientia »… Ce livre propose un voyage culturel à son lecteur, qui va de surprises en découvertes.
De même, James Joyce imagine une langue inédite composée de différentes langues et dialectes. Avec son roman Ulysse, une sorte de réécriture de l’Odyssée d’Homère, il explore les modes d’expressions en convoquant tous les styles et tous les tons comme dans le monologue intérieur de Molly, la compagne de Léopold Bloom qui constitue la dernière partie de l’œuvre et ne contient que huit phrases sur près de cinquante page: «Et puis le Lord Maire qui m’avait matée avec ses gros yeux salaces Val Dillon ce gros rustre». On voit que Yourcenar aussi, mais avec son style, soutenu, fait partie des auteurs du XX ème siècles qui explorent toutes les possibilités d’expressivité.
On peut donc dire que la littérature est expression d’esthétique et d’idées qui est né d’un groupe social puis qui est dirigé vers la société. Cette expression a deux types de destinataire: le public qui lit l’œuvre et plus largement, la société qui n’est pas destinataire du texte. Ainsi, au XX ème siècle, suite à de grandes tragédies, les romanciers soulignent dans leurs œuvres les représentations et les certitudes d’un monde qui s’interroge en termes de valeurs, de systèmes politiques et philosophiques. Cette littérature s’ouvre donc à des problématiques sociales et politiques, et les romans ont une dimension philosophique pour mieux comprendre la condition humaine, l’autre et soi-même, comme le dit Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien: «Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir de chacun en particulier des vertus qu’il n’a pas et de négliger de cultiver celles qu’il possède».
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