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Manon Lescaut, L'Abbé Prévost

Analyse sectorielle : Manon Lescaut, L'Abbé Prévost. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  25 Avril 2024  •  Analyse sectorielle  •  1 871 Mots (8 Pages)  •  148 Vues

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ABBÉ PREVOST, Manon Lescaut (extrait 2) (Les retrouvailles à Saint-Sulpice)

Introduction : (penser à la présentation de l'oeuvre et de l'auteur) Des Grieux, qui vient de tomber amoureux de Manon, s'enfuit avec elle à Paris. Après trois semaines de vie commune, il découvre qu'elle reçoit en secret un certain M. B. Avant qu'il ait pu éclaircir cette liaison, il est enlevé par les laquais de son père qui le ramènent chez lui. Il apprend alors la trahison de Manon. Après une longue période de désespoir où il reste enfermé chez son père, il se laisse convaincre par Tiberge d'entrer au séminaire à Saint-Sulpice à Paris, pour y mener des études de théologie. Manon le retrouve et vient le chercher. Dans cet extrait, le narrateur nous raconte cette entrevue au cours de laquelle Manon retrouve son emprise sur lui. En quoi ce récit fait par Des Grieux nous permet-il de comprendre la relation entre les deux personnages ? Nous étudierons, dans le premier paragraphe, les paroles adressées par le narrateur à Manon, puis, dans le deuxième paragraphe, le récit fait par Manon de sa trahison.

Les propos de Des Grieux (l. 1 à 10) La première phrase du paragraphe est une phrase de récit qui montre que les paroles de Des Grieux sont la conséquence des propos que Manon vient de tenir « Elle me répondit des choses si touchantes […] qu'elle m'attendrit à un degré inexprimable » (l. 1-2) : le recours à l'hyperbole « degré inexprimable » montre la puissance de l'effet produit par Manon et explique le discours que va tenir Des Grieux ensuite. La fin du paragraphe, malgré l'absence de guillemets, rapporte ses paroles au discours direct « Chère Manon ! […] Tu es trop adorable » (l. 2-3). L'incise présente dans cette phrase « lui dis-je, avec un mélange profane d'expressions amoureuses et théologiques » (l. 3) montre la confusion présente dans l'esprit du narrateur qui mélange deux langages opposés (amoureux et religieux), elle révèle aussi la passion qu'il éprouve puisqu'il semble ainsi considérer Manon comme une déesse. On constate par la suite qu'il est conscient du caractère tragique de cet amour, en montrant qu'il le perçoit comme une fatalité « Je me sens le cœur emporté par une délectation victorieuse » (l. 4), le sens passif du participe « emporté » montre que le narrateur subit cette passion (dans le langage théologique, la « délectation » a un sens péjoratif et désigne l'abandon aux plaisirs), en outre il semble envisager un avenir funeste à cause de son amour : « Je vais perdre ma fortune […] pour toi, je le prévois bien » (l. 5-6), enfin il revient sur la notion de fatalité par l'utilisation du terme « destinée » dans la proposition « je lis ma destinée dans tes beaux yeux » (l. 6). Le personnage fait donc le constat, avec lucidité, du tragique de sa situation. Malgré sa lucidité quant aux dangers de sa passion, il affirme sa volonté de s'y abandonner, c'est ce que suggère la dernière proposition de la phrase étudiée précédemment : la conjonction de coordination « mais » vient marquer l'opposition avec ce qui précède « mais de quelles pertes ne serai-je pas consolé par ton amour ! » (l. 6-7), cette exclamation montre encore la force de son amour qui semble capable de faire oublier tout ce à quoi il renonce. Il finit d'ailleurs sa prise de parole par une énumération de toutes les valeurs qui lui étaient chères auparavant et qu'il déprécie dorénavant par l'emploi de termes péjoratifs, ainsi exprime-t-il son indifférence pour « les faveurs de la fortune » (l. 7), « la gloire » devient « fumée » (l. 7), les « projets ecclésiastiques » sont qualifiés de « folles imaginations » (l. 8), il résume tout cela par la formule « enfin tous les biens différents de ceux que j'espère avec toi sont des biens méprisables » (l. 8-9), le personnage renonce donc à tout ce en quoi il croyait pour son amour : « ils ne sauraient tenir un moment, dans mon cœur, contre un seul de tes regards » (l. 9-10), l'expression de la passion est encore hyperbolique. Ces paroles de Des Grieux rapportées au discours direct nous révèlent que sa passion revient dès qu'il revoit Manon et qu'il lui sacrifie tout ce à quoi il croyait, malgré la lucidité dont il fait preuve sur les dangers de cet amour.

II. Le récit de la trahison de Manon La première phrase est une phrase de récit qui nous signale que c'est à la demande de Des Grieux que Manon va raconter sa trahison « Je voulus être informé de quelle manière elle s'était laissé séduire par B. » (l. 11-12), on constate dans la tournure passive « s'était laissé séduire » que, d'emblée, le narrateur rejette la responsabilité de la liaison sur B. et cherche à disculper Manon, en outre il lui accorde immédiatement son pardon, dans le complément circonstanciel de concession qui ouvre la phrase « En lui promettant néanmoins un oubli général de ses fautes » (l. 11). Cette première phrase nous indique l'indulgence avec laquelle le narrateur va écouter le récit de Manon. Cette bienveillance apparaîtra aussi dans les paroles de Manon, puisque le narrateur va nous les rapporter de son point de vue en utilisant le discours indirect : la longue phrase au discours indirect commence par « Elle m'apprit que » (l. 12), l'utilisation de ce type de discours nous sera rappelée par l'emploi de la conjonction de subordination « que » au début d'un certain nombre de propositions. Le narrateur nous donne accès à la parole de Manon, en principe fidèlement, mais il se laisse la liberté de la modifier, la résumer, ne garder que ce qui lui convient. Le récit de la liaison est chronologique et commence donc par la rencontre : on constate, dès ce début, un rejet de la responsabilité de Manon, c'est B. qui tombe amoureux « l'ayant vue à sa fenêtre, il était devenu passionné pour elle » (l. 12-13), B. est sujet et Manon objet : le rapprochement entre le regard « vue » et les sentiments « passionné » suggère un coup de foudre de la part de B. L'étape suivante, la déclaration, n'est pas à l'avantage de Manon, puisqu'il est question de façon très claire d'argent et de prostitution : l'expression « déclaration en fermier général » (l. 13) le suggère (un fermier général est un homme riche), et la locution adverbiale « c'est-à-dire » introduit une explication qui rend le marché parfaitement clair « le paiement serait proportionné aux faveurs » (l. 14). La proposition suivante permet d'évoquer la réaction de Manon : la métaphore militaire « elle avait capitulé » (l. 14) présente Manon comme une victime, en outre la conjonction de coordination « mais » permet de venir opposer à cette acceptation de Manon une justification, il s'agit sans doute de l'excuse donnée par la jeune femme et retranscrite par Des Grieux « sans autre dessein que de tirer de lui quelque somme considérable, qui put servir à nous faire vivre commodément » (l. 15-16) La tournure restrictive dans « sans autre dessein que » exclut de la part de Manon tout sentiment pour B., de plus, elle parvient à transformer le péjoratif (trahison, prostitution) en mélioratif « qui pût servir à nous faire vivre commodément », elle aurait été infidèle pour le bien de son couple avec Des Grieux. Quand elle évoque la poursuite de la liaison, Manon cherche encore à atténuer sa faute : B. est à nouveau sujet et elle objet : « il l'avait éblouie par de si magnifiques promesses » (l. 16) et elle recourt à une tournure passive dans « elle s'était laissé ébranler par degrés » (l. 16-17), la lenteur évoquée par le complément « par degrés » suggère aussi l'idée d'une résistance de sa part. La proposition suivante est en opposition avec ce qui précède « pourtant » (l. 17) : Manon juge nécessaire de rappeler les sentiments qu'elle éprouvait pour le narrateur « remords » (l. 17), « douleur dont elle m'avait laissé voir des témoignages la veille de notre séparation » (l. 17-18), puis elle valorise Des Grieux en le comparant à son autre amant : elle commence par dévaloriser sa liaison avec B. au moyen d'une négation « elle n'avait jamais goûté le bonheur avec lui » (l. 19), elle énonce ensuite deux raisons à cette absence de bonheur qui sont toutes deux à l'avantage de Des Grieux, l'addition de ces deux raisons est d'ailleurs mise en valeur par les connecteurs logiques « non seulement parce que » (l. 19), « mais parce que » (l. 20) : elle oppose à la richesse de B. (« l'opulence dans laquelle il m'avait entretenue » l. 18-19) les sentiments et qualités du narrateur « la délicatesse de mes sentiments et l'agrément de mes manières » (l. 20) et ses propres sentiments « le souvenir de mon amour et le remords de son infidélité » (l. 21-22) Ce rapprochement entre ses deux amants a pour objectif de flatter Des Grieux et de laisser penser que Manon est plus sensible aux sentiments qu'à l'argent. Enfin l'évocation de Tiberge qui, lors de la séparation de Manon et Des Grieux, vient rappeler à l'infidèle son amour est une occasion pour Manon de rappeler la violence de ses sentiments pour le narrateur au moyen d'hyperboles, elle parle de « confusion extrême » (l. 22), la phrase qui suit est d'ailleurs la seule au discours direct et elle est particulièrement forte « Un coup d'épée dans le cœur, ajouta-t-elle, m'aurait moins ému le sang » (l. 23) La dernière phrase du passage nous fait quitter les paroles de Manon pour préciser la réaction de Des Grieux : elle est évoquée à travers un mouvement du personnage assez théâtral qui traduit la force de l'émotion ressentie par rapport aux propos de Manon « Je lui tournai le dos, sans pouvoir soutenir un moment sa présence » (l. 23-24) Ce discours indirect rapportant les propos de Manon révèle donc bien l'habileté du personnage, quand elle raconte sa trahison, ainsi que la violence de la passion du narrateur, qui, quelques années après les faits, est capable de raconter les étapes de la liaison de Manon, mais aussi de nous faire part des excuses qu'elle lui a données.

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