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La nuit d'amour Lancelot ou le chevalier de la charrette

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Par   •  4 Novembre 2023  •  Commentaire de texte  •  6 253 Mots (26 Pages)  •  281 Vues

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L’extrait que nous allons étudier est la nuit d’amour entre Lancelot et Guenièvre. C’est un tournant dans l’œuvre, une scène unique qui constitue l’acmé du récit car elle est l’accomplissement de l’aventure personnelle de Lancelot. Elle est programmée, attendue puisqu’elle arrive après un rapprochement progressif et le franchissement de plusieurs obstacles : le verger, la reine, la fenêtre bardée et le lit du sénéchal. Ainsi, la distance spatiale entre les deux amants adultères est enfin abolie après une première partie du récit qui illustrait un amour de loin, notamment dans l’épisode du peigne de la reine qui constitue le premier contact entre eux. C’est donc une scène charnelle, notamment annoncée par les épreuves des deux lits précédents. La première étant celle du lit périlleux dans lequel ne peut se coucher qu’un homme qui le mérite comme un roi. Or Lancelot est monté dans la charrette, ce qui fait de lui un chevalier qui a perdu tout honneur. Mais malgré cela, il se couche dans le lit et sort vainqueur de cette épreuve. Ainsi, il s’affirme comme un élu, l’égal d’un roi et donc digne de sa relation avec la reine Guenièvre. La seconde épreuve est celle avec la demoiselle tentatrice où il parvient à résister à l’amour charnelle, ce qui, encore une fois, le rend digne de sa dame. C’est également une scène qui s’oppose à l’accueil étrangement froid de la reine puisque la nuit d’amour est la conséquence d’un rendez-vous donné par cette dernière à Lancelot au moment où ils retrouvent après avoir cru à la mort de l’un et l’autre.

        Notre passage montre donc cette réunion amoureuse qui marque un tournant dans l’oeuvre puisqu’elle constitue l’aboutissement de la quête amoureuse de Lancelot. On retrouve l’association de l’amour et de la douleur avec le motif de l’amant-martyr ainsi que les notions d’exploit et de sacrifice propres à la fin’amor qui prend ici une dimension charnelle. Par ailleurs la reine est élevée au rang de divinité par Lancelot qui apparaît comme une figure christique. Cependant, cet amour n’est pas complètement parfait puisqu’il est la conséquence d’un adultère qui ne s’inscrit ni dans la répétition ni dans la durée. Par ailleurs, on peut rapprocher notre extrait du modèle tristanien puisqu’il fait écho à l’épisode de la fleur de farine chez Béroul. Dans cet épisode, Tristan et Yseut se réunissent lors d’une nuit d’amour mais seront dénoncés par les traces de sang laissées par Tristan sur la blancheur des draps et la farine répandu par le nain pour les piéger. Dans l’œuvre de Chrétien, Méléagant aperçoit les taches de sang le lendemain matin et les attribue à Keu, blessé et couché dans la même salle et dont les blessures se sont rouvertes. Notre passage se caractérise également par les interventions et une certaine distance du narrateur qui prête parfois à rire. Enfin, on peut noter une certaine forme de circularité de l’extrait puisque l’on retrouve le motif de l’amant-martyr qui encadre la nuit d’amour. Celle-ci apparaît comme une parenthèse enchantée que referme Lancelot lorsqu’il replacera les barreaux de la fenêtre à l’identique.

Lecture du texte

On distingue donc trois mouvements particuliers : le premier, du vers 4633 à 4649, montre l’exploit de Lancelot qui franchit, par le sacrifice de son corps, le dernier obstacle qui le sépare de Guenièvre. Le second, du vers 4650 à 4686 décrit la fin’amor à son paroxysme et l’accomplissement parfait de l’amour que le narrateur ne peut complètement décrire. Enfin le troisième mouvement, du vers 4687 à 4701, marque la rupture avec la nuit d’amour tout en mettant l’extrait en cycle et en annonçant de la suite. C’est pourquoi on peut se demander en quoi ce passage, ascendant puis descendant après la consommation de l’amour, illustre-t-il toutes les dimensions de la fin’amor ?

Ainsi, le premier mouvement qui s’étend du vers 4633 à 4649 décrit l’exploit de Lancelot qui, par la figure christique de l’amant-martyr, se transcende pour retrouver la reine.

4633                A tant la reïne s’an torne,                                

4634                Et cil s’aparoille et atorne                        

4635                De la fenestre desconfire.                                

4636                As fers se prant et sache et tire                        

4637                Si que trestoz ploier les fet                        

4638                Et que fors de lor leus les tret,

  • Notre extrait débute par la mention de la fenêtre comme dernier véritable obstacle mais aussi comme ouverture vers les jeux et les plaisirs. Cette mention fait écho au passage du cortège de la reine qui illustre l’amour de loin puisque Lancelot aperçoit sa dame depuis une fenêtre.
  • La polysyndète au vers 4636 rythme le vers et renforce, par son effet cumulatif, l’idée de détermination de Lancelot à franchir tous les obstacles qui le séparent de sa dame.
  • On repère dans ce même vers une allitération en « r », un son dur, explosif qui fait écho à la dureté des barreaux et la volonté de fer de Lancelot.
  • Le pronom « trestoz » montre bien que Lancelot brise la totalité des fers, sans exception. Ce passage rappelle l’exploit du Cimetière Futur où Lancelot a fait preuve de la même force prodigieuse en soulevant la lame de son tombeau. Ici, le descellement des fers signale le pouvoir presque merveilleux du désir qui pousse Lancelot à braver l’interdit que les barreaux symbolisent et qui le séparent de l’adultère.

4639                Mes si estoit tranchanz li fers                        

4640                Que del doi mame jusqu’as ners                        

4641                La première once s’an creva,                        

4642                Et de l’autre doi se trancha                        

4643                La premerainne jointe tote,                        

4644                Et del sanc qui jus an degote                        

4645                Ne des plaies nule ne sant                        

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