Explication de texte - Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, pages 727-728
Commentaire de texte : Explication de texte - Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, pages 727-728. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Ingrid_Bonnet • 7 Février 2024 • Commentaire de texte • 4 638 Mots (19 Pages) • 177 Vues
Explication de texte - Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, pages 727-728.
Claude Simon, écrivain français du XXe siècle, « qui, dans ses romans, combine la créativité du poète et du peintre avec une conscience profonde du temps dans la représentation de la condition humaine », écrit à propos de Proust qu’il « ... rassemble ce qui était épars, ordonne ce qui paraissait désordre, règle minutieusement les détails de cette grandiose cérémonie où entrent en scène l’univers tout entier, le passé et le présent, le loin et le près, un groom d’hôtel, un poisson, une fleur, les profondeurs de la mer, une vieille marquise, un nuage, l’écume lilas d’une vague, les grosses joues roses d’une jeune fille, un reflet de soleil, une princesse, les courbes des collines, les routes bordées de pommiers, un gérant d’hôtel au langage incertain, tous et tout jouant leur rôle dans cette sorte de système véritablement cosmique où d’un bout à l’autre se répondent les mots, les thèmes mineurs et majeurs entrelacés au sein du grand thème qui domine toute l’oeuvre, sans cesse rappelé d’une façon ou d’une autre... » En effet, l'œuvre de Proust, d’une richesse infinie, comporte une réflexion sur le temps, et ses spécificités, réflexion largement étayée à travers les différents volumes qui composent À la recherche du temps perdu. C’est une thématique qui peut notamment être retrouvée à la fin du roman À l’ombre des jeunes filles en fleurs dont un extrait est ici à l’étude, jouant aussi sur les musicalités et les différentes composantes évoquées par Simon. L’extrait étudié est donc tiré du roman À l’ombre des jeunes filles en fleurs, publié en 1919, salué par le Prix Goncourt en cette même année, deuxième volume de À la recherche du temps perdu, œuvre monumentale de Marcel Proust (1871-1922). L’extrait étudié se trouve être fait des derniers mots de l’auteur, clôturant le volet Nom de pays : le pays, s’écoulant sur les deux dernières pages du roman (pages 727 et 728 de l’édition Folio Classique). Cette seconde partie du roman se déroule à Balbec, destination tant attendue par le héros dans la première partie, (fortement inspirée des divers séjours de Proust lui-même à Cabourg) et plus particulièrement dans un hôtel, bien fréquenté, où le héros séjourne durant quelques mois avec sa grand-mère, afin de soigner sa santé fragile. Après y avoir traversé une certaine solitude, il lie des relations, des amitiés, notamment avec Mme de Villeparisis, Robert de Saint-Loup ou encore le peintre Elstir. De plus, le héros, s’il avait employé tous ses efforts dans la première partie Autour de Mme Swann à s’attacher les faveurs de la fille de cette dernière : Gilberte, va désormais se consacrer à essayer de se lier d’amitié avec un groupe de jeunes filles, « de cinq ou six fillettes », qu’il avait croisées sur la plage de Balbec (page 513 et suivantes), et plus particulièrement avec l’une d’entre elles qui avaient retenu son attention et qui se révèle être Albertine. Il y parvient grâce à Elstir et passe des moments
heureux avec ses nouvelles amies. Il ressent de l’attirance pour plusieurs d’entre elles, tombe amoureux d’Albertine, et essaie de la rendre jalouse en se rapprochant d’une de ses amies, mais finit par faire un faux pas avec elle. La fin du roman coïncide aussi avec la fin de la saison et les départs progressifs des gens de Balbec. Les amies du héros partent tour à tour, l’hôtel se vide peu à peu, le casino ferme. Le héros-narrateur se rappelle alors des matinées passées dans l’obscurité de sa chambre, à la fin de son séjour à Balbec, sur les recommandations de sa grand-mère, afin qu’il se repose avant de sortir avec Albertine et ses amies l’après-midi. Dans notre extrait, le héros-narrateur relate son absence, remarquée par Albertine, alors à ces moments-là, et compare les sons produits par la mer à un concert, le « concert symphonique » quotidien évoqué à la page 554 par le héros, qui s’en sert comme point de repère dans sa matinée, et qui n’arrivait parfois pas à le réveiller d’ailleurs, avant de se rappeler de l’impatience qu’il avait ressentie que Françoise vienne ouvrir la fenêtre. Il s’agit alors ensuite de se remémorer le Balbec qu’il s’était imaginé, celui qui s’était véritablement offert à lui, et le jour précis qu’il découvrait ce jour-là, sûrement le dernier qu’il avait passé à Balbec avant de rentrer à Paris. Ce texte, aussi poétique qu’il soit, est aussi empreint de multiples indicateurs temporels, qui témoignent d’un des enjeux principaux de la Recherche.
À la première ligne de notre extrait, le narrateur relate en effet les propos d’Albertine, qui regrettait que son ami reste dans sa chambre au lieu d’aller s’amuser avec elle et leurs amies alors qu’un concert prenait place. Le narrateur se rappelle alors de la musique qui se mélangeait avec les bruits de la mer, dans son esprit, par des métaphores ou plutôt des correspondances, poétiques. Puis, à la ligne 5, il se rappelle de l’impatience ressentie que son jour commence, avec l’arrivée de Françoise et la sorte de rituel de la découverte du jour. Il s’agit de se remémorer des mois ensoleillés passés dans un Balbec immuable, inchangeant, ayant été imaginé d’une certaine façon bien différente pourtant. Et, en dernier lieu, le narrateur évoque la sorte de rituel auquel se livre Françoise en faisant paraître le jour dans le chambre du héros, en tirant les rideaux… dans une ultime métaphore entre ce jour de fin d’été et une momie découverte, qui survit donc au temps et renaît. Cette métaphore peut être interprétée de façon méta-littéraire, la momie en train d’être découverte pouvant alors représenter le texte qui naît, de toutes ces impressions vécues par le héros de la Recherche. Cette fin de roman concentre tout le style de Proust, poétique et fait d’impressions.
Dans quelle mesure cet extrait, étant la fin du roman, illustre-t-il aussi bien l’immortalisation des souvenirs du séjour à Balbec dans la mémoire du héros-narrateur qui se
livre à des impressions esthétiques, que le dévoilement de l’œuvre dans une métaphore finale ?
Tout d’abord, de la première ligne à la ligne 5 : de « Nous avons regardé » à « d’une musique sous-marine », la solitude, l’isolement du héros dans sa chambre lui permet d’éprouver une impression esthétique, par l’ouïe, retranscrite par le narrateur dans un style empreint de métaphores maritimes, qui traversent en réalité la seconde partie du roman. Puis, de la ligne 5 : « Je m’impatientais », à la ligne 11 « émail inerte et factice », le narrateur relate les attentes qu’il avait avait eu, en tant que héros, à propos de Balbec, et les nouvelles attentes auxquelles il s’était ensuite attaché là-bas : d’un Balbec fouetté par la tempête à un Balbec absolument ensoleillé. Enfin, de la ligne 11 à la fin : de « Et tandis que Françoise ôtait les épingles » à « embaumée dans sa robe d’or », on assiste à un retour au rituel effectué par le servante de la famille du héros, qui, en découvrant le jour, ne fait que l’immortaliser pour toujours, alors que le narrateur fait de cette sorte de cérémonie la métaphore du désemmaillotement d’une momie, et l’auteur une métaphore de son oeuvre en dévoilement.
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