Dissertation sur Manon Lescaut

Dissertation

Dans une lettre datant de 1734, Montesquieu reconnaît le charme du roman de Prévost, même si, écrit-il, « le héros est un fripon et l’héroïne une catin ». Les protagonistes du roman doivent-ils selon vous être réduits à cette caractérisation ?

Consigne : Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur votre lecture du roman de Prévost mais aussi sur les autres lectures faites cette année dans le cadre du parcours associé.

INTRODUCTION

Le roman, à partir du XVIIème siècle, se définit comme une œuvre de fiction en prose, racontant les aventures et l’évolution d’un ou de plusieurs personnages. Il connaît un grand succès au XVIIIème siècle auprès de la bourgeoisie qui trouve dans le genre romanesque une réponse à ses aspirations : individualisme, bonheur, ascension sociale. Mais méfiance envers le genre romanesque justifie le recours à des titres qui font croire à la véracité de la fiction (Mémoires, Lettres, Histoire). Les auteurs insistent, dans leurs préfaces, sur l’origine authentique d’un récit qu’ils ne font que transmettre. Ainsi, l’abbé Prévost, dans l’Avis de Manon Lescaut, se présente comme l’auteur des Mémoires d’un homme de qualité et définit son livre comme un traité de morale. Pourtant, dans une lettre datant de 1734, Montesquieu reconnaît le charme du roman de Prévost, même si, écrit-il, « le héros est un fripon et l’héroïne une catin ». Les protagonistes du roman doivent-ils être réduits à cette caractérisation ? Peut-on limiter les personnages de Manon et de Des Grieux à ce jugement défavorable ? Certes, les deux jeunes gens apparaissent comme des personnages coupables, mais ils n’en demeurent pas moins attachants pour le lecteur et le charme du récit consiste donc à élaborer des personnages complexes et ambivalents.

I. CERTES, DES GRIEUX ET MANON SONT DES PERSONNAGES COUPABLES

1°) Condamnation par les proches

- le père de Des Grieux (« Qu’un père est malheureux, lorsqu’après avoir aimé tendrement un fils […] il n’y trouve à la fin qu’un fripon qui le déshonore » ; « Adieu, fils ingrat et rebelle »)

- Tiberge (« Je lui fit l’entière confidence de ma passion. Il la reçut avec une apparence de mécontentement qui me fit frémir » ; « Il me dit […] que si je ne renonçais pas ensuite à cette misérable résolution, il avertirait des personnes qui pourraient l’arrêter à coup sûr »)

2°) Condamnation par la société

- emprisonnement (« Il prît là-dessus la résolution de nous faire arrêter, et de nous traiter moins comme des criminels que comme de fieffés libertins » ; « Ma malheureuse maîtresse fut donc enlevée, à mes yeux, et menée dans une retraite que j’ai horreur de nommer. » « elle fut resserrée dans une étroite prison »)

- déportation (« enfermer Manon pour le reste de ses jours, ou de l’envoyer en Amérique » ; « c’est une douzaine de filles de joie, que je conduis avec mes compagnons, jusqu’au Havre de Grâce, où nous les ferons embarquer pour l’Amérique »

3°) Punition divine

- la mort de Manon apparaît aux yeux de Des Grieux comme une punition divine qui s’abat sur leur couple, au moment même où ils se sont assagis et veulent enfin se marier (Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point sans doute assez rigoureusement puni » ; « Le Ciel, après m’avoir puni avec tant de rigueur »)

- la conversion de Des Grieux après la mort de Manon en signe de repentir lorsqu’il déclare à Tiberge que « les semences de vertu qu’il avait jeté autrefois dans mon cœur commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait »

 Ainsi, il semblerait que Montesquieu soit dans le vrai lorsqu’il qualifie les personnages de Des Grieux et de Manon de « fripon » et de « catin ».

II. MAIS CES PERSONNAGES DEMEURENT ATTACHANTS POUR LE LECTEUR

1°) Une passion sincère

- jugement de Montesquieu : « J’ai lu ce 6 avril 1734 Manon Lescaut, roman composé par le P. Prévost. Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes les actions du héros, le chevalier Des Grieux, ont pour motif l’amour qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère. » (Pensées)

- « c’est que je l’aime avec une passion si violente, qu’elle me rend le plus infortuné des hommes »

- « Je prétends mourir […] si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive » dit Manon à Des Grieux

2°) La responsabilité de la société

La société ne laisse pas le jeune couple vivre sa passion (Cf. l’enlèvement de Des Grieux par son père : « je me vis saisir par trois hommes, que je reconnus pour les laquais de mon père » ; « Cet emportement fit rire mon père, et ne servit qu’à me faire garder plus étroitement dans ma prison ») ou la société qui les empêche de se marier en France (« en France, où il nous était impossible de cesser de nous aimer

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