Blaise Cendrars, Sonnets dénaturés, « Académie Médrano »
Fiche : Blaise Cendrars, Sonnets dénaturés, « Académie Médrano ». Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Michiko Michiko • 9 Mai 2023 • Fiche • 1 449 Mots (6 Pages) • 1 122 Vues
Blaise Cendrars, Sonnets dénaturés, « Académie Médrano »
A Conrad Moricand
Danse avec ta langue, Poète, fais un entrechat
Un tour de piste
sur un tout petit basset
noir ou haquenée
Mesure les beaux vers mesurés et fixe les formes fixes
Que sont LES BELLES LETTRES apprises
Regarde :
Les affiches se fichent de toi te
mordent avec leurs dents
en couleur entre les doigts
de pied
La fille du directeur a des lumières électriques
Les jongleurs sont aussi les trapézistes
xuellirép tuaS
teuof ed puoC
aç-emirpxE
Le clown est dans le tonneau malaxé
Il faut que ta langue[pic 1]les soirs où
Les Billets de faveur sont supprimés
Explication linéaire de « Académie Médrano », Blaise Cendrars (1923)
Blaise Cendrars (1887-1961) est un poète et romancier français, célèbre pour son recueil La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, ou son roman L’Or. Il fut également journaliste. Dans ses Sonnets dénaturés, il exprime son refus de l’académisme. Il plaide pour une littérature proche des gens et de la vie réelle, une poésie nouvelle. Il critique une certaine idée rétrograde de la poésie.
Lecture
En quoi ce poème de Blaise Cendrars est-il un art poétique[1] résolument moderne ?
Nous pouvons dégager trois mouvements dans cette œuvre : Cendrars dans un premier temps ironise sur l’écriture traditionnelle, avant de souligner le ridicule du poète trop attaché à la tradition et, enfin, de s’autoriser des audaces littéraires, en guise d’exemple de liberté artistique.
I/ L’ironie du poète concernant l’écriture traditionnelle.
- La poésie classique apparaît à Cendrars comme un exercice d’écriture virtuose mais déconnecté du monde moderne. Il emploie donc le vocabulaire de la danse classique, un art académique enseigné à l’opéra de Paris et très codifié depuis longtemps Toutefois la présence de l’apostrophe, le parallélisme de construction et la majuscule à « Poète » confèrent une apparente majesté à ce premier vers. Il bénéficie aussi d’une assonance en « an » qui met en valeur les deux métaphores puisque le poète ne va pas vraiment réaliser ces figures de danse avec son corps mais avec sa langue, c’est-à-dire ses mots
- La suite dévie sur le thème très présent du cirque (Médrano est le nom d’un cirque), en douceur puisque « entrechat » et « tour de piste » sont les deux COD du verbe « faire ». Le vers devient alors plus court et la typographie dessine une sorte de mouvement propre à mimer le déplacement d’un artiste sur une piste circulaire. Quant au « basset », il renvoie à une race de chien, de petite taille, comme son nom l’indique. Qui plus est, celui-ci est qualifié de « tout petit » : l’hyperbole accentue le caractère caricatural de la scène Le poète qui exécute des vers classiques apparaît donc comme un saltimbanque assez risible, dans une posture qui fait sourire.
- La moquerie de Cendrars se poursuit à travers les deux pléonasmes, qui apparaissent comme un parallélisme, avec « Mesure » et « mesurés », qui renvoie certainement à l’alexandrin, puis « fixe » et fixes », les formes fixes étant sûrement celles du sonnet
- La référence aux « belles lettres », écrites en gras, en majuscules (car l’expression évoque des ouvrages majeurs) et en italique pour une triple mise en valeur, nous renvoie à des œuvres jugées remarquables pour leur valeur[2], depuis l’Antiquité, et au monde scolaire avec « apprises ». Elles semblent clairement s’opposer à la liberté de la création en imposant des modèles du passé.
II/ Le poète rattrapé par le monde moderne.
- « Les affiches se fichent de toi te/ mordent avec leurs dents/ en couleur entre les doigts/ de pied ». Cendrars préconise une écriture métaphorique audacieuse, comme on le voit avec la personnification des affiches qui surprend grâce à la typographie (gras), au registre familier auquel appartient le verbe « se ficher », prouvant que la poésie ne doit pas être le loisir d’une élite intellectuelle On peut du reste songer au sens métaphorique de « pieds » comme synonymes de « syllabes » (on comptait les pieds d’un vers), ce qui donne un effet humoristique : le poète comme un enfant compte sur ses doigts pour composer un poème ! La présentation des vers fait également songer à quelqu’un qui jouerait avec une machine à écrire, invention assez récente (première machine électrique, 1914).
- Le poète se retrouve aux côtés d’autres figures illustres du cirque, qu’il s’agisse de « la fille du directeur », dont on ne connaît pas la fonction mais qui se caractérise par « les lumières électriques », c’est-à-dire le monde moderne de l’innovation technologique, des « jongleurs », des « trapézistes » ou plus loin des « clowns ».
- L’effet s’intensifie avec « Saut périlleux » et « Coup de fouet », références à des actions visuelles et sonores, écrites à l’envers comme pour mieux introduire la sensation de mouvement.
III/ La notion de liberté artistique.
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